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Le lancer léger

Le saumon.

À la gaffe !

— Pour peu que le poisson dépasse une dizaine de livres, il n’est pas question de le faire entrer dans une épuisette.

Il est des rivières, principalement en Bretagne, où, à certaines époques (fin du printemps), on ne prend guère que des poissons de six livres en moyenne. Alors il est évidemment plus sûr de les prendre à l’épuisette qu’à la gaffe. Mais il faut une épuisette large et profonde, du modèle de celle des pêcheurs de carpe et, de toute nécessité, un aide pour la manier.

Pour les grands poissons, il n’y a pas d’épuisette qui tienne, et il faut une gaffe.

Celle-ci doit être parfaitement bien adaptée à son usage. C’est-à-dire que la courbure du crochet doit être large et que la pointe, parallèle au manche, doit être parfaitement piquante. Cela est très rare chez les armes, telles que vous les vend le commerce et un affûtage à la lime fine s’impose. Il est probable que, durant cette opération, les « filets » qui maintenaient vissé le protège-pointe, vont disparaître et que celui-ci ne tiendra plus. Ne vous en attristez pas et piquez seulement sur votre instrument, et solidement, un bon bouchon de liège.

Ayez-en un ou deux de rechange dans vos poches, en cas de perte. Car il ne faut jamais circuler avec une gaffe, la pointe nue : c’est tenter le diable et risquer pour vous, ou pour autrui, une terrible blessure.

Évitez, pour le saumon, les gaffes vissées sur un manche. Avec un poisson aussi vigoureux, vous risquez, au dernier moment, qu’il dévisse la gaffe.

Il y a bien une solution : c’est de renoncer au manche interchangeable épuisette-gaffe et de se décider à rendre celle-ci solidaire du manche. J’ai obtenu ce résultat automatiquement et sans le chercher après une saison de pêche en mer, du temps où il y avait encore des bars. La rouille a bloqué à merveille le pas de vis, et tout est pour le mieux.

Un de mes amis l’a obtenu aussi bien, mais volontairement, en « lutant » son pas de vis avec de la céruse. Les gaffes transportables ont un manche dit « télescopique », non pas qu’il vous permette d’apercevoir le saumon à grande distance, ce qui serait le sens du mot si nous parlions encore français, mais simplement parce qu’il est fait de deux ou trois parties qui entrent l’une dans l’autre et permettent de l’allonger ou le raccourcir. Veillez à son bon fonctionnement.

Dans les rivières où il faut marcher dans l’eau, un manche d’une seule pièce avec une bonne pointe ferrée est bien utile pour éviter les glissades fatales. On le passe en bandoulière pendant l’action de pêche.

Il est extrêmement utile d’avoir un porte-gaffe, à condition que celui-ci ne soit pas ce qu’on appelle un gaffeur. La présence d’un aide peut abréger de plusieurs minutes la durée de la bataille, et, à la fin de l’affaire, le temps est extrêmement précieux. Peut-être le bas de ligne est-il éraillé, ou l’hameçon ne tient-il que par un bout de peau. Le poisson est encore là. Y sera-t-il dans dix secondes ?

Mais rien n’est dangereux comme un maladroit ou un novice ..., si ce n’est le confrère complaisant mais jaloux qui sait que, si votre saumon se décroche, c’est peut-être lui qui le prendra demain, et qui agit en conséquence.

Aussi, si vous n’avez pas un aide sûr, agissez seul, c’est difficile ; mais quelle satisfaction supplémentaire cela vous procure !

Si vous n’avez jamais gaffé un poisson, il faut que vous sachiez qu’une gaffe bien pointue pénètre sans aucun effort « comme dans du beurre ». Il faut donner le coup sans brusquerie, mais sans hésitation. Le pire est de piquer légèrement le poisson sans se décider. Ce coup de banderille le rend furieux, et la catastrophe est à peu près inévitable.

Il ne faut, pas plus qu’avec l’épuisette « courir après le poisson ». Le poisson doit être amené sur la gaffe bien immergée, par une traction de la canne. Où vaut-il mieux donner le coup de gaffe ?

Partout où l’on peut, sauf dans le ventre, qui se déchire en laissant, s’il s’agit d’une femelle, s’égrener de pauvres œufs perdus !

Les auteurs anglais recommandent de gaffer plutôt près de la queue que près de la tête, car cela paralyse la puissante godille du poisson.

Quoi qu’il en soit, il faut se garder d’obéir, le coup donné, à ce réflexe instinctif du pêcheur à la ligne qui vous fait « rendre la main » à un poisson ferré. Il faut continuer le mouvement sans défaillance, arracher le poisson et l’envoyer sur le pré le plus loin possible.

Car, ce n’est pas fini, l’animal a toute sa vigueur et en trois bonds peut retourner à la rivière. Le pêcheur ou son aide doit sauter sur lui le plus vite possible, l’immobiliser du genou et de la main, et, de la main libre, l’assommer promptement.

Les ruraux se servent de leur sabot avec grande précision. Le pêcheur sportif a, en général, dans son sac, un assommoir, qui peut être un grand « dégorgeoir » alourdi du côté manche par un épais disque de plomb. À la rigueur, un couteau genre « armée suisse » à manche métallique, tenu par l’extrémité de la grande lame, peut suffire. Il faut frapper à la base du crâne. Si le coup est bien donné, le poisson se raidit, tremble de la queue, ouvre la gueule et les ouïes et s’immobilise.

Autres pêches.

— À la cuiller, au devon, au poisson-nageur.

Passons rapidement sur ces divers modes de spinning qui donnent lieu à des pêches assez semblables. En principe, c’est toujours en travers et en aval qu’il faut lancer, laissant dériver l’appât et le ramenant le long de la berge où se tient le pêcheur, et le plus doucement possible. Comme dans toute pêche au spinning, on ne saurait passer trop profond ni trop lentement. Pourvu que l’appât fonctionne, il va assez vite.

Comme dans toute pêche au saumon, on ne saurait trop s’acharner sur les bonnes places plutôt que de courir la poste en balayant la rivière, ça et là, au hasard. Si un poisson, s’accroche, la bataille s’engage de la même façon que je vous ai décrite à propos de la crevette et sa termine de même.

— Au poisson mort.

Rien de très différent, sinon qu’on peut manœuvrer l’appât encore plus lentement, et même l’arrêter et le dandiner devant un poisson qui l’a manqué, avec chances de succès, ce qui ne saurait être avec les appâts artificiels.

— Au ver.

Cet appât est considéré, je ne sais pourquoi, comme antisportif par les « purs ». Étant donné que, dans la pêche du saumon, provoquer l’accrochage du poisson est affaire de pur hasard servi par une persévérance obstinée, et que la seule phase difficile, sportive et intéressante, est la bagarre qui s’ensuit (ou qui s’en ensuit, pour obéir à M. Lancelot) je ne vois pas pourquoi il serait moins sportif d’accrocher un saumon avec un ver qu’avec n’importe quoi. Un gros ver, monté sur un gros tackle de Stewart (c’est-à-dire trois hameçons simples se suivant, empilés sur un gut de 30/100e) et plombé à 15 centimètres d’une chevrotine, est très attrayant. Mais le mieux, c’est le « paquet de vers », l’appât par excellence des braconniers. Cinq ou six vers moyens sur un hameçon 2/0 ; une olive de 10 grammes à 30 centimètres au-dessus, et on lance cela dans le remous et le laisse dériver doucement sur le fond, au ras des roches. Une fois le saumon accroché, il lutte aussi bien que s’il tenait la plus belle mouche anglaise.

— La mouche plombée.

Je vous l’ai décrite l’autre jour. On l’emploie en lançant en demi-travers vers l’aval, laissant bien plonger et dériver et « travaillant » doucement l’appât par de petits mouvements de la canne jusqu’à ce qu’il ait atteint la berge ; après quoi, on récupère très lentement, avec de fréquents arrêts. Cela ne vaut pas, en général, la mouche légère manœuvrée avec la canne à mouche, mais, dans certaines eaux, la mouche plombée est supérieure.

Nous en avons fini avec le saumon et, le mois prochain, nous nous occuperons du chevesne, poisson de saison.

A. ANDRIEUX.

(1) Voir numéros d’avril et de mai 1940.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 338