D’un vieux livre, écrit en 1612, j’ai extrait les passages
suivants qui font connaître l’opinion des chasseurs de cette lointaine époque
sur le rusé compère et les moyens qu’ils employaient pour le capturer. Ce livre
étant rédigé en vieux français, j’ai estimé préférable, pour faciliter la
lecture, de donner une traduction libre en notre langage actuel.
Les lecteurs qui connaissent ces lignes voudront bien
m’excuser Je les ai reproduites surtout à l’intention de ceux qui, n’ayant pas
une bibliothèque bien garnie à leur disposition, les ignorent et désirent se
documenter.
Plaisirs de la chasse du lièvre et chiens qui y sont requis.
— La chasse au lièvre est plus plaisante, de plus grand
esprit et de moindres frais que celle de nulle autre bête. Elle apporte mille
petits plaisirs et récréations, sans avoir les inconvénients de la chasse au
cerf ou au sanglier. Ce petit animal fait preuve d’un esprit quasi admirable,
il est très rusé pour se défaire des chiens qui le poursuivent. Cette chasse
n’apporte que plaisir et profit.
Celui qui a une meute de chiens à dresser doit observer deux
choses principales à les bien façonner. La première, qu’il les accoutume à
courir en toutes sortes de pays : plaines, taillis, bocage ; car,
s’il les a accoutumés à chasser en un lieu seulement, bois ou taillis, ils ne
feront ni les plaines, ni les champs, mais iront chercher les bois et les
taillis où ils auront été accoutumés d’avoir plaisir à trouver les lièvres.
L’autre est qu’il ne faut jamais dresser les chiens à chasser la matinée, à
cause de la rosée et de la fraîcheur de la terre, mais plutôt sur le haut du
jour ; car, si vous les accoutumez aux fraîcheurs et qu’après vous vouliez
les faire chasser sur le haut du jour, ils ne le feront pas s’ils sentent
quelques chaleurs ou petit vent.
La vraie saison pour dresser les chiens à la chasse du
lièvre est depuis septembre jusqu’en décembre ; parce que le temps est
tempéré et que les jeunes lièvres sont fort faibles de corps, ne pouvant faire
encore leurs ruses et malices. Du fait qu’ils se font relancer plusieurs fois
devant les chiens, ceux-ci y prennent plaisir et se dressent mieux qu’ils ne le
feraient si les lièvres fuyaient et s’éloignaient d’eux.
Les marques du bon lièvre.
— Dans la chasse du lièvre, le chasseur prend ce qu’il
peut avoir, et non ce qu’il peut trouver, à cause de la légèreté et des ruses
de ce petit animal.
La marque d’un bon lièvre qui méritera d’être chassé sera
telle : ceux qui habitent les bois, les plaines, ou vivent sur les petits
coteaux d’une herbe nommée pouliot ou serpolet, sont beaucoup meilleurs que
ceux qui se tiennent près des eaux et que les petits lièvres rouges. Le mâle
vaut beaucoup mieux que la femelle.
Le mâle, en sortant de son gîte, a le derrière blanchâtre
comme s’il avait été plumé ; il a les épaules rouges, ayant parmi quelques
poils longs. La tête est plus courte et plus touffue que celle de la femelle.
Les oreilles sont courtes, larges et blanchâtres.
La femelle a la tête longue et étroite, les oreilles
grandes, le poil de dessus l’échine d’un gris tirant sur le noir.
Quand les chiens chassent la femelle, elle ne fait que
tourner autour de son pays, passant sept ou huit fois par un même lieu sans
vouloir jamais s’arrêter. Le mâle fait le contraire, car, chassé par les
chiens, il va en une seule fois très loin de son gîte.
Pour connaître le gîte du lièvre, il faut observer la nuit,
car c’est la nuit qu’il se retire en son gîte. De plus, il faut regarder à ses
traces, la forme du pied est aiguë et faite à la ressemblance d’une pointe de
couteau, ayant de petits ongles fichés en terre qui se marquent tout autour.
La prise du lièvre.
— Quant à la chasse du lièvre, la vraie saison pour le
prendre avec des chiens courants, commence à la mi-septembre et finit à la
mi-avril, à cause des fleurs et des chaleurs qui commencent à régner.
Toutefois, il y a certains pays et saisons où les chiens
n’ont aucun sentiment des lièvres, comme en hiver en pays de plaines où la
terre est grasse et forte ; parce que le lièvre a la patte pleine de
poils, et, lorsqu’il fuit, la terre qui est grasse se prend contre et il
l’emporte avec le pied, ce qui ôte tout sentiment que le chien pourrait avoir,
et aussi dans la plaine, il n’y a ni branches, ni herbes où il peut toucher du
corps.
Le premier point de prendre le lièvre est de trouver son
gîte. Pour le trouver, il faut regarder à la saison où l’on est, et le temps
qu’il fait. Au printemps et à l’été, les lièvres ne gîtent pas aux forts à
cause des fourmis, des serpents et des lézards qui les chassent. Ils sont contraints
à gîter dans les landes, guérets et lieux faibles. En hiver, ils font le
contraire, ils gîtent en quelques gros halliers, principalement quand les vents
de Galerne et de Hautain règnent, lesquels ils craignent grandement. Il faudra
dresser les chiens pour aller assaillir le lièvre dans son gîte.
Mais, cependant, il faut prendre garde des ruses du lièvre.
En temps de pluie, il fuit les grands champs et, s’il arrive à quelques bois ou
taillis, il n’entre pas dedans, mais reste au bord et laisse passer les
chiens ; puis, quand les chiens sont passés, il revient sur ses pas, car
il ne veut pas entrer dans la forêt à cause de l’humidité qui est parmi le
bois.
Les lièvres ne vivent que sept ans pour le plus.
Le lièvre pris, il sera bon d’en faire curée aux chiens pour
les réjouir et leur donner du courage. La curée peut se faire avec pain,
fromage ou autres friandises, le tout mis dans le corps du lièvre. Pour la
seconde curée, comme pour un banquet plus célèbre si l’on a pris quantité de
lièvres, il sera bon d’en écorcher un, de lui ôter les poumons, puis de le
jeter au milieu des chiens et de le leur faire manger. Après qu’ils auront
mangé, leur donner du pain, de crainte qu’ils n’aient mal au cœur, car la chair
de lièvre leur est contraire. Aussi le chien qui aura appris à courir au
lièvre, se sera adonné à la chasse du cerf, n’aura plus garde de chasser au
lièvre parce qu’il aura trouvé la venaison du cerf beaucoup meilleure que celle
du lièvre.
R. GENDRY.
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