(Impressions agro-économiques d’un voyage d’études).
Voie fluviale Congo-Oubangui.
— Quoi qu’il en soit, il ressort que seuls les vapeurs
de petit tonnage peuvent circuler sur l’Oubangui moyen en toute saison. Le Fondère,
dernièrement lancé, jaugeant 500 tonneaux, ne peut assurer la liaison
permanente qu’entre Zinga et Brazzaville, remontant progressivement sur Dongou,
Mongoumba, Zinga, au fur et à mesure de la montée des eaux, pour atteindre
Bangui seulement à l’époque des hautes eaux.
La circulation sur l’Oubangui est donc très réduite ;
seuls les Belges assurent un service plus fréquent avec Libengué. D’ailleurs, à
l’encontre de ce que j’ai remarqué sur le Congo, nous avons rencontré seulement
sur l’Oubangui 4 vapeurs en dix jours, en décembre 1929. Il semble qu’il
faudrait sur l’Oubangui, pour assurer un service rapide, et une liaison
permanente, des vapeurs de 100 tonneaux au maximum qui rendraient beaucoup
plus de services que les grosses unités.
D’ailleurs, d’après un vieux capitaine de la ligne, un
bateau de 200 tonneaux environ, revenant à 1.500.000 francs, doit
être payé en trois ans et laisser par la suite un bénéfice annuel de 200.000 francs.
Un capitaine de cargo, sur le Congo, gagne mensuellement 4.000 francs, est
nourri, logé naturellement, touche une commission sur le tonnage transporté, ce
qui représente une dizaine de milliers de francs, et a, en outre,
l’autorisation de se livrer à un petit commerce personnel qui augmente ses
mensualités de deux nouveaux billets. Un vapeur, transportant 85 tonnes de
sel par exemple, laisse un bénéfice de 60.000 francs environ, pour
vingt-trois jours de voyage. Les transports fluviaux sont donc rémunérateurs,
et l’on comprend peu que le Haut-Oubangui ne soit pas mieux desservi, à moins
que le régime de la rivière ne se prête pas à la navigation dans des régions
plus éloignées.
Les Belges ont développé au maximum les transports. Tous les
biefs navigables de toutes les rivières sont régulièrement jalonnés et, d’ici
peu, il existera même un service par hydroglisseurs et hydravions, entre
Kinshassa et Stanleyville. Les hydroglisseurs mettront huit jours pour
parcourir cette distance, et les hydravions trois jours. En outre, la Société
belge de navigation aérienne assure depuis quatre ans des services quotidiens
entre Boma-Léo et Stanley, et ne compte que deux accidents. Le trajet
Léo-Stanley s’effectue en trois jours et sera réduit bientôt à deux jours. Un
pilote gagne mensuellement 15.000 francs.
Une société franco-belge de navigation a l’intention de
faire un gros effort pour organiser des transports fluviaux, même sur les biefs
supérieurs Bangui-Ouango et Kouango-Bambari.
Une remarque s’impose : c’est qu’il faut ici plus de
capitaux qu’ailleurs pour se livrer à de l’exploitation. On ressent enfin cette
impression d’éloignement progressif, au fur et à mesure qu’on remonte le fleuve
vers l’intérieur ; mais ce sentiment sera bientôt effacé par l’observation
d’un pays fertile, agréable et de grand avenir.
Aperçu géologique.
— Il semble que l’assise fondamentale de l’Afrique
équatoriale et centrale soit représentée par des roches cristallines plus ou
moins gneissoïdes, avec émergences de roches éruptives, intrusives et
filoniennes de nature granitoïde, du côté des monts de Cristal, du sud-est du
Gabon et du Mayombe.
D’ailleurs, le système cristallin apparaît nettement dans le
Haut-Oubangui où la roche plus ou moins modifiée est souvent mise à nu par
suite d’érosions aux causes fort multiples. Ce système cristallin en zone
équatoriale s’est modifié de tout autre façon, soit par métamorphisme, soit par
sédimentation.
Dans la partie Ouest, les roches métamorphisées ont dominé,
donnant naissance à des schistes divers, parfois même gréseux et calcareux. Au
Gabon côtier, la sédimentation est formée de grès sublittoraux, recouverts
d’alluvions récentes, fait intéressant pour l’agriculture. Dans la partie Est,
tout le bassin du moyen Congo et de l’Oubangui est formé de sédimentation
gréseuse, aux grès d’ailleurs très polymorphes, répétant sur le fleuve ce qu’on
observe au bord de l’Océan.
Mais, par suite vraisemblablement d’affaissements, ce qu’on
appelle la « Cuvette équatoriale » allant de 2e latitude
sud à 2e latitude Nord sur le Congo ou l’Oubangui, est une
plaine basse, marécageuse, de formations superficielles, alluvions, éluvions,
sables, argiles, latérites, etc., qui ne sont que des apports récents non
encore agglomérés.
Les roches gréseuses réapparaissent seulement au Nord pour
former les seuils de Zinga, puis les roches métamorphiques et éruptives aux « rochers
de Bangui ». Enfin, les roches sohisto-gréseuses et éruptives, aux
« rapides de l’éléphant ».
Partout où le système gréseux domine, la région est très
accidentée et très pittoresque, et le fleuve coule entre des rives
resserrées : au Sud, de Léo à Bolobo, avec un lit particulièrement
encaissé, le couloir de « Malokou à M’ Pouia » ; au Nord,
(Oubangui) de Dongou à Mougoumba.
En plaine équatoriale, le fleuve est étalé et recouvre de
vastes étendues herbeuses, boisées seulement dans les parties hautes, de
formation ancienne ; c’est d’ailleurs la région des nombreux confluents.
Cet exposé géologique nous montre que nous trouvons de part
et d’autre un système central équatorial, une formation gréseuse à peu près
analogue, ensevelie sous des alluvions abondantes. La Flore semble être en
outre à peu près la même, en dehors de quelques espèces localisées pour des
raisons d’influence marine ou fluviale.
Économiquement, le Sud et l’Ouest du moyen Congo paraissent
assez peuplés.
Mes étapes fluviales.
— Le Bas-Congo est simplement le prolongement de la
grande forêt gabonaise et le fleuve coule dans une plaine basse et
alluvionnaire. Sur les rives, on remarque des palmiers à huile, des rotins,
dans quelques îles des rôniers. Quelques exploitations agricoles et
forestières, avec scieries, s’échelonnent indiquant qu’on commence à s’occuper
de la mise en valeur de cette région.
À partir des formations géologiques éruptives et
métamorphiques, le pays change complètement d’aspect ; il devient
mamelonné et progressivement plus aride pour ne plus offrir bientôt que des
collines dénudées lorsqu’on arrive à Hoki et Matadi.
En arrière de Borna, dans le Mayumbe Belge, un certain
nombre d’exploitations forestières et agricoles sont installées, sans dépasser
Tchela, terminus du chemin de fer. Les cultures pratiquées sont le palmier à
huile, caféier, le bananier. Il existe en outre des bois odorants en cours
d’étude.
Le pays est assez particulier par ses nombreux escarpements
sur lesquels croît cependant la grande forêt, relief économiquement intéressant
pour l’évacuation des grumes.
Tout cet arrière pays commence à être sérieusement exploité
et on parle de relier le chemin de fer belge à la ligne Brazzaville-Océan.
De Mataki à Kin et principalement à Thys, le chemin de fer
traverse une région aride, présentant beaucoup de ressemblance avec la région
de Bambari (Haut Oubangui). En dehors des galeries forestières plus boisées, et
de certains îlots parsemés le long de la voie ferrée et avoisinant les marigots
généralement, on ne relève qu’une brousse arbustive très claire passablement
envahie par une savane herbeuse parfois fort dense.
L’aridité de cette région est manifeste puisque les Belges
n’y ont entrepris aucune exploitation agricole, alors que les conditions
économiques s’y présentent de la façon la plus avantageuse.
D’ailleurs, on ne distingue comme affaire agricole que celle
de l’Inkissi, une fois passé Thysville, qui est la ferme de Kisantu,
appartenant à la mission des Jésuites, où se trouve R. F. Gillet
botaniste-navateur de grand mérite.
La région immédiate de Thysville, située à une certaine
altitude, est plus fraîche, plus boisée, pittoresque et climatiquement
agréable, vraie midi de la France dont on trouve d’ailleurs quelques unes des
plantes fruitières ou florales.
(À suivre.)
R.-L. JOLY,
Ingénieur d’agronomie coloniale.
(1) Voir numéro de mai 1940.
|