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La fenaison et la guerre

Depuis septembre, il a fallu faire la moisson, vendanger, assurer la récolte des racines et des tubercules, celle des pommes, ensemencer avant l’hiver, puis procéder aux semis de grains de printemps, semer des betteraves, planter des pommes de terre, semer du maïs, faire quelque entretien des cultures, et voici les premières récoltes : celles des fourrages.

Dans certaines régions, la récolte des fourrages est plus préoccupante que celle des moissons, en raison d’un autre équilibre des cultures, et l’on se demande comment il sera possible d’en sortir. Que peut-on écrire, à ce sujet, lorsque l’on sait que tout se résout en une question de main-d’œuvre ?

Le problème présente, d’ailleurs, des côtés dont il ne faut pas se désintéresser. Il ne s’agit pas de rentrer à la ferme n’importe quoi et de se déclarer satisfait ; il serait désirable de rentrer des produits présentant le maximum de qualité. On va dire que ce sont des exigences hors de saison. Peut-être apparemment ; mais, au fond, pour qui récolte-t-on du fourrage ? pour des animaux variés dont on attend du travail, de la viande, du lait, du croît. Alors le nombre d’heures que l’on passe à distribuer les rations est exactement le même, que l’on ait affaire à du bon foin ou à du mauvais. Du bon foin, c’est une ration mieux établie au départ, dont la correction par des aliments concentrés est plus facile et moins coûteuse à réaliser ; sur place, on possède des éléments de valeur, et l’on n’a pas autant à se soucier d’acheter du tourteau, par exemple. Conclusion : faire un effort pour réaliser au mieux la récolte. C’est fort intéressant en temps de paix, c’est encore plus précieux en temps de guerre.

Le fourrage possède une haute valeur nutritive, lorsqu’il est jeune ; on connaît les tentatives de coupe d’herbe jeune et de conservation par l’ensilage, de compartimentage des prairies pâturées pour que les animaux aient constamment à brouter des herbes jeunes, savoureuses et riches. Par conséquent, la coupe hâtive est meilleure que la coupe tardive. Toutefois, la coupe hâtive a lieu plus près d’une queue de printemps pluvieux que des jours naissants de l’été ; en retardant, le travail est plus facile, et le séchage est un peu plus aisé. On sera donc tenté de ne pas se hâter. Cependant, on sait aussi qu’une herbe qui a durci est de moins en moins nutritive. En fauchant tard, enfin, on sacrifie aussi la coupe suivante. Donc observer une tendance moyenne. Si la chose est possible, allonger plutôt en commençant de bonne heure afin de gagner sur la fin.

Autre question : on fauchera comme on pourra ; maintenir le mieux possible l’équilibre entre ce qui est coupé et ce qui est fané. Ne pas se jeter à corps perdu dans la coupe, mais régler celle-ci sur l’allure de la fenaison. Un fourrage sur pied perd lentement de sa valeur nutritive, un fourrage fané qui reçoit la pluie n’a plus grande valeur.

Au lieu d’éparpiller les forces, les grouper, les rassembler, traiter intensivement ce qui a été fauché et le mettre relativement à l’abri sous forme de tas de grosses dimensions. Si les bâtiments le permettent, essayer de la rentrer sans séchage rigoureux en additionnant de sel.

Le fourrage est coupé ; il se présente en andains, bien rassemblés à la main, plus larges à la faucheuse ; disposer attentivement sur la faucheuse la planche à andains pour rétrécir ceux-ci. En cas de mauvais temps, on s’abstient de remuer les andains non fanés et la pluie altère moins le paquet d’herbe verte que la couche mince.

Naturellement, toutes ces opérations ne se règlent pas mathématiquement ; il faudrait n’avoir jamais fait une campagne de foins pour croire que tout se déroule sans difficultés. La chose arrive, on peut traverser une belle période ; mais, le jour où la faucheuse entre dans le pré ou le champ, personne ne sait ce qui se passera pendant les trois à quinze jours suivants. Être prudent, actif et décidé.

Il y a des formules de fenaison qui donnent un peu de sécurité ; quand le climat est inégal, plutôt orienté vers le temps variable que vers le beau sec : question de latitude surtout, il faut redouter les accidents. Pour les fourrages artificiels, la luzerne, le trèfle, il est intéressant de sécher sur siccateurs. La coupe, vingt-quatre à quarante-huit heures de ressuyage, le ramassage en roules, la mise sur siccateurs. Moins de travail qu’à remuer et à refaire des tas ; surtout tranquillité en attendant la rentrée à la ferme.

En ce moment, il serait un peu puéril de faire de larges recommandations, où trouver le matériel ; mais ce qui constituait une cause d’apaisement en temps normal devient extrêmement précieux en période agitée. On laisse le fourrage sur les siccateurs, la coupe et la fenaison se poursuivent ; avant la fin, tout à fait à la fin de la première coupe, même par des journées de temps médiocre, on procède à la rentrée ; c’est un, peu plus long à charger qu’au tas, mais le produit rentré, par son aspect, son odeur, sa qualité, récompense celui qui l’a ainsi préparé, les frais d’acquisition des siccateurs, leur amortissement, leur entretien sont largement compensés.

Il y aurait un autre moyen de s’assurer moins de soucis. Ce serait de recourir à l’ensilage en vert. On coupe, on ramasse, on rentre ; immédiatement, sans être froissée, piétinée, écrasée, la coupe suivante se prépare. Dans le silo, une herbe entière, pas de pertes, pas une feuille perdue, c’est bien tentant. Il n’est pas possible d’improviser des silos de toutes pièces ; mais si l’on dispose d’un large fossé sain, à l’abri des eaux de surface et d’infiltration ; si l’on a un mur solide au long duquel on puisse accumuler de la marchandise qui, après tassement, représentera un poids de 700 à 800 kilogrammes au mètre cube, que l’on essaie. Même on peut essayer tout simplement une meule en plein air, de forme circulaire ou rectangulaire.

L’ensilage est parfaitement adapté à un début de saison ; on dégage un peu de la surface à faner ; on s’assure une seconde pousse hâtive qui arrivera à merveille, lorsque les jours chauds risquent d’arrêter la pousse de l’herbe. Ainsi, commençant tôt sans les risques d’une fenaison difficile parce que le beau temps n’est pas stabilisé, on tend vers un raccourcissement de la période de fenaison.

Toutefois, un écueil, si un hectare produit 4 tonnes de foin, c’est un poids de 16 tonnes qu’il faut ramener en vert ; le moyen est donc plus intéressant près de la ferme qu’au loin. En réalité, il est sage de ne pas s’en tenir aux procédés invariablement les mêmes et de chercher à mieux faire.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole, Professeur à Grignon.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 354