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Le soja et sa culture en France

Le soja est une légumineuse originaire de Mandchourie et de Chine. Il y est connu depuis des milliers d’années et constitue la partie azotée de l’alimentation des Extrêmes-Orientaux ; le riz occupe une place légendaire dans leur régime, mais, amidon presque pur, il n’aurait pas permis, seul, à la race jaune de prospérer ; le soja équilibre la ration alimentaire qui, sans lui, serait déficiente en graisses, protéines et matières minérales.

En effet, voici la composition moyenne des graines de soja et des grains usuels.


 
Soja.
p. 100
Riz.
p. 100
Blé.
p. 100
Maïs.
p. 100
Fèves.
p. 100
Matières grasses 17 0,5 2 4 1
Matières azotées 36 7,7 12 9 26
Matières minérales 5 0,5 2 1 3
Matières hydrocarbonées 27 75,0 69 70 48
Cellulose 5 2,3 2 3 8
Humidité 10 14,4 13 13 14

Les hautes teneurs en matières grasses, azotées et minérales, sont remarquables. Ces éléments précieux pour l’alimentation humaine en font une véritable viande végétale.

Tout se dispose au mieux dans cette graine ; les hydrates de carbone, que la plupart des grains fournissent à l’état d’amidon, s’y trouvent sous forme de sucres facilement assimilables, et la présence même de la cellulose est une circonstance heureuse ; elle assure le bon fonctionnement de l’appareil digestif en massant l’intestin.

De plus, aucune substance nuisible n’a pu y être décelée. Les races jaunes utilisent le soja depuis des millénaires ; les États-Unis, depuis vingt-cinq ans, en ont étudié, acclimaté et développé la culture en grand, et les applications agricoles, industrielles et alimentaires. En 1936, la production américaine a atteint un million de tonnes. L’Angleterre, l’Allemagne et les Pays Scandinaves se sont bornés, jusqu’ici, à employer la graine provenant de Mandchourie. Les Pays Balkaniques, sous l’impulsion d’organisateurs allemands, se sont mis récemment à cultiver la plante précieuse dont le Reich fait le plus grand cas ; il en connaît les mille ressources.

Au contraire, le soja est peu connu et à peine employé en France, où pourtant une élite, savants, médecins, industriels ... a depuis longtemps étudié cette plante aux applications si variées.

En temps de paix, la France est privilégiée comme matières grasses, industrielles ou alimentaires, sans parler des graisses d’origine animale, ni des beurres incomparables produits en de nombreuses régions. La Provence et les départements ou protectorats Nord-africains nous fournissent l’huile d’olive ; le Sénégal offre d’abondantes ressources avec ses arachides, si bien que, comme oléagineux, le soja a peu retenu l’attention, à moins qu’il n’ait été considéré comme un concurrent possible, éliminé a priori.

Les producteurs de lait ont redouté que le soja n’alimentât l’industrie de la caséine, au détriment des sous-produits de l’industrie laitière. Enfin, si favorisée par la variété et la qualité des produits de son sol, la France n’a jamais retenu les usages culinaires du soja, en dehors des produits de régime, en particulier pour les diabétiques auxquels il apporte un pain acceptable.

Pourtant, la liste des industries alimentaires où le soja trouve place est impressionnante : boulangeries, charcuteries, conserves, pâtes alimentaires, fabrication de margarines dites « de table », confiturerie, biscuiterie, chocolaterie, etc. N’oublions pas non plus que, torréfié, le soja est un excellent succédané du café.

Comme nous l’avons dit plus haut, le soja est cultivé en Asie, et, dans l’énorme étendue de la Mandchourie aux Indes. Les climats et les sols l’ont différencié en un nombre considérable de variétés, issues de la plante sauvage. Depuis 1915, les États-Unis ont créé et fixé des variétés adaptées à leurs régions caractéristiques : « zone du coton », « zone du maïs », « zone du blé ».

En France, cet exemple n’a été suivi que par quelques novateurs : Rouest de Guerpel, Chéron, pour ne citer que les plus connus, et leur effort isolé n’a pas été épaulé comme il le méritait.

Dans les régions méridionales, et dans les départements et protectorats nord-africains, l’acclimatement du soja est d’autant plus facile que cette plante tire son origine de pays chauds et, pourvu qu’elle trouve assez d’eau pour germer, végéter et croître jusqu’à ce qu’elle mesure une vingtaine de centimètres de hauteur, elle résiste ensuite très bien à la sécheresse.

Les sélectionneurs ont créé des variétés à durée de végétation de plus en plus courte (150, 120 et jusqu’à 90 jours) qui en ont permis la culture de plus en plus vers le Nord. Toutefois la latitude d’Amiens est généralement admise comme limite septentrionale de la culture du soja en France.

Presque tous les sols conviennent à cette culture dont le seul gros ennemi est l’humidité « stagnante » (Chéron).

Rouest a obtenu des résultats satisfaisants, dans les sables des Landes, préalablement bien pourvus en engrais.

Toutefois, les terres bien pourvues en humus sont particulièrement favorables au soja ; il doit précéder le blé, céréale exigeante, mais il aura pu être auparavant répété sans inconvénient, plusieurs années, au même endroit : son système de racines (légumineuse), aura travaillé le sol profondément et l’aura enrichi en azote.

Choisissez un champ où vous ne redoutez pas les lapins sauvages, sinon les plantes seront dévorées avant la récolte.

Fumure. — Pour obtenir une production importante de fourrage ou de grains, le soja exige une bonne fumure de fumier enfoui à l’automne ou mieux encore provenant de la culture précédente : en plus de l’apport des matières fertilisantes, l’ameublissement du sol sera facilité. On complète par : scories (ou superphosphate), 300 à 400 kilogrammes à l’hectare ; sulfate (ou chlorure) de potasse, 150 à 200 kilogrammes à l’hectare ; plâtre agricole, 400 à 500 kilogrammes à l’hectare.

Préparation du sol. — La terre doit être soigneusement préparée. Après déchaumage, le labour profond est fait avant l’hiver. Au printemps, ameublir et nettoyer seulement la surface par les façons nécessaires suivant l’année.

Semis. — Comme pour les haricots, dès que les gelées matinales ne risquent plus de détériorer la jeune plante à sa levée, le semis peut se faire :

1° En lignes écartées de 0m,70 environ.

a) Avec un semoir à blé, faire tomber 6 à 8 grains au mètre ;

b) En paquets de 3 grains tous les 40 centimètres.

Enterrer la semence à 2 ou 3 centimètres seulement en terres fortes pour ne pas compromettre la levée. Après le semis, un roulage est utile, sauf sur terre battante. Il faut, dans ces conditions, 25 à 30 kilogrammes de semence à l’hectare suivant la variété employée.

2° À la volée : seulement sur terre très propre et dans le cas de semis destiné à la récolte du fourrage. Herser et rouler. Il faut alors 100 à 120 kilogrammes de semence à l’hectare.

Végétation. — La levée apparaît régulière, dix à quinze jours après le semis. La croissance, lente au début, s’accélère et la plante prend rapidement une vigueur surprenante.

Si l’on cultive pour récolter le grain, deux ou trois binages sont nécessaires : le premier, quinze jours après la levée ; le deuxième, trois ou quatre semaines après le premier ; le troisième, un mois environ après le second et, en tous cas, avant que les gousses soient formées. Deux mois après le semis, apparaissent à l’aisselle des feuilles les premières fleurs, blanches ou violettes, très petites. La floraison dure environ quatre semaines ; la formation des gousses et la maturité des grains demandent à peu près le même temps. La végétation totale, du semis à la maturité, nécessite environ cent vingt jours.

Récolte. — Les tiges peuvent être arrachées ou coupées à la faucheuse. Le battage des graines peut se faire à la main, au rouleau ou à la batteuse (contre-batteur écarté et marche ralentie). Suivant les variétés, les terrains, les fumures et les soins, le soja peut donner 1.500 à 2.000 kilogrammes de grains à l’hectare.

Usages. — En dehors des emplois dans l’alimentation humaine esquissés au début de cet exposé, voici quelques applications du soja :

Les graines sont d’un grand profit dans l’alimentation du bétail ; la précocité des animaux en est remarquablement augmentée. On les distribue moulues ou entières, sèches ou gonflées dans l’eau, seules ou mélangées à d’autres grains suivant le cas. Par broyage après macération dans l’eau pendant quarante-huit heures, on peut extraire de ces graines un lait artificiel ayant pour l’élevage des animaux des qualités comparables à celles d’un lait animal.

L’industrie utilise ces graines : par leur richesse en matières azotées, dans la fabrication de la caséine ; par leur richesse en matières grasses, dans la fabrication d’huiles : après extraction, il reste un tourteau très apprécié pour la nourriture des animaux.

La plante est un excellent fourrage vert, disponible en pleine période sèche (fin juillet-août). Elle a l’avantage, sur les trèfles et luzernes, dont la composition chimique est pourtant analogue, de pouvoir être consommée fraîche, sans crainte de fermentations digestives anormales. C’est un correctif de choix pour le maïs-fourrage pauvre en azote et matières minérales. Dans ce but, le soja et le maïs seront utilement associés et on les cultivera en lignes alternées, ou bien on sèmera, en lignes ou à la volée, ces grains mélangés.

Le soja fourrage est nutritif, stimulant et favorise la production du lait et du beurre. Tous les animaux, bovins, chevaux, moutons, lapins, porcs, volailles, le dévorent avec avidité, sans hésitation, même aux premières distributions.

Pierre LAURANCE,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 354