Les charbonniers ont recommencé à mettre le bois en tas dans
les forêts. Cette catégorie d’ouvriers, qui tendait à disparaître, a réapparu
tout à coup ; nous parlons de ceux qui opéraient en meules pendant une
partie de l’année ; mais, pour arriver à être bon charbonnier, il faut un
apprentissage assez long ; aussi, les vieux charbonniers sont-ils devenus
des professeurs.
Les bois que l’on découpe en charbonnette se vendent au
stère comme le bois de corde et se carbonisent habituellement sur place. Pour
opérer la carbonisation en forêt d’après l’ancien système, il y a différents
procédés. Celui que l’on pratique le plus généralement en France, surtout en ce
moment, consiste à réunir et à dresser ces bois en meules qui contiennent
environ cinquante stères. On donne à ces meules la forme d’une calotte
sphérique ou à peu près. Quand le bois est dressé, on le recouvre d’une couche
de feuilles mortes, de mousses, de gazon et, par-dessus cette couche, on en
fait une autre avec du terreau et du poussier de charbon que l’on recueille sur
les places où l’on a carbonisé précédemment. Au centre de la meule, on ménage
une cheminée que l’on ferme avec trois ou quatre piquets plantés en cercle et
réunis ensemble avec des harts. On place dans cette cheminée de menus débris de
bois sec auxquels on met le feu par le haut. Le feu descend bientôt dans la
cheminée, se communique aux bûches les plus voisines et, de là, se répand dans
toute la meule. Quand on croit la meule allumée dans toute la hauteur de la
cheminée, on bouche avec des gazons l’ouverture laissée à la partie supérieure.
Il ne reste plus alors au charbonnier qu’à surveiller et à diriger le feu de
manière à éviter la combustion entière du bois, tout en opérant la
carbonisation. Quand l’ouvrier voit que la carbonisation est complète et
parfaite, il éteint la meule en bouchant tous les trous par lesquels l’air peut
pénétrer à travers la couverture, puis il laisse refroidir le charbon, le
découvre et le retire. On choisit de préférence les terrains secs, unis, plats,
abrités, pour y établir les meules ; les meilleures places sont celles où
l’on a fait du charbon aux exploitations précédentes. Elles sont toujours
faciles à reconnaître. Le rendement du bois en charbon varie avec les essences
et les qualités de bois et aussi avec les circonstances atmosphériques qui
accompagnent la carbonisation. Il faut opérer avec les meules autant que
possible par un temps sec et calme ; le vent et la pluie sont des temps
contraires à une bonne carbonisation. La saison la plus favorable est le mois
d’août et septembre. Dans les meilleures conditions avec les meules, le
rendement en poids est d’environ 18 à 22 p. 100, rarement il dépasse 25
p. 100.
Le charbon bien fait conserve la forme du bois dont il
provient ; il est peu cassant, peu gerçuré et très sonore. On dit qu’il
est trop cuit, lorsqu’il perd sa sonorité et qu’il est très gerçuré ; trop
peu cuit, au contraire, s’il n’est pas noir partout et si la cassure n’est pas
brillante.
On a établi à proximité de quelques grandes forêts des
usines où l’on carbonise le bois en vase clos. L’appareil se compose d’un
cylindre en tôle pouvant contenir environ cinquante stères de bois et monté sur
deux murs en maçonnerie espacés de manière à former un jour sous le
cylindre ; à ce cylindre sont adaptés des tuyaux qui servent à
l’échappement des gaz provenant de la distillation des bois. Une partie du gaz
hydrogène est utilisée pour l’éclairage de l’usine et la cuisson du charbon.
Les autres produits de la distillation sont dirigés dans des conduits où ils se
refroidissent, se condensent, se liquéfient et sont recueillis dans des cuves.
On sépare ensuite l’acide acétique contenu dans ces liquides, en les traitant
par la chaux, et on les livre au commerce sous forme de sels ou d’acétates de chaux.
Les charbons que nous avons vu faire dans ce genre d’usine
étaient beaux, cuits à point, et nous ont paru réunir toutes les qualités
recherchées pour les foyers domestiques. Peut-être étaient-ils trop cuits pour
l’usage des forges, mais c’est un défaut auquel on pourrait remédier en
apportant les soins et les précautions nécessaires dans la cuisson. Avec ce
système, trente-six heures suffisent pour la carbonisation de cinquante stères
de bois.
Pour apprécier le rendement que l’on obtient par ce mode de
carbonisation, on a fait les expériences suivantes :
2st,500 de chêne, rondin, fendu et pelé, bien
desséché, pesant 873 kilogrammes, ont donné 245kg,500 de charbon,
soit 23,12 p. 100 ;
2st,500 de charme, rondin et petit quartier bien
desséché, pesant 866 kilogrammes, ont rendu 223kg, 500 de charbon,
ou 25,80 p. 100 ;
2st, 500 de hêtre, petit quartier, desséché,
pesant 1.095 kilogrammes, ont rendu 250kg,500 de charbon, soit 25,43
p. 100.
Le rendement en volume était de 45 à 50 p. 100. Le
charbon était bien cuit, luisant, sonore et ne renfermait pas un seul fumeron.
Ce premier pesage a eu lieu lorsqu’on a sorti le charbon de
la chaudière, alors qu’il était encore chaud. Mais le poids du charbon augmente
quand il est à l’air et refroidi.
On a pesé de nouveau ce même charbon, le lendemain, après qu’il
eut passé vingt-quatre heures sous un hangar bien aéré et on a trouvé que son
poids avait augmenté de 3 p. 100. Or, c’est dans ces conditions que le
charbon est livré au commerce ; il s’ensuit donc que l’on peut considérer
le rendement en poids comme étant :
De 28,96 p. 100 pour le chêne ;
De 26,57 p. 100 pour le charme ;
De 26,91 p. 100 pour le hêtre.
Le charbon de bois est un combustible dont on fait un grand
usage dans les foyers industriels et domestiques ; on le mesure
ordinairement à l’hectolitre ou au poids, ce qui est beaucoup plus rationnel,
surtout pour le commerce au détail ; car, tandis qu’à volume égal, le
charbon de bois dur donne plus de chaleur que le charbon de bois tendre, celui-ci
brûle et se consume plus vite que le charbon de bois dur. Dans les forges, le
charbon de bois dur est surtout estimé pour la fonte du minerai ; le
charbon de bois plus tendre, de tremble, d’aune, de pin, de sapin, s’emploie
avec avantage dans les feux d’affinerie. Le premier se désigne sous le nom de
charbon fort ; le second, sous le nom de charbon doux.
Dans les établissements industriels, on apporte une grande
attention à la qualité des charbons qu’on emploie. Cette qualité s’apprécie
d’après la densité du bois, et par conséquent, pour une même essence, elle peut
varier avec l’âge des arbres.
Le meilleur charbon est fourni par le bois qui touche à sa
maturité ; c’est ce qui fait que le charbon provenant de bois exploité en
taillis, à un âge convenable, est aussi bon que celui qui provient de jeunes
futaies. Les bois très vieux, les bois sur le retour, dépérissants, échauffés,
les bois flottés et les bois très jeunes ne donnent relativement que du charbon
de qualité inférieure. La qualité du charbon dépend aussi de son degré de
cuisson, de la saison dans laquelle le bois a été abattu et de son degré de
dessiccation au moment de la carbonisation. Le charbon cuit à point donne plus
de chaleur que le charbon trop cuit ou pas assez cuit. Le bois coupé dans la
saison morte donne plus de chaleur et un meilleur charbon que le bois coupé en
temps de sève. Le bois que l’on carbonise après quelques mois de coupe et
lorsqu’il ne renferme plus que 20 à 25 p. 100 d’eau hygrométrique, donne
un charbon meilleur que celui que l’en obtient du bois vert et du bois très
desséché. Le charbon bien fait varie de poids avec les essences et la qualité
du bois. Dans les Vosges, le charbon de bois dur mêlé pèse en moyenne 22 à 25
kilogrammes l’hectolitre. Dans les transports des charbons, on doit éviter les
secousses, les cahots de voiture, les transbordements, qui ont toujours pour
résultat de briser le charbon, ce qui détermine un déchet dans la quantité et
aussi, dit-on, dans la qualité du combustible. Rendu à destination, le charbon
doit être mis en lieu sec et aéré, et surtout préservé de la pluie.
Louis TESTART.
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