(Randonnée de 800 kilomètres, de Saint-Brieuc à Saint-Brieuc.)
Cette belle région de la France attire chaque année quantité
de touristes ; la Bretagne n’est-elle pas un lieu idéal pour celui qui
aime la mer ? il y trouve des plages exquises ; s’il préfère la
campagne, il n’a que l’embarras du choix parmi ces coins pittoresques situés à
proximité de belles forêts ou au bord de rivières aux rives charmantes. Enfin,
tout le monde sait combien l’accueil est empreint de cordialité et, chose très
appréciable, combien aussi les prix de séjour sont bon marché.
Pour le cyclotouriste, je crois le mois de juin (1),
l’époque la plus favorable pour visiter l’Armor ; en effet, les hôtels ne
sont pas encore trop encombrés, la saison ne commençant guère que vers le 15 juillet,
et les routes toutes excellentes — pas trop sillonnées par les
automobiles ; à ce sujet, je me dois de signaler (c’est tellement rare
dans certaines autres contrées de la France) la prudence des automobilistes
bretons qui ne frôleront jamais un cycliste.
De Saint-Brieuc, point de départ, quelques lignes ne
donneront qu’une idée très sommaire de cette petite ville fort agréable, bâtie
sur un promontoire. La cathédrale est d’un style assez curieux ;
Notre-Dame d’Espérance mérite une visite ; à l’intérieur, la chaire est
très remarquable avec, au pied, ces personnages sculptés grandeur naturelle. Ce
qui forme l’attrait principal de Saint-Brieuc, ce sont ces grandes promenades
d’où la vue est superbe, mais où le coup d’œil est encore bien plus joli ;
c’est du rond-point où s’élève la statue très expressive d’Anatole Le Braz, le
chantre de la Bretagne ; là, un cadre enchanteur s’offre au regard qui
embrasse le magnifique viaduc du Toupin, la tour de Cesson et la mer. Enfin le
promeneur se doit de prendre le petit train, et aller jusqu’au phare ;
pour une somme modique, il fera là un petit voyage très pittoresque où, après
avoir franchi l’élégant viaduc de Souzin, que j’emprunterai le lendemain, en
vélo, en entamant la première étape, il atteindra l’estuaire du Gouet et la
plage de Saint-Laurent, sites typiques.
C’est le jour du départ ; je quitte Saint-Brieuc au
début de la matinée et le soir me trouvera à Tréguier. Tout de suite j’ai une
idée du relief du sol : c’est déjà la montée ; ce sera, tout le
temps, des montagnes russes, mais rarement de longues côtes. Binic sera la
première plage rencontrée ; c’est par excellence, la plage très calme,
donc très reposante. Un peu plus loin, celle de Saint-Quay Portrieux où un
chemin de ronde, au bord de la mer, offre une vue superbe. Puis, après avoir
traversé Plouezec, je découvrirai l’anse de Paimpol, parsemée d’innombrables
petites îles et d’écueils où se brise la mer. Quelques kilomètres encore et, à
l’entrée de Lezardrieux, je traverse un beau pont suspendu d’une longueur de
254 mètres jeté sur le Trieux, d’où, en amont comme en aval, le cours de
la rivière, très large en cet endroit, retient l’attention. Une route sans
histoire, et voici Tréguier avec sa cathédrale qui est certainement la plus
belle de Bretagne, magnifique monument du XIVe siècle dont la flèche
ajourée s’élève à 63 mètres. À l’intérieur, les hautes voûtes abritent le
tombeau, combien finement ciselé, de saint Yves, patron des avocats, et, tout
près, sous une dalle de marbre rose, Jean V, duc de Bretagne, y repose.
Tout un article serait nécessaire pour parler de cet édifice que les siècles
passés ont rendu célèbre. C’est dimanche, et, le soir, à minuit (sic),
un mariage sera célébré après le repas nuptial ; c’est là une coutume,
qui, tout en étant assez rare, existe encore néanmoins. Tréguier, bâtie au bord
de la rivière qui porte ce nom et qu’enjambent deux beaux ponts métalliques,
l’un routier, l’autre ferroviaire, est aussi la ville aux vieux
immeubles ; un mérite l’attention : la maison natale d’Ernest Renan.
J’ajouterai aussi, comme curiosité, un beau calvaire, différent de tous les
autres que je devais rencontrer.
Après un repos réparateur, il me faut, le lendemain, gagner
Morlaix. La route, jusqu’à Perros-Guirec, n’offre aucun attrait particulier,
mais cette mondaine station balnéaire est certainement, par la diversité de ses
sites, la plus célèbre et la plus importante des côtes bretonnes baignées par
la Manche ; on a, en empruntant la corniche, une vue splendide de ce coin
délicieux. Quelques kilomètres plus loin, deux autres plages sont excessivement
coquettes : Ploumanach avec ses immenses rochers et, bâti en mer, tout
près du rivage, le beau château de Costaeres, où fut écrit Quo Vadis ;
Trégastel, avec son amoncellement de rochers, dont le plus curieux en mer est
le Dé ; à l’entrée du pays, un amas de blocs énormes sous lesquels vit,
paraît-il, une famille de Troglodytes et que surmonte une statue du « Père
Éternel » du plus curieux effet.
Je reprends la route et gagne Lannion que je me contente de
traverser ; une côte assez rude et, plus loin, c’est la descente sur
Saint-Michel-en-Grève, dont l’immense plage de sable fin s’étend jusqu’à Saint-Efflam.
Le parcours est maintenant très dur. Enfin, voici Morlaix avec son majestueux
viaduc qui domine la ville de ses 58 mètres de hauteur ; la longueur
de ce gigantesque ouvrage d’art atteint 292 mètres ; la première
pierre a été posée le 20 juillet 1861.
De Morlaix à Landivisiau, il y a 23 kilomètres
par la route directe ; en prenant le chemin des écoliers, je vais en faire
60. J’irai d’abord à Carantec par une route excessivement agréable qui longe la
rivière sur la rive gauche ; le parcours est très pittoresque. De
Carantec, on aperçoit, isolé au milieu des flots, le rustique château du
Taureau et, de la Chaise du Curé, simple petit rocher sans importance situé à
l’extrémité du pays, on distingue nettement l’île Callot avec son église ;
au loin, sur la gauche, se détachent dans le ciel, les deux flèches de la
cathédrale de Saint-Pol, le haut clocher du Kreisker et celui de Roscoff.
Poursuivant ma route, je vais traverser le beau pont de la Corde, ouvrage en
ciment armé, jeté sur le Penzé et inauguré le 30 octobre 1927.
Me voici donc arrivé à Saint-Pol-de-Léon ; c’est jour
de marché, grande foule dans les rues. Ce qui vous frappe en entrant dans la
ville, c’est le magnifique Kreisker, dont le clocher, haut de 78 mètres,
n’a pas moins de 80 ouvertures. Il faut entrer dans cette belle église où
l’attention se trouve tout de suite attirée par le curieux procédé de sa
construction : les piliers sont d’inégale épaisseur et le chœur est
incliné à droite ; elle est, en outre, très intéressante à visiter. Il ne
faut pas manquer de voir également la basilique qui contient des richesses
architecturales. C’est l’heure du déjeuner ; dans un hôtel du pays, je
fais un succulent repas dont le menu et le prix sont sans concurrence possible.
Poussant une pointe jusqu’à Roscoff que je visite rapidement
sous la pluie, je n’en citerai que l’église Notre-Dame de Croaz-Batz, à
l’intérieur de laquelle des bas-reliefs d’albâtre du XVe siècle sont
fort remarquables.
(À suivre.)
M. VERGNE.
(1) Cette randonnée a été faite en Juin 1939.
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