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Causerie vétérinaire

La fluxion périodique des solipèdes.

La fluxion périodique des yeux est une grave affection qui condamne presque irrémédiablement le cheval à devenir borgne, sinon complètement aveugle ; aussi le législateur l’a-t-il inscrite sur la liste des vices rédhibitoires. Les différentes qualifications qu’on lui a données — maladie lunatique, lunatisme, tour de lune, etc. — reflètent les idées qu’on s’en fait sur la nature, l’évolution ou la cause de la fluxion. On l’a appelée intermittente, par analogie avec les fièvres qui reviennent par accès ; périodique indique les temps ou périodes que l’on a vues dans les accès ; enfin la fluxion était appelée lunatique, mal de lune, etc., de même que l’animal atteint était lunatique, parce qu’on attribuait les retours de la maladie à l’influence mensuelle de la lune.

Parmi les causes prédisposantes de la fluxion périodique, deux surtout doivent retenir l’attention : l’hérédité et la jeunesse.

L’hérédité de la fluxion, ou tout au moins de la prédisposition, de l’aptitude à la contracter, est admise sans conteste par tous ceux qui s’occupent de la reproduction du cheval : vétérinaires, éleveurs, personnel des Haras. Sans rapporter des faits de transmission de certains étalons ou de certaines poulinières à tous leurs produits, il suffira d’indiquer que la loi du 2 août 1884 a classé cette affection parmi les vices rédhibitoires, et que, depuis, les cas de fluxion sont devenus de moins en moins nombreux. C’est que, autrefois, les éleveurs réservaient pour la reproduction les étalons et les juments qui, ayant perdu la vue, n’avaient pas une grande valeur pour la vente ; depuis que les poulains donnés par ces reproducteurs sont presque fatalement rendus à l’éleveur, ce dernier s’est montré plus soigneux dans le choix des parents et la maladie a diminué.

La jeunesse est une autre cause prédisposante ; c’est, en effet, de trois à cinq ans que la fluxion fait son apparition ; elle peut aussi se manifester plus tôt, tandis qu’il est rare qu’on la voie se développer sur les animaux adultes.

Parmi les causes déterminantes de la fluxion, il convient de citer les habitations insalubres, la nourriture insuffisante ou de mauvaise qualité pendant l’hiver, l’humidité du sol, les voyages fatigants, etc.

L’observation a démontré que, dans les mêmes localités, chez des animaux de même race et quelquefois de la même famille, la maladie sévissait plus souvent sur ceux qui habitent des écuries basses, étroites, obscures, non aérées, où on laisse accumuler le fumier, que sur des chevaux logés dans de meilleures conditions hygiéniques. Des observations fort intéressantes à retenir tendraient à démontrer qu’il y a des locaux infectés où les chevaux contractent la maladie et qu’il suffit de désinfecter pour amener sa disparition.

En ce qui concerne l’humidité du sol, on a constaté que la fluxion périodique s’est toujours montrée sur un plus grand nombre de chevaux dans les pays à terrain argileux, que dans ceux à terrain calcaire où l’eau ne séjourne pas à la surface du sol. Et dans les mêmes localités, on a remarqué que les éleveurs qui étaient en possession de pâturages plus élevés, moins humides par conséquent, éprouvaient beaucoup moins de préjudice que ceux qui étaient dans la nécessité de faire pâturer leurs poulains sur des prés humides ou marécageux. Les éleveurs ne sauraient donc apporter trop d’attention aux conditions physiques du sol de leurs pâtures, afin d’y remédier au besoin par le drainage.

Voici, succinctement exposés, les symptômes que l’on peut observer au cours de la fluxion périodique. Comme son nom l’indique, elle est caractérisée par des périodes.

La première période s’annonce par des signes extérieurs ; larmoiement abondant, paupières souvent tuméfiées, conjonctive injectée, contraction de l’iris dont l’ouverture pupillaire est notablement réduite (photophobie), etc. Durée moyenne de la période : quatre à cinq jours.

Pendant la deuxième période, formation dans la chambre antérieure de l’œil d’un dépôt jaunâtre, parfois strié de sang, que l’on nomme hypopion, iris de coloration jaunâtre, dite de feuille morte, à sa partie inférieure, œil plus ouvert et conjonctive moins enflammée, etc. Cette période a en moyenne la même durée que la précédente.

Dans la troisième période, l’œil s’éclaircit peu à peu, les autres symptômes diminuent graduellement pour disparaître tout à fait dans quelques cas, et laisser dans d’autres, le plus souvent, des traces ineffaçables de l’existence de la maladie. Même durée moyenne que la première période. Telle est la succession des symptômes que l’on peut appeler un accès type ; mais on est éloigné dans la pratique de rencontrer une semblable régularité.

En dehors des accès, nous engageons nos lecteurs, se proposant de faire l’acquisition d’un cheval, de se réserver, avant la conclusion du marché, la visite du vétérinaire. Nous ne saurions trop leur conseiller de se méfier du cheval qui présente les signes suivants, indices à peu près certains d’anciens accès de fluxion périodique : brisure en accent circonflexe de la paupière supérieure, atrophie plus ou moins prononcée du globe oculaire, contraction ou dilatation anormale et irrégulière de la pupille, trouble de la cornée, teinte feuille morte de l’iris, dépilation du chanfrein occasionnée par un larmoiement abondant et de longue durée, etc.

La terminaison de la fluxion, trop souvent fatale, est la perte totale de la vue. La cécité arrive de trois manières différentes : par cataracte, par amaurose (affections qui feront l’objet de la prochaine causerie) et par l’atrophie du globe oculaire.

Le traitement ne peut guère être appliqué que par le vétérinaire. Il comporte la saignée à une veine de l’œil, des instillations ou des injections sous-conjonctivales d’un collyre à l’atropine-cocaïne à parties égales, des frictions mercurielles légèrement vésicantes autour de l’orbite et, rarement, l’iridectomie.

Le traitement interne a aussi son importance. On donnera des purgatifs (sulfate de soude : 350 à 500 grammes), des diurétiques (bicarbonate de soude : 30 à 40 grammes par jour) et l’iodure de potassium, à dose fractionnée et progressive de 20 à 30 grammes par jour.

C’est surtout au traitement préventif qu’il faut recourir pour amener, sinon la disparition, du moins la rareté des cas de fluxion. Choisir des reproducteurs ayant la vue très nette, les yeux saillants, la tête sèche ; épargner aux jeunes chevaux la fatigue aux époques de la gourme et de la dentition ; leur faire effectuer les grands déplacements par les chemins de fer ou à petites journées ; améliorer les méthodes de culture qui donnent en abondance les fourrages et permettent de mieux nourrir ; drainer les terres pour en chasser l’humidité : tels sont, brièvement résumés, les moyens à l’aide desquels on arrivera à améliorer l’espèce chevaline et, par suite, à faire disparaître la fluxion périodique.

Législation de la fluxion périodique.

— La loi du 2 août 1884, modifiée par celle du 31 juillet 1895, stipule :

    ARTICLE 2. — Que, pour le cheval, l’âne et le mulet, est réputée vice rédhibitoire la fluxion périodique des yeux.

    ART. 5. — Que le délai pour intenter l’action est de trente jours francs, non compris le jour de la livraison. Les délais de prolongation suivant la distance à laquelle a été transporté le cheval ont été supprimés par la loi du 24 février 1914.

    ART. 7. — Qu’à peine de nullité l’acheteur doit provoquer, dans les délais de l’article 5, la nomination, par le juge de paix du lieu où se trouve l’animal, d’experts chargés de dresser procès-verbal, de vérifier l’état de l’animal, de recueillir tous renseignements utiles et de donner leur avis.

Constatation de la fluxion périodique pendant l’accès.

— L’expert doit conclure à l’ophtalmie rédhibitoire, alors qu’il constate, dans les visites successives de l’animal litigieux, l’apparition brusque et soudaine de la conjonctivite symptomatique ; le dépôt dans la chambre antérieure de l’œil (hypopion) avec les caractères précédemment décrits, et, enfin, la disparition des troubles. Il se prononce également pour l’affirmative, quand, à son premier examen, il voit l’injection périkératique, l’hypopion, la teinte feuille morte de l’iris et, dans ses visites ultérieures, la rétrocession des lésions et l’éclaircissement des milieux de l’œil.

Ruses.

— On a soutenu que l’application de caustiques sur la conjonctive ou la cornée pouvait « donner lieu à une ophtalmie interne ayant avec la fluxion périodique la plus grande analogie » (Dayot). On conçoit dès lors qu’un vendeur ou un acheteur de mauvaise foi peut déterminer une irritation oculaire, l’un pour masquer la fluxion périodique au moment de la vente, l’autre pour la simuler et rendre un animal qui ne lui convient plus. L’examen de l’œil malade à l’ophtalmoscope déjouera ces ruses ; les lésions sont généralement limitées aux parties extérieures de l’organe ; alors que l’ophtalmie traumatique provoquée s’accompagne d’altérations profondes, les lésions cornéennes seront assez manifestes pour établir le diagnostic différentiel qui permettra à l’expert de déjouer la ruse.

MOREL,

Médecin vétérinaire.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 362