Il s’agit, avant tout, de s’entendre sur la signification du
mot « Léporide ». Le mot français est formé du mot latin lepus,
leporis (lièvre) et du mot grec (apparence). Cela veut
dire proprement « qui a l’apparence du lièvre ». Entendons-nous bien :
l’apparence seulement. Souvenons-nous aussi que les Grecs ajoutaient souvent la
désinence « ide » à un nom propre. Cela signifiait « fils
de ... » ; « descendant de ... ». Les Dardanides
étaient les descendants de Dardanus. Ce second sens, dérivé, est, vous le
voyez, bien différent du précédent.
En histoire naturelle, nous trouvons, dans l’ordre des
rongeurs, les léporides ou léporidés. Cette famille comprend : les
lièvres, les lapins et les lagomys. Ici léporide ne signifia pas « fils
de ... » ; le lapin n’est incontestablement pas le fils du
lièvre, il a simplement une vague apparence de lièvre.
Nous revenons dans le premier sens, le sens propre. Donc,
pour le naturaliste de cabinet, le lapin est un léporide.
Mais voilà une autre interprétation : pour beaucoup de
personnes, le léporide est le produit de croisement du lièvre et du
lapin : c’était si simple à imaginer ! C’est d’ailleurs une très
vieille histoire. Déjà, en 1858, P. Broca écrivait dans le journal de
physiologie : « Les métis de lièvres et de lapins, ou léporides, sont
féconds. Un éleveur d’Angoulême, Roux, livre chaque année, depuis quelque
temps, des milliers ( ! ?) de léporides au commerce,
etc. »J’en demande bien pardon aux mânes de Broca, mais le léporide ne se
reproduit pas, par la raison bien simple qu’en tant que fils de lièvre et de
lapin, il n’existe pas lui-même. Je sais bien qu’il y a eu, non seulement en
Angoumois, mais dans d’autres régions de la France, de prétendus éleveurs, en
réalité des marchands, qui ont lancé partout des annonces mensongères que les
ignorants et les gogos se sont empressés d’accueillir, ainsi que les histoires
montées de toutes pièces et qui ne ressemblaient pas plus à la réalité que les
mensonges d’Hitler ne ressemblent à la vérité. Après avoir inondé le public de
leur littérature, ils ont submergé le marché de leurs produits ..., des
lapins ! Le brave Broca, qui ne s’est pas donné la peine de contrôler, a
été, par sa trop grande confiance, victime de ces hâbleries. Mais, si Broca a
eu le grand tort de ne pas contrôler, d’autres l’ont fait depuis, et tous
sont arrivés à la même conclusion : « Le léporide, en tant que métis
du lièvre et du lapin, n’existe pas et n’a jamais existé ! »
J’ai suivi, là-dessus, les études du professeur Girard.
J’ai, moi-même, dans mon propre clapier, fait des expériences à diverses
reprises : je n’ai jamais obtenu le moindre résultat, dans le sens heureux
du moins. Certes, j’ai dû séparer mâle et femelle en des combats
terribles ; j’ai pu constater qu’il existe une inimitié de toujours
entre le lièvre et le lapin. Et voyez plutôt dans la nature : ces animaux
se fuient, et il suffirait, dans ces conditions, de ramasser dans un cabanon
étroit un couple, pour que, immédiatement, ces amoureux ennemis filent le
parfait amour ? Laissez-moi rire.
Je dois dire aussi qu’il y a des trompeurs de bonne foi. Ils
sont convaincus de ce qu’ils avancent, mais ils sont imprudents dans leurs
expériences, ou ne savent pas voir. J’ai vu, je le certifie, deux femelles
lapins mettre bas après avoir été enfermées avec un lièvre mâle. Seulement,
avant d’être mises avec le lièvre, ces femelles avaient été saillies par un
mâle du clapier, ce dont le propriétaire peu soigneux ne s’était pas aperçu.
Ce qui est bien certain, c’est qu’après plusieurs années
d’expériences sérieuses, la science, actuellement, nie formellement l’existence
du métis dit « Léporide ».
M. Édouard Langevin a mille fois raison quand il
écrit : « Un fait saute aux yeux : les témoignages donnés de
l’existence du métis ne sont que des attestations de seconde ou troisième main
dont le naturaliste ne peut se contenter. » Il en est malheureusement
toujours ainsi. Ayant poussé en ses derniers retranchements une personne qui
avait vu elle-même des léporides incontestables, elle finit par me répondre,
avec hésitation : « À vrai dire, je n’ai pas vu moi-même ces animaux,
mais je puis en garantir l’authenticité absolue. Étant en voyage d’affaires en
Belgique, mon beau-frère fit la connaissance d’un voyageur de commerce qui lui
affirma que, dans le village dont sa femme était originaire, il y avait un
petit retraité qui s’adonnait avec succès à cet élevage et qui en vendait les
produits sous le nom de Léporides. Qu’au reste, il était très facile de s’en
rendre compte, etc. » Et c’est toujours ainsi.
Et le « lièvre belge »ou « léporide »,
qu’en faites-vous ? Je le mets à sa vraie place. Le lièvre belge n’est ni
un lièvre, ni un léporide. C’est un honnête lapin, marqué de noir aux
extrémités des oreilles. C’est là tout ce qu’il a de commun avec le lièvre. Sa
structure osseuse est bien celle du lapin, et non celle du lièvre. Le lièvre
belge est un fort joli animal, très sélectionné, qui est, peut-être, je le
crois, du moins, apparenté à une autre sous-variété dite « lapin rose de
Belgique », c’est bien un léporide au sens primitif du mot, mais ce
n’est pas un métis lièvre-lapin.
Je ne cherche, aucunement, par ses lignes, à faire adopter
mon opinion personnelle, je fais simplement connaître l’opinion scientifique.
J. DHERS.
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