Les accidents de chasse se produisent parfois dans de telles
conditions de clarté et de simplicité que les litiges susceptibles de s’élever
à leur occasion ne peuvent entraîner de difficulté sérieuse pour ceux qui sont
appelés à les conseiller ou à les juger ; parfois, au contraire,
l’accident est entouré de tant d’éléments inconnus qu’il est difficile de se
faire à son sujet une opinion précise et il nous a parfois été donné d’en
connaître qu’entourait un véritable mystère qui aurait pu donner carrière à
l’imagination d’un auteur spécialisé dans le roman policier.
Les difficultés qui se produisent ainsi, dans cette matière,
tiennent le plus souvent à l’incertitude qui règne sur la manière dont
l’accident s’est produit : il s’agit alors seulement d’une difficulté de
fait et non d’un problème de droit ; c’est par une enquête approfondie,
une étude réfléchie des divers éléments connus, qu’on s’efforce alors de
discerner la vérité. En d’autres cas, en présence d’une situation de fait
parfaitement claire, il se pose un problème purement juridique, qui consiste à
rechercher à qui incombe la responsabilité de l’accident. Mais, le plus
souvent, la difficulté est double et tient à la fois à l’incertitude des faits
et au problème juridique de la responsabilité. Nous donnerons tout à l’heure un
exemple que nous avons connu et qui fait ressortir combien il est parfois
difficile de donner aux litiges qui se produisent en cette matière une
solution, exacte en fait et en droit.
À diverses reprises, nous avons eu l’occasion de nous
occuper, dans cette revue, de la question de savoir à qui incombe la
responsabilité de l’accident en présence de telle ou telle situation ; une
question a surtout donné lieu à discussion : celle de savoir si, lorsqu’un
coup de feu tiré par un chasseur a occasionné une blessure, l’auteur du coup de
feu est présumé responsable des conséquences qui en résultent pour la victime,
ou si cette responsabilité est subordonnée à la preuve que l’auteur de
l’accident a commis une faute, une imprudence particulière. Bien que la
question soit encore parfois discutée, il est ordinairement admis que la
responsabilité du tireur existe par cela seul que c’est lui qui a tiré et qu’il
ne peut échapper à cette responsabilité que s’il peut prouver, soit qu’il y a
eu faute, négligence ou imprudence de la victime, soit qu’il est intervenu un
cas de force majeure susceptible de dégager sa responsabilité.
Nous avons eu aussi à nous occuper de la question des
ricochets : en s’en tenant au principe général de la responsabilité
automatique du tireur, peut-on considérer le ricochet comme un cas fortuit dont
le tireur ne peut être responsable ? Ici encore, les opinions varient et
la jurisprudence est incertaine. Cependant, l’opinion la plus ordinairement
admise consiste à distinguer suivant que, en raison des circonstances, le
ricochet pouvait ou non être considéré, sinon comme probable, du moins comme
aisément prévisible (tel est le cas lorsque le chasseur tire sur un gibier à
terre dans un terrain où abondent les roches ou les pierres), ou que, au
contraire, il était en quelque sorte un accident entièrement imprévisible (tel
est le cas, lorsque le coup de feu a été tiré dans une région où le sol n’est
pas caillouteux) ; dans le premier cas, on considère que le tireur reste responsable
de l’accident, bien que le plomb qui l’a causé ait préalablement ricoché :
dans le second cas, on pourra au contraire exonérer le tireur de la
responsabilité de l’accident en considérant que cet accident est la conséquence
d’un cas fortuit imprévisible. Il est, au surplus, à rappeler que la
distinction que nous venons de faire, toute logique qu’elle peut paraître,
n’est pas universellement admise, et que des tribunaux ont admis la
responsabilité du tireur dans le cas de blessure par ricochet, sans se
préoccuper de savoir si les circonstances pouvaient ou non donner à penser
qu’un ricochet était à prévoir.
Il nous paraît, à ce propos, intéressant de citer un fait
dont nous avons eu connaissance et qui a donné naissance, voici déjà bon nombre
d’années, à un curieux procès. Un cultivateur longeant la haie qui clôturait
une propriété, sur sa droite, avait été blessé à la face, du côté droit, par
des plombs dont la provenance n’était pas apparue, au premier abord ;
mais, étant donné que c’était la partie droite de son corps qui avait été
atteinte, il n’hésita pas à incriminer le propriétaire de la propriété qui se
trouvait à sa droite, la haie lui empêchant d’ailleurs de reconnaître s’il y
avait de ce côté des chasseurs. Une enquête menée par la gendarmerie ne réussit
pas à éclaircir le problème, cette enquête n’ayant pu établir qu’on avait
chassé sur la propriété en question au jour et à l’heure où l’accident s’était
produit. Le blessé n’en poursuivit pas moins devant le tribunal civil le
propriétaire de la propriété d’où il paraissait évident que le coup de feu
provenait. Cette poursuite, à première vue, paraissait entièrement mal fondée,
le demandeur n’apportant pas la plus légère preuve que celui qu’il incriminait,
en la circonstance, était sur ses terres au moment de l’accident et qu’il avait
tiré un coup de feu ; cependant, le tribunal ne crut pas devoir rejeter
immédiatement la demande et chargea un expert de chercher à faire la lumière
sur la manière dont l’accident avait pu se produire. L’expert prit à cœur de
remplir sa mission, et, sans qu’il soit bien intéressant de donner des détails
sur la manière dont l’enquête fut conduite, bien que certains de ces détails
soient assez curieux, l’expert parvint à établir avec une quasi-certitude que
les plombs qui avaient causé la blessure sur le côté droit du plaignant
provenaient d’un coup de feu tiré de sa gauche à une assez grande distance et
avaient ricoché sur une roche affleurant le sol au bas d’un petit talus sur
lequel était plantée la haie. Il en résulta la mise hors de cause définitive du
propriétaire auquel l’accident était attribué ; mais, si ce propriétaire
avait par malheur chassé sur ses terres au moment de l’accident, il lui eût été
difficile d’éviter d’endosser la responsabilité d’un accident qui en réalité ne
lui était aucunement imputable.
Une autre question, qui nous a été plusieurs fois soumise,
est celle de savoir si les sociétés de chasse sont responsables des accidents
causés par leurs membres ; nous avons toujours répondu à cette question
par la négative ; si le membre de la société qui a tiré le coup de feu qui
a causé l’accident a pu être identifié, lui seul est responsable, et la société
ne peut aucunement être rendue solidaire, ce qui, au surplus, ne présenterait
d’intérêt que si l’auteur de l’accident était insolvable. S’il n’a pas été
possible de déterminer celui des chasseurs faisant partie de la société ou
invité par ses membres qui a tiré le coup de feu, la société n’en peut pas non
plus être tenue pour responsable. Il n’y a aucune analogie entre ce cas et
celui où l’associé, dans une société de commerce, commet une faute dans
l’exercice de ses fonctions ; dans ce dernier cas, en effet, l’associé
agit au nom et pour le compte de la société ; ce qu’il fait, c’est comme
si c’était la société qui le fît ; de là découle la responsabilité de
cette dernière. Rien de tel dans les associations de chasseurs ; même
lorsqu’il est convenu que tout le gibier tué est mis en commun et partagé, on
doit considérer que chaque chasseur n’agit, dans l’exercice de la chasse, qu’en
son propre nom ; la différence repose sur cette idée, dont l’exactitude ne
peut être contestée, que les sociétés de chasse ne poursuivent aucun but
lucratif, mais ont pour objet l’agrément de leurs membres, agrément que chacun
d’eux recherche pour son compte personnel et exclusif.
Il est cependant des cas où la société peut être rendue
responsable d’un accident : c’est lorsqu’il apparaît que l’accident est la
conséquence d’une mauvaise organisation des opérations au cours desquelles il
s’est produit, par exemple s’il s’agit d’une battue pour l’exécution de
laquelle les précautions nécessaires pour éviter les accidents n’ont pas été
prises. Dans ce cas, on considère que l’organisateur de la battue a commis une
faute et que l’accident est la conséquence de cette faute, d’où responsabilité
de l’organisateur ; et comme celui-ci peut être considéré comme ayant agi
en qualité de préposé de la société, on a pu, en divers cas, faire résulter de
là la responsabilité de la société. C’est d’ailleurs une hypothèse qui se
présente assez rarement. En dehors de ce cas, ou d’autres analogues, le principe
de l’irresponsabilité de la société est certain.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
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