Les difficultés que fait naître la question des chiens en
état de divagation ont fait l’objet d’un certain nombre de causeries parues
dans les colonnes de cette revue. Tout récemment encore, nous avons eu
l’occasion de nous en occuper, à l’occasion d’un jugement qui nous était passé
sous les yeux, jugement par lequel le propriétaire du chien trouvé en état de
divagation avait été relaxé de la prévention en raison de ce qu’il était établi
que c’était par l’effet d’un accident fortuit et en dehors, non seulement de
toute participation, mais même de toute imprudence ou négligence de ce
propriétaire, que le fait de divagation s’était produit.
Nous sommes de nouveau appelé à nous occuper de cette
question à l’occasion d’une nouvelle décision qui paraît avoir été rendue dans
un sens analogue. Un correspondant nous a adressé, en effet une coupure d’un
journal de l’Ouest de la France ainsi conçue :
À l’audience du 26 octobre 1939,1e Tribunal
correctionnel de Quimperlé a rendu, en matière de chasse un jugement qu’il est
intéressant de souligner. En voici l’espèce :
Un cultivateur de Querrien, qui n’a jamais chassé et qui, du
reste, n’a jamais eu chez lui de fusil de chasse, est propriétaire d’un chien
de garde. Trompant la surveillance de son maître, ce chien prit la clef des
champs et fut rencontré sur le terrain d’autrui par un garde-chasse. Le garde
verbalisa et le propriétaire du chien fut poursuivi devant le Tribunal
correctionnel pour délit de chasse. La prévention excipait des articles 9
et 10 de la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse et de l’article 11
d’un arrêté de M. le préfet du Finistère en date du 15 décembre 1931.
Me Koun, avoué, défendeur du propriétaire du
chien, s’attacha à démontrer, en invoquant une jurisprudence constante, qu’il
ne peut y avoir de délit de chasse sans un acte volontaire de la personne à qui
le délit est reproché. Dans le jugement qu’il a rendu le 26 octobre, le
Tribunal correctionnel de Quimperlé relaxe le pseudo-délinquant, en déclarant
illégal l’arrêté préfectoral du 15 décembre 1931 sur la divagation des
chiens.
En effet, l’article 9 de la loi du 3 mai 1844,
relative à la répression des délits de chasse, ne prévoit en matière de
divagation de chiens qu’un cas où les préfets peuvent être appelés à prendre
des arrêtés, et c’est l’hypothèse où il s’agit de prévenir la destruction des
oiseaux ou de favoriser leur repeuplement.
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Et, en nous adressant cette coupure, le correspondant nous
déclare :
« La question intéresse tout particulièrement nos
sociétés de chasse de la région qui font de grands efforts pour assurer le
repeuplement du gibier. En effet, si la jurisprudence du jugement dont s’agit
venait à être suivie, nous nous verrions réduits à l’impuissance et désarmés pour
refreiner une des principales causes de la destruction du
gibier ... »
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La question, en effet, est intéressante et mérite qu’on s’y
arrête.
D’après l’extrait du journal reproduit ci-dessus, c’est sur
le fondement de l’illégalité de l’arrêté préfectoral auquel il avait été
contrevenu que le prévenu avait été acquitté. Or l’article de cet arrêté qui
vise la divagation des chiens et que nous envoie notre correspondant est conçu
dans les termes suivants :
« ART. 11. — Pour prévenir la destruction des
oiseaux et pour favoriser leur repeuplement, il est expressément défendu aux
propriétaires de chiens de chasse, de berger ou autres, de laisser divaguer ces
animaux dans les terres non closes, cultivées ou en friches, ainsi que dans les
bois pendant toute la période de clôture de la chasse.
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Cette formule est celle que l’on trouve, en termes à peu
près identiques, dans tous les arrêtés permanents des préfets réglementant la
chasse. Et sa légalité nous paraît ne pouvoir même être discutée.
Depuis longtemps, les auteurs et les juridictions
répressives ont eu à s’occuper de la question. L’article 9 de la loi sur
la chasse, relatif aux pouvoirs accordés aux préfets en cette matière, leur
donne notamment le droit de prendre des arrêtés « pour prévenir la
destruction des oiseaux et pour favoriser leur repeuplement ». Et il est
aujourd’hui admis pour tous les auteurs et par la quasi-unanimité des décisions
de justice que ce pouvoir concédé aux préfets leur permet notamment d’interdire
de laisser errer les chiens dans les bois et la plaine. Entre beaucoup de
décisions en ce sens, on peut mentionner particulièrement un arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 janvier 1924, rapporté au
Recueil hebdomadaire de Dalloz (année 1924, p. 123).
La seule question qui puisse se poser est la suivante :
si l’arrêté qui prohibe la divagation des chiens ne précise pas que cette
interdiction est faite par application de la disposition de l’article 9 de
la loi sur la chasse et dans le but d’assurer la protection des oiseaux, on
peut soutenir que la contravention à la prohibition ne constitue pas le délit
de contravention aux arrêtés préfectoraux prévu par l’article 11 de la loi
sur la chasse, mais une simple contravention de police tombant sous
l’application de l’article 481-15° du Code pénal ; mais, si l’arrêté vise
spécialement, pour justifier l’interdiction de la divagation des chiens, la
nécessité d’assurer la protection des oiseaux, l’arrêté (dont la légalité ne
peut en aucun des deux cas être mise en question) est sanctionné par l’article 11
de la loi sur la chasse et expose le délinquant aux peines prononcées par cet
article.
Or le texte de l’arrêté préfectoral soumis à l’appréciation
du tribunal correctionnel de Quimperlé visait expressément la disposition de
l’article 9 de la loi sur la chasse, en en reproduisant littéralement les
termes : « pour prévenir la destruction des oiseaux et pour favoriser
leur repeuplement ». Dans ces conditions, nous ne concevons pas qu’il ait
pu être déclaré illégal. Il était parfaitement légal, et sa sanction était
celle de l’article 11 de la loi sur la chasse. L’arrêt de la Cour de
cassation du 12 janvier 1924, rappelé ci-dessus, s’est prononcé
formellement en ce sens.
Il semble, au surplus, à lire le compte rendu de l’affaire
donné par le chroniqueur et dont nous reproduisons ci-dessus le texte, que le
défenseur n’aurait pas opposé l’illégalité de l’arrêté du préfet, mais s’était
borné à invoquer l’absence de tout fait volontaire imputable à l’inculpé. La
question était ainsi portée sur son véritable terrain.
Nous n’entendons pas la discuter ici sous ce nouvel
aspect : nous rappelons, en effet, qu’elle a été traitée il y a quelques
mois seulement dans une de nos causeries, d’une manière approfondie, à
l’occasion d’une affaire analogue. Nous nous bornerons aux seules observations
suivantes :
D’une part, il n’est pas douteux que, si les délits de
chasse ne nécessitent pas, de la part du prévenu, l’intention coupable, la
volonté de violer la loi, du moins exigent-ils, de la part de leur auteur, un
fait personnel et volontaire. À défaut de toute intervention personnelle du
prévenu dans le fait qui lui est imputé, il ne peut y avoir délit de chasse.
D’autre part, et dans le cas spécial de la divagation des
chiens, on doit considérer qu’il y a fait personnel et volontaire toutes les
fois que le propriétaire du chien, ou celui qui en avait la garde, le laisser
errer dans les bois ou la plaine, sans se préoccuper de l’en empêcher, sans
prendre les précautions qui s’imposent si l’on veut sérieusement éviter le
fait. C’est seulement dans le cas où il serait établi que le propriétaire ou le
gardien de l’animal a pris toutes les précautions qui s’imposaient pour
l’empêcher de divaguer et où le fait n’aurait pu se produire qu’en raison d’un
cas fortuit ou d’une circonstance assimilable à la force majeure, qu’on pourrait
estimer que le fait volontaire fait défaut.
Mais, même en ce cas, le prévenu, acquitté pour
l’inculpation de délit de chasse, pourrait être puni d’une peine de simple
police si la divagation était l’objet d’une interdiction générale. Et,
d’ailleurs, en aucun cas, l’arrêté, libellé comme celui dont nous nous
occupons, ne saurait être déclaré illégal.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
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