Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°600 Juin 1940  > Page 323 Tous droits réservés

Causerie juridique

La divagation des chiens.

Les difficultés que fait naître la question des chiens en état de divagation ont fait l’objet d’un certain nombre de causeries parues dans les colonnes de cette revue. Tout récemment encore, nous avons eu l’occasion de nous en occuper, à l’occasion d’un jugement qui nous était passé sous les yeux, jugement par lequel le propriétaire du chien trouvé en état de divagation avait été relaxé de la prévention en raison de ce qu’il était établi que c’était par l’effet d’un accident fortuit et en dehors, non seulement de toute participation, mais même de toute imprudence ou négligence de ce propriétaire, que le fait de divagation s’était produit.

Nous sommes de nouveau appelé à nous occuper de cette question à l’occasion d’une nouvelle décision qui paraît avoir été rendue dans un sens analogue. Un correspondant nous a adressé, en effet une coupure d’un journal de l’Ouest de la France ainsi conçue :

À l’audience du 26 octobre 1939,1e Tribunal correctionnel de Quimperlé a rendu, en matière de chasse un jugement qu’il est intéressant de souligner. En voici l’espèce :

Un cultivateur de Querrien, qui n’a jamais chassé et qui, du reste, n’a jamais eu chez lui de fusil de chasse, est propriétaire d’un chien de garde. Trompant la surveillance de son maître, ce chien prit la clef des champs et fut rencontré sur le terrain d’autrui par un garde-chasse. Le garde verbalisa et le propriétaire du chien fut poursuivi devant le Tribunal correctionnel pour délit de chasse. La prévention excipait des articles 9 et 10 de la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse et de l’article 11 d’un arrêté de M. le préfet du Finistère en date du 15 décembre 1931.

Me Koun, avoué, défendeur du propriétaire du chien, s’attacha à démontrer, en invoquant une jurisprudence constante, qu’il ne peut y avoir de délit de chasse sans un acte volontaire de la personne à qui le délit est reproché. Dans le jugement qu’il a rendu le 26 octobre, le Tribunal correctionnel de Quimperlé relaxe le pseudo-délinquant, en déclarant illégal l’arrêté préfectoral du 15 décembre 1931 sur la divagation des chiens.

En effet, l’article 9 de la loi du 3 mai 1844, relative à la répression des délits de chasse, ne prévoit en matière de divagation de chiens qu’un cas où les préfets peuvent être appelés à prendre des arrêtés, et c’est l’hypothèse où il s’agit de prévenir la destruction des oiseaux ou de favoriser leur repeuplement.

Et, en nous adressant cette coupure, le correspondant nous déclare :

« La question intéresse tout particulièrement nos sociétés de chasse de la région qui font de grands efforts pour assurer le repeuplement du gibier. En effet, si la jurisprudence du jugement dont s’agit venait à être suivie, nous nous verrions réduits à l’impuissance et désarmés pour refreiner une des principales causes de la destruction du gibier ... »

La question, en effet, est intéressante et mérite qu’on s’y arrête.

D’après l’extrait du journal reproduit ci-dessus, c’est sur le fondement de l’illégalité de l’arrêté préfectoral auquel il avait été contrevenu que le prévenu avait été acquitté. Or l’article de cet arrêté qui vise la divagation des chiens et que nous envoie notre correspondant est conçu dans les termes suivants :

« ART. 11. — Pour prévenir la destruction des oiseaux et pour favoriser leur repeuplement, il est expressément défendu aux propriétaires de chiens de chasse, de berger ou autres, de laisser divaguer ces animaux dans les terres non closes, cultivées ou en friches, ainsi que dans les bois pendant toute la période de clôture de la chasse.

Cette formule est celle que l’on trouve, en termes à peu près identiques, dans tous les arrêtés permanents des préfets réglementant la chasse. Et sa légalité nous paraît ne pouvoir même être discutée.

Depuis longtemps, les auteurs et les juridictions répressives ont eu à s’occuper de la question. L’article 9 de la loi sur la chasse, relatif aux pouvoirs accordés aux préfets en cette matière, leur donne notamment le droit de prendre des arrêtés « pour prévenir la destruction des oiseaux et pour favoriser leur repeuplement ». Et il est aujourd’hui admis pour tous les auteurs et par la quasi-unanimité des décisions de justice que ce pouvoir concédé aux préfets leur permet notamment d’interdire de laisser errer les chiens dans les bois et la plaine. Entre beaucoup de décisions en ce sens, on peut mentionner particulièrement un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 janvier 1924, rapporté au Recueil hebdomadaire de Dalloz (année 1924, p. 123).

La seule question qui puisse se poser est la suivante : si l’arrêté qui prohibe la divagation des chiens ne précise pas que cette interdiction est faite par application de la disposition de l’article 9 de la loi sur la chasse et dans le but d’assurer la protection des oiseaux, on peut soutenir que la contravention à la prohibition ne constitue pas le délit de contravention aux arrêtés préfectoraux prévu par l’article 11 de la loi sur la chasse, mais une simple contravention de police tombant sous l’application de l’article 481-15° du Code pénal ; mais, si l’arrêté vise spécialement, pour justifier l’interdiction de la divagation des chiens, la nécessité d’assurer la protection des oiseaux, l’arrêté (dont la légalité ne peut en aucun des deux cas être mise en question) est sanctionné par l’article 11 de la loi sur la chasse et expose le délinquant aux peines prononcées par cet article.

Or le texte de l’arrêté préfectoral soumis à l’appréciation du tribunal correctionnel de Quimperlé visait expressément la disposition de l’article 9 de la loi sur la chasse, en en reproduisant littéralement les termes : « pour prévenir la destruction des oiseaux et pour favoriser leur repeuplement ». Dans ces conditions, nous ne concevons pas qu’il ait pu être déclaré illégal. Il était parfaitement légal, et sa sanction était celle de l’article 11 de la loi sur la chasse. L’arrêt de la Cour de cassation du 12 janvier 1924, rappelé ci-dessus, s’est prononcé formellement en ce sens.

Il semble, au surplus, à lire le compte rendu de l’affaire donné par le chroniqueur et dont nous reproduisons ci-dessus le texte, que le défenseur n’aurait pas opposé l’illégalité de l’arrêté du préfet, mais s’était borné à invoquer l’absence de tout fait volontaire imputable à l’inculpé. La question était ainsi portée sur son véritable terrain.

Nous n’entendons pas la discuter ici sous ce nouvel aspect : nous rappelons, en effet, qu’elle a été traitée il y a quelques mois seulement dans une de nos causeries, d’une manière approfondie, à l’occasion d’une affaire analogue. Nous nous bornerons aux seules observations suivantes :

D’une part, il n’est pas douteux que, si les délits de chasse ne nécessitent pas, de la part du prévenu, l’intention coupable, la volonté de violer la loi, du moins exigent-ils, de la part de leur auteur, un fait personnel et volontaire. À défaut de toute intervention personnelle du prévenu dans le fait qui lui est imputé, il ne peut y avoir délit de chasse.

D’autre part, et dans le cas spécial de la divagation des chiens, on doit considérer qu’il y a fait personnel et volontaire toutes les fois que le propriétaire du chien, ou celui qui en avait la garde, le laisser errer dans les bois ou la plaine, sans se préoccuper de l’en empêcher, sans prendre les précautions qui s’imposent si l’on veut sérieusement éviter le fait. C’est seulement dans le cas où il serait établi que le propriétaire ou le gardien de l’animal a pris toutes les précautions qui s’imposaient pour l’empêcher de divaguer et où le fait n’aurait pu se produire qu’en raison d’un cas fortuit ou d’une circonstance assimilable à la force majeure, qu’on pourrait estimer que le fait volontaire fait défaut.

Mais, même en ce cas, le prévenu, acquitté pour l’inculpation de délit de chasse, pourrait être puni d’une peine de simple police si la divagation était l’objet d’une interdiction générale. Et, d’ailleurs, en aucun cas, l’arrêté, libellé comme celui dont nous nous occupons, ne saurait être déclaré illégal.

Paul COLIN,

Avocat à la Cour d’appel de Paris.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 323