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Élevage

Le cheval

Le sevrage des poulains.

L’opération du sevrage consiste dans le remplacement de l’alimentation lactée par une alimentation végétale : herbes et grains, de composition variée, qui servira à l’entretien et au développement du jeune animal au cours de son existence, tout en lui fournissant, sous forme de « calories », de quoi récupérer les déperditions de chaleur, résultant du travail auquel il sera soumis.

Encore que sa pratique paraisse toute simple et toute ... naturelle à beaucoup de cultivateurs ou d’éleveurs, qui l’exécutent « au petit bonheur », on ne saurait trop dire et répéter que le sevrage a toujours une influence décisive sur la santé et la croissance du poulain, et qu’elle est de plus la pierre de touche de toute amélioration continue dans l’élevage des animaux et des chevaux en particulier.

D’une manière générale, on peut affirmer que l’avenir d’un poulain dépend pour une très large part des soins qui lui sont donnés pendant la première année de sa naissance. Aussi, quelles que soient la race et l’espèce des chevaux qu’ils font naître, les éleveurs doivent être persuadés, avant toute chose, qu’ils ne gagneront jamais rien à économiser sur la nourriture de leurs jeunes animaux. Une nourriture insuffisante, ou de qualité médiocre, fait des poulains « hauts sur pattes », dégingandés, à poitrine étroite, à flanc retroussé, qui se tareront facilement dès leur premier travail, qu’ils accepteront du reste moins volontiers que leurs camarades bien développés, bien musclés et bénéficiant d’une bonne santé générale à cause d’une nourriture à la fois abondante et choisie.

Deux choses principales doivent être surtout prises en considération pour pratiquer le sevrage dans les meilleures conditions possibles : son opportunité, c’est-à-dire l’époque à laquelle il doit être commencé ; puis son mode d’exécution, que nous allons envisager dans une vue d’ensemble, quelque peu théorique, en laissant à chacun le soin de trouver les adaptations nécessaires à certains cas particuliers. Des expériences nombreuses, et conduites par des savants autorisés, ont démontré d’une manière indiscutable que, dans tous les cas où l’allaitement avait été interrompu avant l’apparition des premières dents molaires, la croissance du poulain se trouvait retardée et que, par contre, son appareil digestif prenait un développement anormal, disproportionné avec sa taille et son poids, nuisant à l’harmonie de ses formes et de son aspect général. Cela n’est pas fait pour tenter un acheteur et, quand il s’en trouve un, le sujet ne payant pas de mine ... il aura la partie belle pour en offrir un prix peu rémunérateur : tandis que, si le poulain reste à son éleveur, il devient souvent au dressage, puis au travail, une « bête à chagrins », malingre et débile, ne fournissant pas plus d’ouvrage que de profit.

C’est le plus souvent à l’âge de six mois environ, de septembre à octobre, que les poulains sont ordinairement sevrés, en tenant compte, cela va de soi, de la date de leur naissance. Il est également nuisible de le faire ou trop tôt ou trop tard, car, dans le premier cas, le poulain n’arrive pas à s’alimenter suffisamment de ses propres moyens et, dans le second, le lait de la mère devient moins abondant et perd une proportion notable de ses qualités nutritives.

D’une manière empirique, mais qui coïncide assez exactement avec la réalité, on admet que la durée normale de l’allaitement d’un jeune animal doit être au moins la moitié de la durée du temps de la gestation chez la mère. Mais, ainsi que nous l’avons dit plus haut, mieux vaut s’en rapporter à l’évolution physiologique du sujet, plus précise dans ses indications, bien que variable avec les individus, et considérer que l’alimentation lactée n’est plus indispensable, ni même nécessaire, dès que les dents molaires de remplacement apparaissent dans la bouche du poulain.

Quand les poulinières « portent » et nourrissent en même temps, le sevrage se fait le plus souvent sans aucune précaution particulière. Au fur et à mesure que la gestation avance, la sécrétion du lait chez la mère diminue et, les besoins du poulain augmentant, celui-ci cherche de lui-même dans la prairie le supplément de nourriture dont il a besoin. Dans ces conditions, le sevrage peut être retardé jusqu’au septième et même huitième mois, ce qui est sans importance pour des juments consacrées uniquement à la reproduction et ne travaillant pas.

Chez les chevaux de pur sang, dont la plupart sont destinés aux luttes de l’hippodrome, dès l’âge de deux mois, quelquefois avant, le poulain commence à manger de l’avoine concassée qu’il grignote à côté de sa mère, dans une mangeoire spéciale, tant et si bien que certains éleveurs sont tentés de forcer ce régime, sous prétexte que plus le poulain sera nourri, plus il grandira et s’étoffera. Rien n’est moins certain, car l’excès en tout est un défaut, et le développement d’un poulain, pas plus que d’un cheval adulte, n’est pas fonction de ce qu’il absorbe, mais de ce qu’il digère et assimile.

Le point important pour la réussite du sevrage est d’observer une transition aussi douce et régulière que possible entre l’alimentation lactée et l’alimentation végétale.

D’après le professeur Dechambre, de l’École vétérinaire d’Alfort, où il occupa pendant de longues années la chaire de zootechnie, l’opération doit se faire dans l’espace d’une quinzaine de jours, en moyenne. Mais il signale aussi qu’il peut arriver que le sevrage doit être réalisé assez vite, dans le moment où approchent les foires d’automne avec les ventes de poulains qui en sont la caractéristique.

Dans ce cas, on sépare le poulain de la poulinière, en ne le laissant téter qu’à des intervalles de plus en plus éloignés. L’un et l’autre se tourmentent et s’agitent pendant un jour ou deux, mais bientôt tout rentre dans l’ordre. Il faut avoir soin de mettre la jument à la demi-diète et alimenter le poulain avec des barbotages, des farineux, des racines (carottes, betteraves, topinambours) et autres aliments de facile digestion. L’usage du lait écrémé rendra très certainement d’appréciables services au cours de cette transition, bien qu’il ne constitue pas un aliment complet ; mais, à ce moment, il n’y a pas à craindre de carence alimentaire, puisque celle-ci se trouve corrigée par la distribution d’autres denrées.

À défaut du lait écrémé, on ne saurait trop recommander l’emploi du « thé de foin », dont les qualités devraient être mieux connues et plus souvent utilisées, qui se prépare en faisant macérer à froid 2 kilogrammes de foin dans 5 à 6 litres d’eau pendant dix à douze heures, ou en traitant la même quantité de fourrage sec par de l’eau bouillante, dans un seau que l’on recouvre d’une couverture pliée en quatre, pour favoriser l’infusion. Quand la masse est refroidie, on décante le liquide qui a dissous la plus grande partie des principes nutritifs du fourrage et dont la valeur est très comparable à celle du lait écrémé.

Quand les ressources d’une exploitation le permettent, il y a toujours avantage à grouper ensemble les poulains qui viennent d’être sevrés ; ils supportent ainsi plus volontiers l’éloignement de leur mère, et le voisinage de leurs compagnons contribue à les rendre plus sociables entre eux et moins craintifs aux approches des hommes. Dans ces conditions, traités avec douceur et mis en confiance, ils se laissent facilement aborder, caresser et palper sur toutes les parties du corps : ils se montrent dociles à se laisser conduire, à supporter la brosse et l’étrille, à permettre l’examen de leurs sabots, autant de qualités qui augmenteront leur valeur utilitaire ou marchande. Car un poulain qui a été bien élevé est déjà presque à moitié dressé, ce que les vieux hippiatres exprimaient déjà en disant :

    Ce qu’apprend poulain en jeunesse,
    Tout ce vaut-il maintenir en vieillesse !

J.-H. BERNARD.

Le Chasseur Français N°601 Septembre 1941 Page 424