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Automobilisme

Le gazogène et la guerre.

Il faut bien y revenir sur cette question brûlante d’actualité. Quand, il y a cinq ans bientôt, nous attachions le grelot dans ces colonnes, nous ne pensions pas que les événements nous donneraient si vite raison. Nous insistions alors sur tous les avantages qu’apporterait à notre pays l’emploi du gaz des forêts, à la France, si riche en bois et si pauvre en pétrole. À l’heure où la lutte se développe sur le plan économique et où il importe de ménager notre or, comme la traction à l’aide de carburants solides mérite, des pouvoirs publics, une attention particulière. A-t-on fait tout ce qu’il était possible pour la généraliser ? Les directions officielles intéressées ont passé d’un ministère à l’autre et, maintenant, en pleine guerre, à l’heure où l’essence devient rare, il serait grand temps d’agir. Il nous a paru utile de mettre, sous les yeux de nos lecteurs, un résumé succinct de cette affaire.

Depuis le début des hostilités, un nombre restreint de camions est mis à la disposition du public sous la réserve de les équiper avec des gazogènes. Voilà un premier pas ! Quand on discute de gazogène, on situe, à notre sens, rarement bien le problème. Il y a le véhicule neuf, étudié et construit pour marcher au gaz pauvre ou gaz des forêts, et la voiture prévue pour fonctionner à l’essence sur laquelle on adapte un gazogène. Ce sont deux choses nettement différentes. Dans le premier cas, on ne se contente plus de solutions moyennes. Les sections d’arrivée du gaz sont largement prévues, le taux de compression approprié, l’arbre à cames assure de fortes levées de soupapes, les cylindrées sont amples, les démultiplicateurs en rapport. L’allumage est renforcé et l’on fait appel, pour le moteur, aux aciers inoxydables, surtout si l’on en a vue l’emploi direct du bois. La majorité des constructeurs monte des gazogènes, de leur fabrication ou d’après licence, sur des châssis spécialement établis. La plupart emploient le charbon de bois, quelques-uns le bois, tel Berliet, le premier venu au gazogène et dont les débuts en la matière remontent à vingt ans. Son gazogène à bois est d’un fonctionnement sûr, et l’épuration est si poussée que la durée du moteur ne se trouve nullement affectée. Les efforts de ce précurseur méritent, ici, une mention particulière. Nos lecteurs reconnaîtront que nous en sommes avare. L’« adaptation », par contre, a fait beaucoup parler d’elle : c’est que les appareils du début, plus ou moins bien conçus et réalisés, lui ont fait beaucoup de tort. Aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre. Et maintenant, ouvrons une parenthèse. Le gaz est produit de la façon suivante. L’air, aspiré par le moteur, arrive, dans le foyer, sur une masse de charbon incandescent. Il se produit de l’anhydride carbonique ou acide carbonique, par combustion complète. Celui-ci, se dirigeant vers la sortie, doit traverser à son tour des couches de charbon aux températures décroissantes, où il se trouve réduit bientôt en oxyde de carbone. Cette réaction s’opère dans un cylindre de tôle appelé générateur. Par le haut, on introduit le combustible. Les cendres tombent, en bas, dans un cendrier. C’est de là également que part le gaz pour commencer son circuit. L’air arrive au foyer, soit par des évents nécessitant un revêtement en terre réfractaire, soit par une ou plusieurs tuyères débouchant au centre de l’appareil. La tuyère rend ce revêtement superflu, limite la masse incandescente, donne d’excellentes reprises et facilite l’allumage du gazogène. Les gaz, ensuite, passent dans une boîte à poussières où ils se détendent, se refroidissent et déposent leurs plus grosses particules solides. Différents dispositifs activent cette opération ; chicanes, renversements de marche, chocs, tourbillons, etc. L’oxyde de carbone parvient enfin à l’épurateur où il se filtre d’une façon parfaite. On fait passer pour cela le gaz à épurer au travers de couches de coke, de charbon de bois, d’anneaux Rasching ou de tissus de coton. Un filtre de sécurité, en toile métallique, complète le tout. On dispose souvent, à la sortie du générateur, un « témoin », sorte de petit tampon de ouate, indiquant, par son état de blancheur, la pureté du gaz. Ce dernier est prêt pour se rendre au mélangeur. Ce dernier assure le dosage d’air nécessaire à l’oxyde de carbone pour le rendre détonant. L’arrivée d’air est réglée par une vanne, cependant qu’un papillon, commandé par la pédale d’accélération, réglemente le débit du mélange air-gaz et, partant, le régime du moteur. On combine d’ailleurs souvent le carburateur, en marche à l’essence, avec le gaz des forêts. Ceci a pour avantages de permettre des départs sur l’essence, tout comme une voiture classique, et d’utiliser une telle alimentation dans le cas de panne du gazogène, défaut de combustible, ou petits déplacements. L’ingéniosité des chercheurs s’est donné libre cours quand il a fallu disposer ces appareils sur un véhicule automobile. La première qualité a été la légèreté, la seconde le minimum d’encombrement. Pour les camions et camionnettes, on place le générateur et l’épurateur de chaque côté de la cabine du conducteur. La boîte à poussières ou décanteurs se tient à l’arrière, horizontalement sous la carrosserie. Le circuit de la tuyauterie, autour du châssis, permet un bon refroidissement.

Pour les voitures de tourisme, ce sont les ailes ou encore la malle arrière qui sont mis à contribution. Mais signalons un tout récent dispositif qui rencontre une grande faveur auprès des usagers : c’est l’emploi d’une petite remorque, à une ou deux roues, sur laquelle sont montés tous les appareils et accessoires. Cette remorque, attachée en deux points fixes pour permettre la marche arrière, est très courte. Pas de modifications ni de déformations à faire subir à la carrosserie. Un seul tube, sous la voiture, amène les gaz au moteur. Un accrochage rapide et un raccord de tuyaux à desserrer, et la remorque est retirée. Les avantages d’un tel montage sont nombreux : possibilité de rouler sur l’essence pour des déplacements de ville et avec le gazogène pour la route, tenue de route non affectée par l’adjonction d’un poids supplémentaire, ressource de vendre et d’utiliser séparément, le moment venu, la voiture et le gazogène.

Comme combustible, on peut utiliser le bois, le charbon de bois, les agglomérés (genre carbonite), les sarments de vigne, le marc de raisin, les coques d’arachide, de palmiste, de noix de coco, les graines de cotonniers, etc., sans oublier l’anthracite.

Pratiquement, on peut remplacer 1 litre d’essence par lkg, 150 de charbon de bois ou par 2kg,500 de bois. On mesure toute l’économie qu’il est possible de réaliser en comptant le charbon de bois à 1 fr. 10 le kilogramme et l’essence à 4 fr. 50 le litre, sans parler du bois. Notons que le bois doit être séché (plusieurs mois) et calibré.

Le combustible idéal est incontestablement le charbon de bois. Avec lui, il n’y a plus de trace de goudron et son inflammabilité est instantanée. Il en résulte une épuration plus simple et des appareils moins volumineux. Son emploi est général pour les « adaptations » de voitures de tourisme.

Les transformations posent d’ailleurs quelques problèmes. Le gaz, obtenu avec les gazogènes, donne, après mélange avec l’air, un pouvoir calorifique de 600 calories environ par mètre cube. Or, un mètre cube de mélange gaz d’essence et air donne 860 calories. En substituant purement et simplement un gazogène au réservoir d’essence, on aura une perte de puissance ou de vitesse voisine de 30 p. 100. Dans certain cas, on peut s’en contenter : voiture surpuissante, rapide, charge rarement au maximum, vitesse suffisante, etc. Heureusement qu’il est possible de pallier dans une large mesure à cette perte sèche. Pour cela, on accroit le taux de compression du moteur, soit en rabotant la culasse, soit en montant des pistons plus hauts. Les tubulures d’arrivée des gaz au moteur sont remplacées par d’autres à section plus grande, l’avance à l’allumage est accrue. On peut même atteindre exactement le même rendement qu’à l’essence, en montant un compresseur.

Les gazogènes pour adaptation, si simples qu’ils soient, atteignent, avec la pose et les quelques modifications indispensables, 12.000 à 15.000 francs. Il est évident que, pour des véhicules d’occasion, un tel prix présente un sérieux handicap. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que l’amortissement est rapide. Une fabrication en grande série devrait faire baisser cette somme. Signalons l’initiative de certaine organisation vendant seulement les plans, dessins et instructions, pour que tout industriel, entreprise ou amateur, tant soit peu habile, puisse construire soi-même ou faire établir, suivant directives, un gazogène au charbon de bois. Cette façon de procéder, particulièrement économique, généralisera l’emploi du gazogène à notre époque difficile et troublée.

Comme carburant de remplacement, on a mentionné le gaz d’éclairage. Ce dernier a un pouvoir calorifique, toujours avec l’air, de 670 calories : c’est un peu mieux que le gaz pauvre (remarquons pourquoi on l’appelle pauvre), mais guère. Il faut le comprimer en bouteilles, le transporter, le détendre, créer une organisation ; son prix de production est loin d’être sensible. Le gaz des forêts est de loin le plus économique. C’est pour cela qu’on peut avoir confiance en son avenir.

G. AVANDO,

Ingénieur E. T. P.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 344