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Comment on dépiste les sous-marins

Instruits par l’expérience de la dernière guerre, les Allemands ont porté tout leur effort, dès les premières semaines des hostilités, sur la guerre sous-marine. Nos ennemis, pas plus que nous-mêmes, n’avaient oublié la terrible situation où se trouva l’Angleterre dans le courant de l’année 1917, lorsque les torpillages de navires marchands se succédèrent à une cadence telle que les îles britanniques faillirent très exactement être réduites par la famine !

Or, dès le mois de septembre 1939, et plus encore en octobre et novembre, les commandants des UB s’aperçurent à leur détriment qu’il y avait quelque chose de changé. À peine un sous-marin allemand arrivait-il dans les eaux interdites, qu’il était pris en filature : patrouilleurs, chasseurs, torpilleurs, avions convergeaient vers lui, comme avertis par des antennes invisibles ; et l’aventure se terminait sans gloire par le haut panache d’une grenade, suivi d’une large moire de pétrole, deuil irisé des sous-mariniers engloutis.

Que s’était-il donc passé ? Ceci de fort simple que l’Angleterre, ayant senti passer le vent de la défaite, avait mobilisé ses ingénieurs maritimes sur cette double et vitale question : Comment « détecter » les sous-marins ? Comment les détruire ? En vingt ans, le problème avait évolué vers une solution complète ; notre Marine, non plus, n’était pas restée inactive, et les corsaires autrefois impunis, les torpilleurs d’enfants et de femmes, se trouvaient pris à leur tour dans de mortels filets.

L’affût au microphone.

— La qualité capitale du sous-marin est son « invisibilité ». On ne saurait mieux comparer la lutte contre un sous-marin qu’à la recherche, dans l’obscurité, d’un adversaire dangereux que l’on veut tuer à coups de revolver ou de grenades. Rien d’autre ne peut servir de guide que les faibles bruits qui décèlent les mouvements de l’ennemi : l’assaillant s’efforce de repérer la direction de ces bruits révélateurs ; il s’approche en tâchant de rester lui-même inaperçu, et, lorsqu’il se juge arrivé à bonne portée, il lance ses projectiles en les dispersant pour obtenir un « coup heureux ».

Ainsi procèdent les navires de surface qui, ayant dépisté un sous-marin par des procédés acoustiques, viennent croiser au-dessus de sa position présumée et laissent tomber une succession de grosses grenades sous-marines dispersées dans un vaste cercle.

Comment déceler la présence d’un sous-marin en plongée ? La première idée qui vient à l’esprit est de chercher à percevoir les bruits émis par la formidable machinerie installée à bord de ces petits navires. Le sous-marin ne peut, en effet, se déplacer sous l’eau sans que ses hélices, ses gouvernails, sa coque mettent l’eau en vibration ; quand un sous-marin « ne se gêne pas », c’est toute la mer qui paraît gronder autour des barques naviguant dans les environs, sans qu’il soit possible, au reste, de dire dans quelle direction se trouve le bâtiment immergé.

On sait que l’eau transmet les sons avec une puissance dont les sons atmosphériques ne peuvent nous donner aucune idée. Le son d’une forte cloche sous-marine, utilisée pour des sondages par écho, peut être entendu, au moyen d’un écouteur immergé, à 150 kilomètres ; quant à l’explosion sous-marine, fort modeste, d’un kilogramme de dynamite, elle suffit pour mettre en vibration tout le bassin occidental de la Méditerranée, de Barcelone à Tunis !

Supposons que nous suspendions à l’avant d’un navire un microphone sensible, dont la membrane vibrante est en contact avec l’eau ; les fils du microphone remontent à l’intérieur du navire et sont reliés à un casque téléphonique par l’intermédiaire de puissants amplificateurs à lampes, analogues aux classiques amplificateurs de radio. Dès que le moindre bruit se fera entendre dans le silence de l’abîme, il sera perçu, très amplifié, par un veilleur, coiffé du casque, qui donnera l’alerte.

De quel côté faudra-t-il alors se diriger ? Pour le savoir, les ingénieurs ont imaginé de doter le navire de deux microphones, placés de part et d’autre de la coque ; chaque microphone est relié, par un amplificateur indépendant, à l’un des écouteurs du casque. Dans ces conditions, le veilleur entend le bruit « de côté », par un phénomène physiologique bien connu, tant que les deux auditions ne sont pas égales. Il suffit de faire pivoter le navire jusqu’à ce que le veilleur ait l’impression d’avoir le bruit suspect droit devant, pour que le bateau ait effectivement le cap sur l’ennemi.

Pratiquement, il est plus commode de fixer les deux microphones aux extrémités d’une barre horizontale orientable, montée au bout d’un axe vertical, formant un T renversé ; on fait pivoter cet ensemble au moyen d’un volant gradué, qui indique la direction du sous-marin.

Détection par « ultra-sons ».

— Supposons maintenant que le commandant du sous-marin, conscient du danger, laisse son navire inerte entre deux eaux ou l’échoue carrément sur le fond de la mer. Dans ce cas, plus la moindre onde sonore ne viendra nous guider.

L’arsenal de la physique nous réserve cependant encore une arme, ou plutôt un procédé de détection basé, sur les ultra-sons.

Qu’est-ce qu’un ultra-son ? Pour le comprendre, il faut nous rappeler que l’oreille, récepteur imparfait, ne nous permet pas d’entendre la totalité des vibrations existant dans la nature. Un son de « fréquence » inférieure à 34, produit par un énorme tuyau d’orgue, n’est pas ouï par nos oreilles ; il baigne notre organisme entier, qui a l’impression d’une série d’impulsions ; c’est ce qu’on appelle un « infra-son ». Augmentons maintenant la fréquence, ou « hauteur » du son, autrement dit, le nombre de vibrations de l’air par seconde : nous parcourons ainsi d’abord les sons graves, puis le médium, enfin l’aigu ; la petite flûte d’orchestre atteint déjà 12.000 vibrations par seconde et l’on peut obtenir des sons plus aigus encore au moyen de sifflets très courts, mais l’on approche de la « limite supérieure d’audibilité » ; certaines personnes n’entendent pas la stridulence des grillons, ni même le pépiement des moineaux. Au delà de 30.000, aucune oreille humaine ne perçoit plus les vibrations ; nous entrons dans le domaine des ultra-sons.

Dans l’air, les ultra-sons s’amortissent avec rapidité et ne dépassent pas quelques dizaines de mètres, mais ils se propagent dans l’eau à des distances de plusieurs kilomètres.

L’avantage des ultra-sons est qu’ils peuvent être dirigés comme un faisceau lumineux. On utilise, soit des appareils en acier à magnéto-striction, soit des triplets Langevin formés d’une mosaïque de lamelles de quartz serrée entre deux disques d’acier épais. Un émetteur électrique à décharge d’étincelles ou à lampes (ondes entretenues) est relié aux deux disques ; le « sandwich » de quartz et d’acier se met alors à vibrer, par un phénomène piézo-électrique, communiquant sa vibration à l’eau de la mer suivant une direction perpendiculaire au triplet.

Réfléchis contre la coque d’un sous-marin, les ultra-sons reviennent et ébranlent à nouveau le triplet, qui fonctionne maintenant comme récepteur ; ce triplet émet des micro-courants que l’on amplifie à l’aide d’amplificateurs à lampes et qui sont reçus dans un casque. L’opérateur est ainsi averti de la présence, sur l’axe du triplet, d’un obstacle suspect ; la nature du son entendu au casque dépend de l’obstacle, en sorte qu’un opérateur exercé peut dire s’il s’agit d’un navire de surface, d’un navire échoué, d’une épave, d’un rocher ... ou d’un sous-marin.

Dans ce cas, il ne reste plus qu’à s’approcher, d’abord à très petite allure pour ne pas éveiller la méfiance de l’ennemi, puis à toute vitesse, en lâchant des grenades à forte charge ; celles-ci sont dotées d’un piston hydraulique qui est refoulé quand la pression de l’eau est suffisante et fait éclater la grenade. La coque du sous-marin est alors crevée dans un rayon de 10 à 15 mètres, laissant remonter l’huile lourde des diesels à la surface ... Et il ne reste plus qu’à saluer ces morts anonymes, qui furent peut-être des assassins sans honneur, mais qui viennent incontestablement de mourir à leur poste, en marins victimes du devoir.

Pierre DEVAUX.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 314