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Navigation d’amateur

La construction nautique : Possibilités présentes et futures.

On conçoit que les circonstances présentes ne soient guère favorables au développement de la navigation de plaisance et en particulier à la construction nautique. Certaines essences de bois sont introuvables. Quant aux métaux inoxydables, au cuivre, aux ferrures, matériaux et matériel pour l’aménagement, peintures et vernis, moteurs et carburants, toile à voile, etc., autant évoquer le beurre d’Isigny ou les chocolats de la Marquise de Sévigné ! Certaines commandes de yachts ont cependant été exécutées, totalement ou partiellement l’an dernier ; quelques-unes ont été reprises et sont en voie d’achèvement, malgré les multiples difficultés matérielles. Nous aurons l’occasion, dans nos prochaines causeries, d’étudier les plus remarquables.

La petite construction est-elle du moins possible ? Les canoés et les kayaks sont très recherchés actuellement. Les constructeurs qui ont en réserve quelques mètres de toile peuvent envisager la confection du kayak entoilé (1). Quant aux autres petites constructions qui ont fait l’objet de plusieurs articles, périssoire, prame, plate, norvégienne, dinghy, elles peuvent être entreprises par des amateurs qui devront s’aider de plans étudiés et dessinés spécialement pour eux. Certains des bois et des métaux conseillés seront obligatoirement remplacés en tenant compte des ressources du marché local. La construction en souffrira sans doute dans son exécution, son fini, sa durée, mais ... nous commençons à nous habituer aux conséquences des ersatz ! Parmi les études consacrées aux petites unités, il en est une toute récente susceptible d’intéresser de nombreux lecteurs. On sait que le kayak est une embarcation pratique, de stabilité remarquable. Des amateurs ont souvent exprimé le désir d’en construire en bois léger. C’est pour répondre à leurs vœux que des plans ont été dessinés. Il s’agissait de conserver les formes générales du kayak et sa légèreté, et de permettre une construction simple et rapide.

L’auteur des plans, M. Jean Angeli, a dessiné une coque de 4m, 80 à fond plat et à flancs verticaux. Le dessus est ponté, et deux équipiers trouvent place dans un cockpit de 1m,75 de long. La coque, dont le poids est voisin de 17 kilogrammes, est en contreplaqué d’okoumé ou de bouleau. Elle rappelle le fuselage d’un avion moderne. Contrairement aux lignes du canoé classique, le franc-bord est plus élevé au milieu qu’aux extrémités, ce qui atténue le fardage. La simplicité de la construction permet à un amateur de monter ce kayak en trois jours.

Malheureusement, le contreplaqué est devenu introuvable et la confection de ce kayak en bois ordinaire donnerait une embarcation un peu trop lourde.

En attendant le retour des croisières, de nombreux yachtmen consacrent leurs loisirs à la construction des bateaux miniatures. Les collectionneurs enrichissent leur musée personnel en y ajoutant de nouvelles maquettes de navires de guerre, frégates, quatre-mâts. Les régatiers et futurs constructeurs s’intéressent aux bateaux modèles et, à défaut de régates et de courses croisières, ils lanceront leurs gracieux voiliers dans des compétitions de moindre envergure, comme celles qui obtenaient un gros succès d’affluence au bassin des Tuileries, avant la guerre. Ces constructions, outre le passe-temps agréable et peu coûteux qu’elles procurent, sont un excellent apprentissage pour le futur charpentier de marine qui se fera la main sans risquer des dommages onéreux ; et la navigation du bateau modèle est une initiation profitable à la manœuvre des voiles.

Rappelons que des plans de maquettes et de modèles sont nécessaires pour mener à bien ces constructions ; ce serait une grave erreur que de vouloir construire d’après ses plans personnels : on ne s’improvise pas architecte naval !

Après ce coup d’œil sommaire sur les possibilités présentes de la construction nautique, nous allons envisager les possibilités de demain.

Les progrès techniques et matériels intensifiés par les nécessités militaires, modifieront sensiblement la construction navale. Pas de modifications essentielles, sans doute, dans les lignes et les formes, sauf pour les bateaux de régate et leurs voilures qui profiteront des recherches effectuées dans les souffleries expérimentales sur l’aile d’avion.

Quant aux constructeurs, ils auront à leur disposition de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques dans l’usinage et le façonnage. On sait que des usines américaines font des carrosseries d’auto en matière plastique extraite du soja. Cette matière plastique est plus résistante et plus légère que la tôle d’acier. Est-ce là le matériau de l’avenir pour la construction navale ? Certains constructeurs l’affirment déjà.

Nouveaux progrès également avec les nouveaux alliages légers et inoxydables. Nous aurons pour le clouage des matériaux plus durs que le cuivre et plus rebelle à l’oxydation que le galvanisé. Ces métaux, fabriqués en grande série pour les besoins des usines d’aviation, seront certainement d’un prix commercial abordable. Peut-être verrons-nous les mâtures métalliques remplacer les mâts en bois comme permettent de l’espérer les améliorations réalisées dans la soudure électrique. Quant aux moteurs, ils gagneront sans aucun doute en poids, réduction d’encombrement et régularité de fonctionnement.

Ce ne sont là que des prévisions, et ces progrès ne seront pas à eux seuls un facteur suffisant de développement pour le yachting national. Depuis quelques années, les jeunes Français s’intéressent de plus en plus aux sports nautiques. Il faut les aider, les guider mieux qu’on a su le faire jusqu’à présent. Il faut leur faire dépasser le stade de la régate, de la compétition, et songer à leur formation maritime. Nous pouvons faire confiance à M. Jean Borotra, secrétaire général à l’Éducation physique et aux sports, qui, aidé de quelques yachtmen d’une haute compétence, a entrepris une véritable croisade pour donner aux sports nautiques une impulsion vigoureuse et une organisation nationale.

A. PIERRE.

(1) Voir Chasseur Français, no 554.

Le Chasseur Français N°601 Septembre 1941 Page 411