On s’imagine communément que, depuis la plus haute
antiquité, les Bretonnes ont porté la coiffe aérienne, les Alsaciennes le grand
nœud, les Boulonnaises la grande coiffe si jolie et si gracieuse ; il n’en
est rien. Si, en effet, nous consultons les notes des touristes du temps jadis,
nous pouvons constater que, d’un siècle à l’autre, parfois même en quelques
années, ces costumes que nous croyons immuables et en quelque sorte figés, ont
évolué, se sont, petit à petit, adaptés au goût du jour, aux conditions de vie
et aux circonstances économiques. Des exemples variés vont permettre à nos
lecteurs de se faire une idée, dans ce voyage à bâtons rompus à travers les
provinces de France d’autrefois, des différences de nos costumes régionaux.
Voici tout d’abord l’habillement des femmes de Strasbourg en
1695, d’après un texte encore inédit. Elles sont vêtues de noir ; l’on ne
distingue les femmes mariées des filles que par la coiffure. Les élégantes
portent un bonnet de martre ou de zibeline, parfois de grande valeur. « La
coëffure des filles est un chapeau allongé en pointe par les deux costés avec
les cheveux tressés derrière ». Les Strasbourgeoises changeaient de
costume suivant les cérémonies auxquelles elles assistaient : mariage,
enterrements, etc. En Normandie, sous le règne de Louis XVI, les habits
des femmes sont riches ; à Yvetot, les costumes sont soignés et fort
propres, mais à Bolbec ils sont luxueux. Les Cauchoises arborent une
« toque » brodée d’or ou d’argent avec des paillettes de
couleurs ; elles ont une longue jupe écarlate avec un « juste »
galonné sur les manches ; leur coiffe était ornée de longues barbes ainsi
que d’un voile de mousseline brodé ; l’ensemble, à en croire maints
auteurs, était ravissant. Si ravissant même que certaines Parisiennes n’hésitèrent
point à adopter le costume si seyant des Cauchoises ; par contraste,
quelques années plus tard, les jolies filles du doux royaume d’Yvetot copièrent
les modes de la capitale ; c’est ainsi que, peu à peu, nos admirables
costumes locaux disparurent.
En compagnie d’une charmante femme de lettres contemporaine
de Marie-Antoinette, élançons-nous sur les routes de France. À Orléans, l’usage
est de porter, en toutes saisons, des grandes capotes ; à Angoulême, un
jour de marché, notre guide signale des femmes vêtues de pelisses qui devaient
ressembler à des sortes de cages. Les femmes du peuple à Tarbes, note cette
voyageuse, portent de grands voiles blancs, qui leur couvrent la moitié du
corps : ces vêtements sont, ajoute cette femme précise, d’une étoffe de
laine claire « connue sous le nom de voile ». Mais, arrivée au
terme de son expédition, cette femme hardie nous dépeint les habitants de
Barèges, et ses descriptions sont fort amusantes. Les montagnards étaient, à
cette époque, revêtus, par les temps froids ou pluvieux, de demi-manteaux avec
un capuchon dont la laine était fort grossière ; mais cette laine serrée
constituait une sorte d’imperméable, la pluie coulait sur ce rude vêtement. Les
épouses de ces braves gens se couvraient la tête d’un morceau de laine rouge
qui leur emboîtait la tête et retombait au milieu du dos ; c’était le capulet
qui présentait le double avantage de les garantir du froid et de la pluie.
La lithographie, la photo ont popularisé le costume actuel
des filles d’Arles ; la lecture d’un bouquin bien oublié, le Voyage en
France en 1804 de M. de la Bédoyère, nous permettra de nous
représenter ce qu’était le costume d’une Arlésienne à l’aurore du premier
Empire. À cette époque, elles portaient toutes des bas pareils et d’énormes boucles
d’argent sur leurs souliers, la couleur de leur corset variait suivant la
saison, une jupe courte sans tablier complétait leur costume. Leur coiffure
consistait en un bonnet rond retiré un peu en arrière, et un mouchoir de soie à
fond jaune moucheté de noir, qui se joignait au bonnet, s’avançait sur le
front, s’arrondissait autour des joues, et se nouait fort gentiment sous le
menton. Les bras de ces aïeules de Mireille étaient ornés de beaux bracelets
d’or qui ressemblaient aux riches anneaux des Romaines ; sur leur poitrine
pendait une longue croix d’or, enjolivée de diverses manières, suivant sans
doute la condition sociale, mais toujours enrichie d’une étoile en émail.
Les lithos ont fait connaître également le costume assez
récent des femmes du Mâconnais ; un ecclésiastique italien, Locatelli, qui
assista à un bal de villageoises à Mâcon en l’an de grâce 1665, nous dépeint
les habits de ces campagnardes au temps du Roi Soleil. Après nous avoir avoué
qu’il ne sait comment décrire ce costume qu’il juge fort disgracieux,
l’écrivain se lance dans une énumération assez longue. Elles portaient des
chapeaux aux bords très larges et à fond étroit ; on ne pouvait voir leur
coiffure, leurs cheveux étant emprisonnés dans un réseau de filet jaune qui, note
notre amateur de comédie italienne, « fait exactement comme la calotte de
Scaramouche qui joue le rôle du Napolitain ». Autour du front, elles
avaient une sorte de lanière de cuir noir derrière laquelle pendait un voile.
Leur chemise froncée était ornée de dentelles de plusieurs couleurs qui
dépassaient le corsage ; l’ouverture de ce corsage se fermait à l’aide
d’une chaînette de fer — un genre, somme toute, de fermeture éclair !
— ledit corsage était cousu à la robe ; en guise de ceinture, elles
portaient une chaîne de fer où pendaient les clés de la maison ; on
distinguait les riches des pauvres par le nombre de clés et l’élégance de cette
chaînette. Le digne homme quitta Macon après avoir noté cette vision
étrange : des femmes coiffées de grands parasols et habillées de la façon
la plus burlesque du monde. Empressons-nous de dire que Locatelli avait fort
peu voyagé !
Franchissons les siècles et les étapes. En compagnie de M. A. Carro,
rendons-nous maintenant à la foire de Carnac en Bretagne, pays bien connu par
ses fameux alignements, où, en 1857, nous pouvons noter de nombreux paysans en
costumes. Celui des femmes, avoue notre auteur, est en général fort laid ;
la plupart ont de longues robes noires ou très foncées ; le morceau de
mousseline ou de toile empesée qui leur couvre la tête, continue-t-il, leur
donne un peu l’air de religieuses que l’on est un peu surpris de rencontrer
dans les cabarets. Les hommes, eux, portent un habit assez ordinaire, car, nous
signale notre touriste, ce n’est que vers le Finistère que le costume masculin
commence à être vraiment curieux. À Carnac, les hommes ont un chapeau à larges
bords posé sur de longs cheveux ; la blouse n’avait point encore pénétré
en Bretagne ; elle était le vêtement des maquignons.
La carte postale, les réclames des onctueuses rillettes nous
montrent de jolies filles du doux pays d’Anjou, coiffées de ravissants,
d’exquis bonnets de dentelles. J. F. Bodin, en 1823, nous apprend que
le véritable bonnet angevin — bonnet rond plissé — ne commence qu’à Tuffaux
et qu’on peut le voir sans interruption jusqu’au Marillais ; au delà il
était concurrencé par le bonnet du pays Nantais, grande coiffure aux barbes
longues et larges qui « paraît plutôt fait pour embarrasser celle qui le
porte que pour l’embellir ».
Mais, peu à peu, nos costumes disparurent ; en 1831
déjà, le peintre Paul Huet constatait en Auvergne que les modes de Paris
remplaçaient les coquets et pimpants habits des femmes ; adieu le corset
de velours, la jupe dont le bas relevé laissait voir une jolie jambe nue, adieu
la coiffe noire retenue sur la tête par un cercle en cuivre ! Les
vêtements tout faits, la confection remplacèrent, province par province,
canton par canton, les frais et pittoresques costumes d’antan ; n’est-ce
point dommage ?
Roger VAULTIER.
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