Prendre à une forte colonie une partie de ses abeilles, soit
en brossant les cadres ou les secouant, soit en tapotant et enfumant une ruche
vulgaire pour peupler une autre ruche, c’est faire un essaim artificiel.
Ces essaims valent-ils les essaims naturels ?
Oui et non. S’ils sont faits dans des conditions
défavorables ou d’une façon peu rationnelle, ils désorganisent une bonne
colonie, sans avoir chance de prospérer eux-mêmes.
Si, au contraire, ils sont faits en se rapprochant le plus
possible des conditions dans lesquelles se produit l’essaimage naturel,
c’est-à-dire à l’époque de l’essaimage naturel, quand la miellée donne, et avec
des ruches qui se préparent à essaimer, alors cet essaimage artificiel n’est
autre chose qu’un essaimage anticipé qui ne contrarie en rien les abeilles et
offre des avantages à l’apiculteur.
Au dire d’un grand nombre, cet essaimage forcé, fait
opportunément, fournit des essaims qui ne diffèrent en rien des naturels et
même leur sont supérieurs en ce qu’ils peuvent contenir une plus forte
proportion de jeunes abeilles. Mais, hâtons-nous de le dire, il faut pour cela
qu’il soit pratiqué d’une façon rationnelle : c’est dire qu’il demande de
l’expérience et du discernement de la part de l’apiculteur.
Essayons de donner les règles à observer dans la pratique de
cet essaimage anticipé, et d’indiquer quelques manières d’opérer selon le but
qu’on se propose, en faisant ressortir ses avantages et ses inconvénients.
Faisons observer tout d’abord qu’il a été dit beaucoup de
bien et beaucoup de mal de cet essaimage forcé, les uns prétendant qu’il ne
réserve que des mécomptes à l’apiculteur, les autres le vantant jusqu’à le
déclarer supérieur à l’essaimage naturel.
Les deux opinions peuvent être vraies. L’échec et le succès
dépendent des conditions dans lesquelles on opère. Dans telle région et à telle
saison, la méthode n’offrira que des avantages : dans une autre contrée ou
par un temps différent, elle ne causera que des déboires. C’est pourquoi il
importe de bien préciser en quelles conditions cet essaimage doit être pratiqué
pour réussir.
L’essaimage anticipé se pratique en deux
circonstances : 1° lorsqu’on a des ruches qui essaimeront sûrement et que
l’on craint de perdre l’essaim ; 2° quand on veut réprimer l’essaimage,
pour ne pas nuire à la récolte, dans les ruches destinées à la production du
miel en sections, car les casiers à sections dites américaines favorisent
l’essaimage et une ruche qui essaime ne donnera guère de récolte. Avec les
ruches Dadant-Blatt, de bonne capacité et agrandissables, destinées
principalement à la production du miel à extraire, l’essaimage ne sera pas à
redouter souvent, si l’apiculteur est vigilant à donner à ses travailleuses de
l’espace en temps voulu.
Examinons ici les avantages que peut offrir l’essaimage anticipé
aux possesseurs de ruches vulgaires ou ruches fixes désireux de tirer de leurs
caisses ou paniers des essaims, tout en conservant la souche.
L’essaimage anticipé les dispensera de surveiller la sortie
des essaims naturels, qui souvent prennent la clef des champs au moment où le
maître est absent, et qui parfois vont se poser à des endroits où il est
difficile de les cueillir. L’essaimage forcé évitera donc à l’apiculteur une
perte de temps et souvent aussi une perte d’essaims ; ce sont là deux
avantages à considérer.
Établissons d’abord comme règle que cet essaimage n’est pas
à recommander dans les pays à miellée unique. La raison en est que le succès de
cet essaimage dépend surtout du temps et de la miellée, et, comme il est
impossible de prévoir l’un et l’autre, il y aura souvent des aléas. Nous
pourrions citer telle année où la saison s’annonçait favorable et promettait
des essaims. Or, il n’en est pas venu. Si, voulant devancer l’essaimage,
l’apiculteur avait cette année-là forcé ses ruches, qu’en serait-il
résulté ? Ces essaims anticipés n’auraient pu construire ni approvisionner
leur nid, et la souche elle-même ne serait pas arrivée à se refaire. Dès lors,
double perte pour l’apiculteur.
Dans les pays, au contraire, où se produisent plusieurs miellées,
ou une miellée continue toute la saison, le risque n’est pas le même, parce
que, si les essaims n’arrivent pas à édifier leur ruche à la première récolte,
ils auront chance de se développer et approvisionner aux miellées subséquentes.
Il peut bien arriver que des essaims naturels périssent
faute de miellée suffisante ; mais généralement, quand il survient un
temps défavorable, les abeilles renoncent à essaimer, tandis que l’apiculteur
qui a déjà fait ses essaims est impuissant à revenir en arrière et ne peut que
subir les conséquences d’une opération trop hâtée.
M. Vignole, un des principaux partisans de l’essaimage
anticipé, recommande de faire la « chasse » des ruches lourdes et
populeuses à l’ouverture de la miellée de sainfoin. L’essaim est mis à l’emplacement
de la souche, et celle-ci, qui a perdu ses abeilles, prend la place d’une forte
colonie qui est portée plus loin. La souche se refait ainsi une population avec
les butineuses de cette dernière ruche, et, treize jours après, elle sera
souvent en état de fournir un second essaim. M. Vignole blâme avec raison
ceux qui, après avoir fait l’essaim, l’emportent au loin, laissant la souche à
son siège avec son couvain et très peu d’abeilles. L’essaim pourra prospérer,
si le temps s’y prête, bien qu’il s’affaiblira les premiers jours ; mais
la souche aura de la peine à se remonter.
C’est la faute que nous avons commise au début de notre
carrière apicole. Les résultats ont été désastreux : les essaims ont pu se
tirer à peu près d’affaire, mais les souches n’ont pu se relever de la saignée
opérée sur elles.
M. Vignole pose rigoureusement en principe qu’on doit
pratiquer l’essaimage anticipé avant la formation des cellules royales.
D’autres, au contraire, veulent qu’on attende que les ruches se soient préparées
à essaimer et possèdent des alvéoles de reines. Nous croyons que cette dernière
opinion est la meilleure et offre plus de garanties de succès. Les abeilles,
étant déjà en quelque sorte sous l’impulsion de l’essaimage, seront moins
démoralisées, par la violence que leur fait l’apiculteur pour leur faire
quitter leur ruche avant le temps. D’autre part, la souche, demeurant avec des
reines au berceau, se refera plus vite que si elle devait commencer un élevage
royal, élevage qui se ferait dans de moins bonnes conditions. Mais un élevage
de mâles a son utilité à ce moment, car il en faudra bientôt quand naîtront les
jeunes reines, et ce n’est pas la présence de quelques centaines de bourdons
dans les ruches qui diminuera beaucoup la récolte.
Quant à l’essaimage anticipé des ruches à cadres, il n’est
autre que l’essaimage artificiel pratiqué au moment de l’essaimage naturel, sur
les colonies qui donnent des signes d’essaimage. L’apiculteur a plus de
facilité pour le régler, et aussi pour surveiller ses essaims et aider à leur
développement.
Que l’on opère avec des ruches fixes ou des ruches à cadres
mobiles, dans les deux cas, la méthode demande de l’expérience : aussi
nous ne la conseillons pas aux débutants.
P. PRIEUR.
|