Au 9e degré, la savane soudanaise commence,
la campagne parsemée d’immenses kapokiers, d’énormes karités. Comme cultures
vivrières, le mil en première ligne, quelques ignames, des haricots. Le coton
est cultivé, l’indigo, de moins en moins, le tabac. Un cheptel composé de
bœufs, de moutons à poils ras, de chèvres, de chevaux; de la volaille, du
gibier (pintades peu sauvages, perdrix, sangliers, antilopes diverses) ;
de loin en loin, lorsque le chemin de fer ou l’automobile passe, et c’est la
même chose au Bas-Dahomey, près des rives d’un cours d’eau ou d’un marigot,
s’élèvent des vols d’aigrettes (chasse interdite), de marabouts, de petites
outardes, de canards sauvages variés. Somme toute, les principales ressources
du Haut-Pays se résument au kapok, au karité, au coton, à l’élevage, aux
dépouilles d’animaux. Le premier pays traversé est le Borgou, peuplé par les Baribas,
grands coureurs de routes, contrebandiers et détrousseurs des caravanes
traversant leur zone. Au lendemain de notre pénétration, on a recruté parmi eux
tous les gardes de cercle, sorte de garde mobile civile. En 1901, le gouverneur
du Dahomey demandait à l’administrateur commandant la région, s’il était
satisfait du service de ses gardes, sa seule force de police, il se déclara
enchanté. Tant il est vrai qu’en ces pays, les éléments plus ou moins pillards,
plutôt plus que moins, font les meilleurs gendarmes, s’ils sont bien tenus en
main par un chef qui leur inspire confiance, il en est de même — ceci
entre parenthèse — pour les peuplades soumises la veille et qui, le
lendemain, s’enrôlent comme tirailleurs auxiliaires pour une opération contre
leurs voisins. Tous les grands chefs, qui conduisirent les colonnes
soudanaises, Borgnis-Desbordes, Archinard, Combes et, en tout premier lieu,
Faidherbe, usèrent avantageusement du procédé. Une observation s’impose
lorsqu’on visite les principaux postes du Haut-Dahomey, Parakou, Nikki, Kandi,
Djougou, Fada N’Gourma. Si, en apparence, on ne constate à distance pas de
grands changements, c’est là une vue superficielle. Là, le chemin de fer et
l’automobile, ailleurs, dans l’Ouest et le Nord, l’automobile, ont apporté une
plus grande activité, en amenant, loin dans l’intérieur, des marchandises
européennes qui, transportées à tête d’homme, auraient atteint des prix
prohibitifs, en écoulant vers la côte, en contrepartie, les produits du pays
dont la vente a procuré les possibilités d’achat aux indigènes. Ce n’est plus,
depuis bien longtemps, le « troc » ; ce n’est même plus cette
espèce de monnaie constituée par les « cauris » — coquillages
importés de la Côte orientale d’Afrique — qui avait le double inconvénient
d’être encombrante et de valeur variable, valeur qui, naturellement, s’élevait
à mesure qu’on s’éloignait de la côte. Cette singulière « mesure » de
la valeur des choses a, cependant, subsisté longtemps ; elle a même rendu
des services jusqu’à ce qu’on lui substituât une véritable monnaie, la nôtre.
Cette substitution n’alla pas, à ses débuts, sans difficultés
d’approvisionnement en petite monnaie divisionnaire : il fallait surtout
des pièces de 1 centime, 2 centimes, 5 et 10 centimes. Après
chaque distribution, elles disparaissent comme par enchantement.
Thésaurisées ? Que non pas. Les sous et les décimes étaient tout
simplement fondus pour faire des bijoux et les centimes servaient d’ornements à
ces bijoux. Tous les étalages des forgerons sur les marchés regorgeaient de
bracelets, bagues, pendentifs, colliers en bronze. Le trésorier payeur de la
colonie, chargé de l’approvisionnement, s’arrachait les cheveux, car le
Ministère des Finances à ses demandes réitérées répondait : « Que
faites-vous donc de tout ce qu’on vous expédie ? »
De Parakou, par une bonne piste utilisable par les
automobiles, une pointe dans l’Ouest, vers Djougou, dont le poste est resté
dans son ancien emplacement, où l’on accède par une large avenue ombragée de
chaque côté par une rangée de flamboyants aux fleurs éclatantes dont
quelques-uns ont été plantés en 1901 par nos soins. Près du poste de police, un
superbe jardin potager réglementaire. Djougou était autrefois une étape
obligatoire des caravaniers haoussas qui, venus de très loin dans l’Est, plus
loin que le lac Tchad quelquefois, se rendaient dans la haute Côte d’Ivoire, la
haute Guinée, le Sud du Soudan, pour échanger leurs marchandises contre des
kolas principalement. De Djougou, ils infléchissaient légèrement vers le Sud
pour éviter les hauteurs et les gorges des monts Atacora, et surtout la
population qu’on disait à l’époque très redoutable, très sauvage, et qu’à
l’instar des Haoussas, on appelait les Kafiris (déformation probable du mot
« Kéfir » : infidèles). Par approche, avec beaucoup de patience,
on a fini par apprivoiser ces terribles Kafiris, indépendants de caractère,
certes, mais ne demandant qu’une chose : la tranquillité. Ils allaient
complètement nus : une petite ficelle pour les hommes, quelques feuilles
pour les femmes ; et pourtant, à certaines époques, il fait relativement
frais dans les vallées. Lorsqu’on leur demandait la raison de cette absence de
vêtements, ils répondaient qu’ils leur semblaient inutiles pour travailler la
terre. Ce sont, en effet, des cultivateurs paisibles et ingénieux. Leurs champs
sont disposés de façon curieuse. Près des cours d’eau, un peu en contrebas, ils
forment des buttes de terre de 1 mètre à 1m,50. Sur ces cônes,
dont l’inondation couvrira le pied, ils sèment, à la base, le riz. Au sommet,
trois sortes de mil venant à maturité à des époques différentes et, au milieu,
ils piquent leurs ignames.
Depuis de longues années, on parlait de l’existence de l’or
dans les cours d’eau du Haut-Dahomey, tributaires du Niger : Oly, Sota, Alibory,
Mekrou. C’était exact ; une prospection récente l’a démontré. Une
exploitation est même commencée sur la petite rivière Ferma (à 12 kilomètres de
la route coloniale, une piste sèche y conduit), qui donne des résultats
appréciables qui se chiffrent déjà par plusieurs millions de francs. C’est
encourageant. Aussi, les études, recherches, exploitations, vont s’étendre.
En quelques heures maintenant, l’automobile nous conduit par
la route coloniale, une vraie route coloniale, de Parakou au Niger, par Kandy,
à Say, point de départ de la fameuse ligne Say (sur le Niger), Barroua (sur le
Tchad), délimitant les possessions françaises et anglaises. C’est à propos de
cette délimitation, que lord Salisbury, dans un discours célèbre, déclara que
notre action coloniale était rejetée au Sahara, où « le coq gaulois, qui
aime à gratter la terre, pourra user ses ergots. » Lord Salisbury se
trompait. Évoquant de vieux souvenirs avec un ami, nous nous rappelions nos
propos tenus à cet égard. À cette époque lointaine (1901), il commandait, en
tant que lieutenant, le poste de Say. Aujourd’hui, il est général et membre de
l’Institut et il continue à travailler ardemment pour la cause coloniale. Nos
avis n’ont pas changé. Le ministre anglais se trompait :
nous conservions l’essentiel de nos droits, et notre
présence à Say le démontrait pour cette partie Est de notre Afrique occidentale
française.
Il faut maintenant, la saison s’avance, — voyager en
saison des pluies n’a rien d’agréable — regagner la côte par la route.
Ainsi, on continue à mieux comprendre la savane soudanaise qui délimite si
nettement la région géographique. Au passage dans le Moyen Dahomey, accidenté et
pittoresque, on sentira la transition et les premiers palmiers feront
pressentir la zone équatoriale. Confortablement installé dans une automobile
rapide en quelques heures, on passe d’une région à une autre. En hamac, puis à
cheval, il fallait des jours et des jours. Toujours attrayante, la palmeraie
centrale et orientale, que l’on ne quitte qu’à quelques milliers de mètres de
la côte pour rencontrer la bande de cocotiers, malheureusement peu large, qui
va, sans presque d’interruption, de Cotonou à Grand-Popo. Le cocotier se plaît
dans les terres saumâtres où ne vivrait pas le palmier. Grand-Popo, Petit-Popo,
autrefois à la frontière franco-allemande, maintenant à la limite du territoire
togolais, complément du Dahomey qui, sous notre administration, se développe,
où les habitants, très évolués à la côte, sous notre tutelle depuis vingt-cinq
ans, ont marqué, de tout temps, un loyalisme émouvant. Restons au Dahomey pour
observer que l’arrière-pays des Popos (ou Minas), arrosé par le Mono, a
conservé et accentué son activité et que son commerce d’huile et d’amandes de
palme est toujours florissant.
Le tour est terminé. Le Dahomey est, certes, la plus petite
colonie en étendue de l’A. O. F., mais combien vivante.
G. FRANÇOIS.
(1) Voir numéro de Février 1940 et suivants.
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