(Randonnée de 800 km, de Saint-Brieuc à
Saint-Brieuc.)
Je vais maintenant quitter la côte de granit et pénétrer
dans cette Bretagne intérieure, riche en beautés de toutes sortes. Tout
d’abord, je gagne, pour y coucher, Landivisiau ; je verrai de chaque côté
de la route ces innombrables champs d’artichauts qui font la richesse du pays.
À l’hôtel où je descends, comme dans certains autres
d’ailleurs, la salle à manger, très grande, est remarquable : ses
boiseries, ses meubles bretons, ses grandes glaces biseautées incrustées dans
de larges cadres de bois sculpté lui font une parure élégante.
Le lendemain, je devais, pour partir, attendre jusqu’à deux
heures de l’après-midi que la pluie cesse ; c’est beaucoup plus un jour de
décembre qu’un jour de juin. Il me faudra donc faire en un après-midi ce que je
devais faire en une journée. Je gagne tout d’abord Lampaul et, à quelques
kilomètres de là, Guimiliau, petit pays mais qui renferme une église et un
calvaire tout à fait remarquables. À l’intérieur de cette petite église, le
baptistère finement ciselé, et, les grandes orgues dignes de nos cathédrales,
retiendront l’attention des connaisseurs. Le Calvaire (XVIe siècle)
est une merveille du genre.
Vingt minutes de route, et voici cet autre lieu célèbre par ses
monuments religieux qui forment un ensemble architectural fort riche :
Saint-Thégonnec. L’église, très imposante, contient une chaire (1683) d’une
beauté incomparable. Dans le petit cimetière, un remarquable ossuaire et un
calvaire qui, avec celui de Guimiliau, est certainement un des plus beaux de
toute la Bretagne.
Le temps menace à nouveau, et il ne faudra plus
m’attarder pour essayer de gagner Huelgoat. Par Pleyber-Christ je tombe sur la
grande route de Morlaix à Carhaix. Je ne pourrai pas atteindre le terminus de
l’étape sans être obligé de me mettre plusieurs fois à l’abri, quand abri il y
aura ! C’est la traversée des Monts d’Arrée que la route surplombe en
corniche ; sur la droite, la vue est bien belle sur la forêt que l’on
domine. À Berrien, je quitte la grande route et fonce maintenant sur Huelgoat
tout proche. La journée aura été dure ; heureusement qu’une meilleure
m’attendra le lendemain.
Huelgoat : quel changement de décor ! Ici se
trouvent réunis, dans un cadre poétique et changeant ; le bois, l’eau et
les rochers. Quelles belles promenades sous ces frais ombrages ! combien
charmants les bords du lac ! enfin combien curieux ces amas de rochers
énormes dont mon guide me raconte la légende qui s’attache à certains :
ici, c’est Le Ménage de la Vierge, chaque pierre a sa comparaison :
l’écuelle, l’oreille, etc. ; là, c’est la Grotte du Diable à laquelle on
accède par une échelle en fer ; plus loin, c’est la pierre branlante d’un
poids de 100.000 kilos, longue de 7 mètres, large de 6 mètres et
haute de 4m, 50 ; mon jeune guide (dix ans environ), d’un
effort du dos, la fait effectivement remuer. À quelques centaines de mètres de
là, sous de hautes futaies, c’est la Grotte d’Artus et, en face, la mare aux
sangliers ; tout proche, sur la route de Carhaix, le Gouffre est
également bien joli à voir.
Quittant ce coin délicieux, je prends la direction de
Landerneau ; c’est la montée vers le Roc Trevezel, du haut duquel la vue
s’étend immense dans toutes les directions ; sur la gauche, au loin,
Botmeur et son étang, à droite Commana. C’est maintenant la descente, très
reposante puisque, pendant 15 kilomètres, je ne donnerai pas un coup de
pédale.
Il est midi et, à Dizun, je m’arrête pour me restaurer d’un
délicieux et copieux repas. Je repars ensuite pour Landerneau.
J’arrive dans cette pittoresque et belle cité après avoir
suivi le cours de l’Elorn : « Rivière aux aspects les plus variés,
sauvages ici, là frais et riants, toujours superbe », écrivait de la
Borderie. En effet, c’est exact et situe bien le cadre de Landerneau qu’on
découvre bâti sur les deux rives reliées entre elles par un pont construit en
1510 par ordre de Jacques, vicomte de Rohan, seigneur de Léon. Ici, l’Elorn
s’unit au bras de mer qui forme le port. Celui-ci est bordé de quais larges et
beaux. Après le port, c’est le chenal et une jolie promenade avec une vue
superbe sur la rivière et ses sinuosités. Je m’attarderais volontiers dans
cette ville au cachet si particulier, où l’eau, le ciel, les collines
verdoyantes, les gens si aimables, vous invitent à rester pour votre bien-être.
Hélas ! il me faut repartir.
Le lendemain, je passe sur la rive gauche de l’Elorn et je
suis une route où, ça et là, dans une vision inoubliable apparaissent des
rochers découpés, un panorama magnifique sur la vallée de l’Elorn et, très au
loin, le beau pont de Plougastel.
Quelques instants de repos à Plougastel-Daoulas où est érigé
un beau calvaire aux personnages curieusement sculptés, et je repars dans la
direction de Brest. Je vois bientôt, apparaissant dans toute sa beauté, le
majestueux pont Albert Louppe, plus connu sous le nom de pont de Plougastel. Sa
longueur est de 900 mètres et sa hauteur de 42m, 50. Inauguré
le 9 octobre 1930, il enjambe, de ses trois arches en ciment armé,
l’embouchure de l’Elorn. Pont à péage, je dois acquitter la somme de un franc
pour le traverser.
Enfin, voici Brest, le grand port de guerre ; ville
agréable et très vivante ; j’arrive juste au moment où le pont tournant,
appelé Pont National, bel ouvrage métallique, s’ouvre en deux, manœuvré par
quelques hommes, pour laisser entrer dans le port militaire un croiseur.
Beaucoup de monde sur les quais pour assister à cette opération fort
intéressante. Le cours d’Ajot est incontestablement la plus belle promenade de
la ville ; ce long boulevard planté d’arbres au milieu duquel s’élève,
très haut, le monument commémoratif de la Marine américaine, domine cette rade
qui est une des plus grandes du monde. La vue est superbe : au loin, à
gauche, on distingue le pont de Plougastel ; à droite, le regard fuit vers
l’Océan à travers cette trouée que l’on nomme le Goulet.
(À suivre.)
M. VERGNE.
(1) Voir numéro de juin 1940.
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