Notre intention n’est pas de parler ici des procédés
qu’emploient quelques-uns pour s’assurer la possession des essaims fuyards,
qu’ils viennent ou non de leur rucher, mais seulement d’indiquer comment
capturer ceux dont on suit la formation ou les évolutions.
En général, les essaims sont maniables ; nous avons vu
des apiculteurs qui les manipulaient à pleines mains ; mais il faut éviter
de molester les abeilles en les heurtant trop fort, et, quand on doit les
secouer, il est prudent de se munir d’un voile, parce qu’une fausse manœuvre ou
des mouvements trop brusques peuvent irriter les mouches qui, se croyant alors
menacées, jouent de l’aiguillon.
Un apiculteur, qui venait de faire tomber un essaim en le
secouant de la branche où il s’était posé, se plaignait d’avoir affaire à une
race d’abeilles méchantes. Ses mouches n’avaient pas un plus mauvais naturel
que d’autres ; mais, en les traitant trop brutalement, il les avait mises
en état d’irritation. Tous les essaims peuvent devenir agressifs quand on les
secoue trop brusquement. Il y a des cas où on est obligé d’agir ainsi ;
mais alors il est bon de projeter auparavant un peu de fumée autour de la
grappe pour prévenir les abeilles.
À nos débuts apicoles, pour rendre service à un voisin, nous
avons entrepris de capturer un essaim qui venait de sortir d’une de ses ruches
et se fixer sur un arbre peu élevé. On insista pour que nous prenions des
mitaines ou gants de laine. Nous ne savions pas à ce moment — et nous
l’avons appris à nos dépens — que la laine, comme tout ce qui est poilu, a
le don d’agacer les abeilles. Convaincu que les abeilles d’un essaim se
montraient toujours douces et dociles, nous y allâmes hardiment, sans fumée, ni
voile, et d’un coup sec nous fîmes tomber la grappe dans une ruche vulgaire Mais
le coup fut trop rude et mal appliqué : une partie des mouches tomba sur
le sol pour se relever aussitôt furieuses et ne nous laisser aucun doute de
leur mécontentement. Il nous fallut déposer précipitamment la ruche où l’essaim
finit heureusement par se loger et nous mettre à l’abri pour n’être pas dévoré
par les harpies. Il nous en a cuit d’être téméraire. Pour adoucir la peine, on
nous frotta les mains et la figure de vinaigre. Chose curieuse, il ne
s’ensuivit aucune enflure ou bien peu. À partir de ce jour, nous fûmes
immunisé.
Lorsqu’on assiste à la sortie d’un essaim et qu’on le voit
tournoyer dans les airs, on parvient assez facilement à le faire poser, au
moyen d’un miroir. Le dos tourné au soleil et face à l’essaim, on projette sur
lui des rayons lumineux qui font probablement sur les abeilles l’effet
d’éclairs et les portent à suspendre presque aussitôt leur vol, redoutant sans
doute un orage.
On arrive aussi à arrêter l’envol des essaims en lançant sur
les abeilles, au moyen d’une petite pompe de jardin, quelques jets d’eau, ou en
leur jetant quelques poignées de sable.
Quant au vacarme qu’on a coutume de faire à la campagne, en
frappant sur des casseroles ou poêlons à la sortie d’un essaim, nous aimons à
croire qu’il n’est pas inutile, tout en doutant fort de son efficacité.
On se sert ordinairement, pour cueillir les essaims, d’un
panier ou ruche vulgaire ou d’une corbeille ou caissette légère.
Si l’essaim est posé sur une branche d’arbre qu’on peut
atteindre sans échelle, il sera facile de s’en emparer, soit en coupant sans
secousses la branche qui le porte, et en l’emportant non moins doucement pour
le faire tomber dans la ruche qui lui servira de logement. Si la branche ne
peut être coupée, la meilleure façon d’opérer est de tenir au-dessus de
l’essaim la ruche vulgaire, après l’avoir mise en contact avec les abeilles, et
d’y faire monter celles-ci en enfumant légèrement au-dessous du groupe, mais
pas dans le panier.
Le panier est ensuite déposé doucement sur un linge ou un
plateau, dans un endroit ombragé, puis soulevé en avant sur cales pour donner
de l’air aux abeilles, en attendant qu’on mette l’essaim définitivement en
ruche.
Lorsqu’on a la chance d’apercevoir la reine parmi les
abeilles de l’essaim — ce qui est plutôt rare — et qu’on peut la
saisir, on n’a qu’à la mettre dans le panier avec un groupe d’abeilles de
l’essaim et poser le panier à proximité sur un linge en laissant une entrée
spacieuse. On verra bientôt les abeilles du panier battre le rappel, et les
abeilles restées à l’arbre ne tarderont pas à venir les rejoindre et à se
grouper autour de la reine.
Des photos nous montrent parfois des apiculteurs portant au
bras un bel essaim, d’autres dont la tête est entourée d’abeilles en guise de
chapeau, d’autres même qui portent un essaim en grappe au menton, comme une
barbe de sapeur. Aux yeux du vulgaire, ils peuvent passer pour charmeurs ou
sorciers. Il n’y a là pourtant rien de merveilleux. Il suffit de tenir la reine
à l’endroit où l’on veut que se groupent les abeilles de l’essaim.
Il arrive qu’un essaim se groupe sur un tronc d’arbre, sur
un poteau, ou même dans des herbes sur le sol ou dans une haie. Le meilleur
moyen de le cueillir est de tenir au-dessus le panier, le plus près possible
des abeilles et, en enfumant sur les côtés, de déterminer celles-ci à entrer
dans le panier, ce que d’ordinaire elles feront avec empressement. Et on
laissera quelque temps le panier tout près, pour que toute la population soit
réunie et être sûr que la reine n’est point restée en dehors. Certains se
servent de la brosse pour faire tomber dans le panier les abeilles posées sur
un mur ou un tronc d’arbre. Il faut, en ce cas, y aller doucement et ne pas
bousculer trop les mouches piquantes qui autrement feraient sentir à
l’opérateur leur déplaisir.
Supposons maintenant que l’essaim se pose sur un arbre élevé
ou un endroit peu accessible. Pour l’avoir, on a imaginé de leur présenter, au
bout d’une longue perche, un « reposoir » consistant en un rayon sec
ou deux planches croisées.
D’autres attachent au bout de la perche une poche largement
béante dans laquelle ils s’efforcent de faire tomber l’essaim. D’autres enfin
approchent de la grappe des abeilles un torchon imbibé d’une solution phéniquée
dont l’odeur déplaît souverainement aux mouches, qui alors se déplacent pour
aller se fixer ailleurs, parfois dans un endroit plus accessible, parfois aussi
pour s’enfuir au loin.
Ajoutons que les essaims primaires, moins volages, parce
qu’ils possèdent une reine âgée, moins alerte, se laissent plus facilement
capturer, tandis que les essaims secondaires qui ont une jeune reine prennent
plus facilement la clef des champs.
Très souvent, des éclaireuses ont choisi un gîte en
prévision de l’essaimage et, en ce cas, les essaims secondaires se rendent
directement à l’endroit prévu. Les essaims primaires peuvent avoir aussi une
destination désignée par leur avant-garde ; mais d’ordinaire la vieille
reine, alourdie, commence par sa poser non loin du rucher pour repartir quand
l’essaim est groupé. C’est dans cet intervalle que l’apiculteur doit le
cueillir pour ne pas le perdre. On sait que la loi donne au propriétaire de
l’essaim le droit de le suivre partout et s’en emparer où il se pose. Mais il
ne faut pas le perdre de vue ni cesser la poursuite ; autrement l’essaim
appartiendra au premier occupant.
Enfin la demeure choisie par les émigrantes peut être une
cavité quelconque. En ce cas, nous ne voyons pas d’autre moyen de l’en faire
sortir qu’en l’enfumant dans son gîte, et parfois la fumée ordinaire ne
suffira, pas et il faudra mettre sur le chiffon de l’enfumoir quelques gouttes
d’acide phénique ou phénol pour le faire déguerpir.
P. PRIEUR.
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