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En forêt

Les brandes.

Un genre de couvert qui tend à disparaître de nos bois. Les vieux veneurs, les chasseurs de loups le regretteront. Mais c’est le progrès : les brandes exigent d’être recépées à de courts intervalles, tandis que la mévente des menus bois conduit à allonger l’âge d’exploitation des taillis. Et puis, il reste si peu de loups dans les lambeaux de ce qui fut la brande poitevine et dans les fourrés des Charentes, fourrés de brande eux aussi !

Partout où elle s’était implantée, peut-être à la suite des anciennes sylves détruites, la brande a cédé place, soit à des cultures, soit à des bois de chêne et de pins. C’est logique, c’est un bien quant à l’intérêt général. Seules les cartes démodées portent la désignation de brandes sur telles ou telles zones ; consultez ces cartes pour la région du Centre-Ouest, vous y trouverez, outre certains cantons du Berri, une partie des départements de la Vienne et de la Charente, un petit coin de Charente-Inférieure et les Confins des Deux-Sèvres et du Poitou.

La fraction poitevine et charentaise de ce secteur était exactement le refuge des dernières portées de louvards, dont je n’oserais dire s’il subsiste des rescapés. Pourtant, en 1920, un facteur des postes de l’arrondissement de Ruffec marquait la prise de son centième loup (louveteaux compris), s’étant fait une spécialité de la reconnaissance des liteaux dans des bois très sauvages, presque impénétrables, de vrais bois à brandes.

En Sologne, les hautes bruyères qu’on désigne sous le nom de breumailles sont comme une avant-garde des brandes : on y rembûche des cerfs et des biches ; mais la véritable brande, plus berrichonne et poitevine que solognote, est autrement difficile à parcourir. Car la brande a ceci de caractéristique, pour le chasseur, qu’elle vous emprisonne littéralement dans son lacis de hautes bruyères, de bruyères à balais, qu’elle vous égratigne par ses ajoncs géants et qu’elle vous cingle le visage à coups de scions de bourdaine ou de rejets de chêne ; ce mélange agressif : chêne, bourdaine, ajoncs et bruyères quasi arborescentes, c’est la brande où, parfois, un homme à cheval peut se masquer. Ajoutez au tableau des rigoles et des fossés d’assainissement quand ce ne sont pas de petites mares creusées après l’extraction de blocs de cailloux, bref une série de chausse-trapes. Joignez-y de beaux ronciers, des viornes, des chèvrefeuilles, quelques épines noires, des églantiers, des poiriers sauvages aux rameaux piquants, et vous comprendrez que, pour y pénétrer, l’on se cuirasse de toile rêche.

J’oubliais, comme vêtement indispensable, la salopette, la « culotte à choux » de Gâtine, qui est de rigueur dans la brande pour éviter le bain sur les cuisses et les genoux dès qu’il pleut ou qu’il fait de l’égail, vieille appellation de la rosée. Ce qu’il se condense de rosée, ce qu’il en tombe d’averses, d’orages, sur les brandes ! Il faut-avoir le feu sacré pour s’aventurer, fusil en main ou trompe en sautoir, en pareil maquis. Il faut aussi de bonnes guêtres, des brodequins à toute épreuve, à l’épreuve de l’eau, des épines et des vipères ; celles-ci ne manquent pas aux jours de lourde chaleur, pas plus que les tiques dont les chiens, les animaux sauvages, et même les humains sont assaillis.

On conçoit que de telles remises abritent le gibier, surtout les grands animaux, les bêtes noires, les fauves : cerfs, biches, sangliers, loups et chevreuils s’y plaisaient, les deux dernières espèces perpétuant la fable du loup et de l’agneau, car rien ne tentait davantage l’ennemi du petit Chaperon Rouge que la venaison de chevreuil. Les renards y étaient, y sont encore monnaie courante et nos derniers carrés de brande en recèlent toujours ; les renards ont même la détestable habitude de s’y reproduire presque sans creuser ou du moins sans fréquenter régulièrement les grands terriers ; et cela sauve du déterrage bien des renardeaux. Fouines, genettes, putois, même la marte et l’authentique chat sauvage, se piègent ou se fusillent dans les terres à brandes. J’ai vu tuer une marte, à ma première ouverture, dans les brandes de la Brenne, entre le Blanc et Rosnay. Ces mêmes brandes, où se remisaient volontiers les perdreaux pourchassés en plaine, m’ont valu ma première perdrix grise. Elles abritaient aussi des faisans, des lièvres, des lapins et du gros gibier. Elles encadraient de fameux étangs à canards et à bécassines, la Brenne constituant, comme chacun sait, l’une de nos meilleures régions pour le gibier d’eau : on montrait à Rosnay la maison de l’Anglais, jadis habitée périodiquement par le gentleman britannique dont les deux passions dominantes étaient la bécassine en Brenne et … le tigre aux Indes. Tir à balle et tir de cendrée.

La bécasse également est une habituée des brandes : elle ne craint pas d’y nicher, en Gâtine et en Poitou, et d’y stationner presque tout l’hiver, tant elle y trouve d’abri contre les frimas et de nourriture dans le sol humide. Sa chasse n’y est pas commode ; elle exige un tireur très prompt, infatigable et un chien de tout premier ordre. Je ne puis vanter les qualités du chien sans songer à mon Stop, un épagneul breton croisé de picard, lequel était devenu parfait sur la bécasse dans la brande : il y pratiquait tout autour de moi, dans un assez vaste rayon, une quête rapide et, dès qu’il sentait les effluves, il s’arrangeait pour tourner l’oiseau et me le faire passer en battue. Je n’invente rien et n’ai pas eu le moindre mérite à ce résultat obtenu par la seule pratique du sport, grâce à l’intelligence du bon chien que je regrette et qui fut parmi mes meilleurs auxiliaires.

Il y a pourtant ça et là des éclaircies dans la brande ; soit sur les places à charbon, soit à des croisements de chemins, ou simplement du fait de grosses cépées de chêne ou de châtaignier dans le cercle desquelles la bécasse, très souvent, vermille ou vient se poser. Ne pas manquer de faire halte dans ces places claires et d’y attendre le claquement d’ailes ou la brève apparition de l’oiseau couleur feuilles mortes. La même tactique est à retenir pour le faisan, pour la perdrix rouge, qui apprécient surtout les anciennes charbonnières pour s’y poudrer dans la terre meuble et s’y mettre au ressui. Dans les brandes récemment coupées et gardant de l’eau stagnante, on lève en arrière-saison des bécassines, principalement des sourdes.

Enfin la chasse aux courants dans les bois à brandes est passionnante ; les animaux peuvent se faire battre longtemps et la voie est moins légère qu’en bien des endroits, car partout ils touchent au fourré. En outre, les pays de brandes ne sont généralement pas des mieux percés, ce qui augmente les difficultés de la suite et du tir, donc, pour les fanatiques, l’attrait de la chasse. Et c’est sans doute l’une des raisons de la prédilection des veneurs poitevins pour les brandes de leur province. Tant qu’il subsistera quelques vestiges de ces couverts aimés du gibier et des nemrods, nous lirons dans les échos cynégétiques le récit de chasses endiablées, évoquant les beaux jours d’antan.

Pierre SALVAT.

Le Chasseur Français N°601 Septembre 1941 Page 389