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La méthode néo-suédoise

Quelques semaines avant que l’orage éclate de nouveau sur l’Europe, alors qu’on ne pensait pas encore que les Scandinaves retiendraient ce printemps notre attention d’une façon si directement capitale, une grande manifestation d’Éducation physique, dont l’ampleur rappelle celle des Sokols tchécoslovaques, se déroulait à Stockholm : la Linguade de 1939.

Pendant plus d’une semaine, la capitale suédoise fut comme une colossale tour de Babel où évoluèrent, non seulement les « as », mais les femmes, les enfants, les vétérans provenant de tous les pays où la méthode de Ling est enseignée. Et ce fut l’occasion de mettre à nouveau à l’ordre du jour la discussion entre la tendance statique et la tendance dynamique.

Nous avons à plusieurs reprises, dans ces colonnes, exposé les raisons pour lesquelles nous sommes l’adversaire d’une méthode standard, et de cette « guerre des systèmes » qui, lorsqu’elle est poussée jusqu’à l’ostracisme, fait à la cause de l’Éducation physique plus de tort que de bien. Et pour lesquelles nous préférons cet éclectisme, qu’est la tendance française, et qui laisse la liberté de choisir parmi tant de méthodes excellentes, depuis la classique gymnastique analytique jusqu’aux sports de compétition, en passant par la méthode Hébert, et, pour les femmes, la gymnastique harmonique et la danse, selon l’âge, le sexe, les tendances, les aptitudes et ... les goûts, de chaque élève. Car nous persistons à penser que c’est en variant les champs d’activité et en faisant de l’effort un plaisir et non une contrainte, qu’on y amènera les hésitants, et que c’est en laissant les méthodes se concurrencer librement que jailliront la lumière et le progrès, toutes ayant leurs avantages et leurs faiblesses, mais toutes sincères et ayant le même but : celui du mieux-être et de l’harmonie associée à la santé de l’individu.

Nous nous abstiendrons donc, surtout en cette période, de revenir aujourd’hui sur ces vieilles controverses, et, nous limitant à la méthode de Ling, de noter chez elle, au cours de ces dernières années, une certaine évolution dont on ne peut que se féliciter.

On remarqua d’abord que les démonstrations de Suédoise classique ont fait une large place aux mouvements construits, et une tendance à avantager la forme dynamique des mouvements aux dépens de la gymnastique de maintien, comme si l’on tenait compte, précisément, des principales objections présentées si souvent, ici même, à cette méthode par ailleurs si riche en bonnes et belles choses.

Si bien que les élèves de Ling eux-mêmes reconnaissent aujourd’hui ce qu’a d’utile l’addition des mouvements fonctionnels aux mouvements construits, puisque, dans son compte rendu, le Dr Fournié, président de la Ligue française d’Éducation physique (dont l’animateur fut le regretté Philippe Tissié), la qualifie sans hésiter de « néo-suédoise », et constate avec une netteté qui lui fait honneur que, ainsi comprise, « elle présente plus de naturel et de fraîcheur, plus d’indépendance et d’estime pour la prestance, une faculté d’adaptation plus grande pour les différentes catégories de gymnastes. »

Il ne s’agit pas d’opposer la Néo-suédoise à la Suédoise ; un progrès n’est pas un renoncement aux idées initiales, ni à l’effort méritoire des précurseurs, bien au contraire. Mais il est bien certain que, parvenue à la fin du programme de l’ancienne méthode, un athlète ne s’en contente plus, et recherche à traduire en mouvement, en vitesse et en rendement les qualités ainsi acquises. Et c’est précisément ce que nous avons toujours prétendu, en nous élevant contre cette barrière que, l’on ne sait pourquoi, certains théoriciens ont voulu établir entre l’Éducation physique et le Sport, comme si ces deux mots n’étaient pas l’expression d’un même besoin de développement, de mouvement et d’action, à la forme et au dosage près. À condition, cependant, de pousser le dynamisme vers le geste sportif plutôt que sur l’acrobatie, cette dernière devant rester une spécialité, je dirai presque une profession, et n’étant pas sans danger pour qui l’aborde sans aptitudes personnelles et sans des précautions qui nécessitent du travail et du temps, plus que toutes les autres. Tandis que le sport est l’émanation directe et naturelle des tendances de tout être sain à réaliser au mieux des actes essentiellement humains et instinctifs.

Ce qui fut enfin remarquable au cours de cette Linguade, c’est le nombre et la qualité des démonstrations fournies par des représentants de nombreux pays, et qui prouvèrent que, grâce à un dosage judicieux et à un entraînement rationnel, l’immense majorité des « individus moyens » peut prétendre à une production parfaitement convenable et d’un niveau assez élevé, et qu’il suffirait de vouloir et d’organiser pour transformer, en une ou deux générations, l’espèce humaine et réparer dans une large mesure la déchéance physique et motrice dont deux ou trois siècles de paresse musculaire ont fait de l’homme moderne, à quelques exceptions près, un animal très inférieur à nos ancêtres. Enfin, il fut agréable de constater l’effort réalisé, dans presque toutes les nations, dans la vulgarisation et l’obligation de l’éducation physique à l’École, et de la culture plus vaste, tant du point de vue technique que pratique, des professeurs ou moniteurs.

Envions, nous sportifs, les gymnastes qui ont pu réaliser, avant le drame, leur Linguade, dans ce même Stockholm où Ling fit connaître ses méthodes, car nous n’aurons pas, hélas ! nos Jeux Olympiques qui devaient, en 1940, se dérouler à Helsinski, où nos amis de Finlande avaient fait tout pour recevoir les sportifs du monde entier avec leur habituelle hospitalité. Et souhaitons que ces heures douloureuses feront place enfin à la vraie paix, qui permettra au Sport et à l’Éducation physique leur renaissance définitive dans l’ambiance de fraternité et de sécurité nécessaire à la réalisation de toutes les grandes entreprises.

J. ROBERT.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 344