Les timbres d’Amérique n’ont jamais joui d’une énorme
popularité parmi les collectionneurs français. Certainement, il est possible de
citer des spécialistes de chacun des pays du Nouveau-Monde, mais leur nombre en
réalité a toujours été des plus restreint ; le collectionneur de chez nous
s’évadant de l’éternelle France et colonies a en effet plutôt tendance à se
spécialiser en Europe, on encore en colonies anglaises. Et cette ignorance des
timbres américains est partagée par nombre de négociants, dont les connaissances
en d’autres domaines philatéliques sont pourtant de tout premier ordre. Comme
illustration de ce que nous avançons, nous pourrions citer les cas récents de
lithographies du Chili qui circulèrent entre nombreuses mains en qualité de
gravés, et des « spéciale printing » des États-Unis que personne ne
voulut acheter. Et pourtant, il est difficile de trouver plus classique.
Depuis la déclaration de guerre, la tendance a changé, et
les « Américains » sont beaucoup plus demandés, surtout les timbres des
États-Unis, considérés par beaucoup comme une sorte de placement refuge en
dollars or. Mars les connaissances générales en « americanas » n’en
ont pas augmenté pour cela ; et, trop souvent, il nous a été donné de voir
des collectionneurs acheter au prix fort des pièces plus ou moins douteuses,
pour ne pas dire plus. Les faux timbres des États-Unis sont très rares (sauf
pour les locaux), la finesse habituelle de la gravure ne permettant guère les
imitations ; mais les truquages possibles sont nombreux, d’autant plus
qu’il existe nombre de tirages officiels sur les planches d’origine aussi bien
en épreuves diverses qu’en essais de couleurs. Bien souvent, il faut vraiment
être un spécialiste pour pouvoir s’y reconnaître avec sûreté. Que de grandes
collections générales ou de rares variétés des États-Unis, montées
amoureusement en épingle, sont autre chose que ce que leur propriétaire
suppose ! Dans le but d’éviter, autant qu’il se peut, de tels déboires à
nos lecteurs, nous commençons aujourd’hui une série d’articles sur les timbres
des États-Unis, qui fera suite, en beaucoup plus détaillé, à ceux précédemment
parus concernant le Canada ; et, si possible, les autres pays de
l’Amérique latine suivront. Au fur et à mesure, nous indiquerons à quoi reconnaître
les différents types, les réimpressions, les essais sur papiers à
timbres ; nous attirerons l’attention sur les truquages possibles ou
habituels, dont il existe tant de spécimens dans les collections. En un mot,
nous essaierons de constituer une sorte de manuel pour l’expertise, tout au
moins relative, des timbres d’Amérique. Comme il n’existe aucun ouvrage de
cette sorte, nous croyons rendre ainsi service à nombre de collectionneurs et
aussi de marchands.
* * *
Une spécialisation des États-Unis, poussée à fond,
représenterait quelque chose d’énorme, que seuls des ensembles de
spécialisations d’Europe ou de pays britanniques pourraient approcher. Si le
nombre de timbres en serait moindre, les variétés d’usage postal en seraient
bien plus grandes ; nous trouvons là une des raisons primordiales pour
lesquelles le collectionneur américain a plus de tendance à se spécialiser dans
les recherches relevant du fonctionnement de la poste que dans celles qui se
rapportent à la fabrication des timbres. Ce qui est à peu près l’inverse de ce
que nous voyons en Angleterre, où les questions de planchages, de retouches de
gravures et autres variétés dans la fabrication, sont prisées au plus haut
point. Mais il faut avouer que les variétés d’usage postal sont aux États-Unis
absolument passionnantes. Par elles, on peut suivre pas à pas le développement
prodigieux de ce pays, la poussée vers l’Ouest, les luttes avec les Peaux
Rouges et les légendaires « Poney-Express », la découverte de l’or,
l’essor effarant de la Californie, etc. Si, pour reprendre une expression
classique, si toute lettre-doit raconter une histoire, il faut reconnaître
qu’il est difficile de trouver mieux que les vieux Yankees.
Ajoutons que les timbres fiscaux sont collectionnés tout
comme les postaux, et que les enveloppes, cartes postales et autres « Postal
Stationery » ont de nombreux fanatiques. Ce qui augmente d’autant le
volume des collections. Les philatélistes américains, comme leurs confrères
d’autres pays, recherchent d’abord leurs timbres nationaux ; et, pour
beaucoup de collectionneurs, arriver à remplir à peu près toutes les cases d’un
album, « National » représente un but lointain et pécuniairement
difficile à atteindre. Les amateurs plus fortunés recherchent une
spécialisation, en rapport avec leurs moyens ; et la philatélie américaine
se trouve ainsi en tranches autonomes, dont voici les principales : les
Maîtres-de-postes, pour les millionnaires, les deux numéros de l’émission de
1847, où le grand jeu consiste à posséder des exemplaires de timbres sur
lettres de tous les États et de toutes les villes possibles ; la série de 1851-1857,
qui est un monde à elle toute seule tant par les possibilités de recherches de planchages
que par la multiplicité des usages postaux susceptibles de fournir chacun les
éléments d’une spécialisation propre : postes fluviales du Mississipi,
Poney-Express, diverses routes terrestres ou maritimes vers l’Ouest, marques
postales de Californie, etc. — ici les vrais spécialistes se contentent
d’un timbre, le 1 cent, le 3 cents, le 10 ou le 12, et c’est assez
pour vider un portefeuille bien garni ; l’émission de 1861, conséquence de
la guerre de Sécession, avec ses oblitérations nombreuses et fantaisistes, et
cette sous-spécialisation très populaire qu’est la recherche des « enveloppes
patriotiques » de propagande émises à l’occasion de la guerre
civile ; tandis que nombre de descendants des Sudistes restent
sentimentalement attirés par les timbres des États-Confédérés, lesquels peuvent
constituer à eux seuls une spécialisation très poussée, tant par les variétés
de planches que par celles de l’utilisation postale, — la délicieuse série
de 1869, de plus en plus populaire — les différents « banknotes »,
aussi intéressants par leurs nombreuses variétés de fabrication que peu connus,
etc.
Ceux de nos compatriotes qui recherchent actuellement les
timbres américains n’ont certainement pas l’intention de pousser une de ces
différentes spécialisations à fond ; ils auraient d’ailleurs vraiment du
mal à trouver du matériel en France. Leur but plus modeste, quoique suffisant,
est de s’en tenir aux timbres types. Comme pour beaucoup, le but réel est un
placement de fonds ; la question de revente ultérieure se pose donc dès
maintenant à l’esprit, et avec elle, la question des prix et celle de la condition.
Bien souvent, il nous est arrivé d’entendre dire que les prix marqués sur le
catalogue américain Scott représentent ceux du marché ; rien de plus faux.
Si, pour des timbres types des premières émissions, et de qualité absolument
extraordinaire, les cotations se trouvent atteintes ou même dépassées en ventes
publiques, il faut bien se dire qu’il ne s’agit là que de cas exceptionnels.
Ici, comme ailleurs, un escompte souvent très large est pratiqué par le négoce
courant. Il faut se méfier tout particulièrement des prix indiqués pour les
variétés de planches, et les différents multiples : paires, bandes, blocs,
etc. ; la réalité en est souvent très loin. Pour ce qui est de la question
qualité, se rappeler que les Américains sont encore plus maniaques que nous, et
qu’ils attachent une importance souvent excessive à des questions en réalité
secondaires comme la gomme d’origine, le centrage parfait à la fraction de
millimètre, etc. Pour de nombreuses émissions, même anciennes, les cotations
s’appliquent à des exemplaires absolument parfaits, et les exemples que
nous-mêmes trouverions très beaux n’auraient là-bas qu’une cote mitigée, avec
gros rabais à la clef. Ce qui fait que des timbres en vente à Paris ou
ailleurs, à des prix qu’on pourrait considérer comme intéressants par rapport
aux prix américains, sont en réalité beaucoup trop envisagés sous l’angle
spécial de New-York ; ceci est particulièrement vrai pour tous les
commémoratifs, à commencer par la série de Columbus.
D’autre part, ne jamais oublier que, pour les émissions
dentelées, les bords de feuilles, habituellement non dentelés, sont dépréciés
d’une façon formidable, au point qu’on peut les considérer comme presque sans
valeur. Les oblitérations ont aussi une très grande importance, et, à partir de
1861, époque où l’on commença à utiliser des cachets vraiment catastrophiques,
les cotes pour oblitérés s’entendent pour les annulations légères, ne bouchant
pas le timbre. Par ailleurs, jusqu’aux environs de 1860, les oblitérations à la
plume sont tout à fait normales, la plupart des petits bureaux de poste ne
possédant pas de cachets d’annulation. Mais la valeur de telles pièces est
fortement dépréciée, malgré que les timbres postes des États-Unis n’ont jamais
été employés comme fiscaux, ainsi qu’il en fut souvent pour nombre de colonies
anglaises.
M.-L. WATERMARK.
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