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La pêche à la graine

Sous l’appellation générique de « pêche à la graine », devraient être normalement compris tous les genres de pêche qui emploient pour esches les semences végétales appréciées du poisson. À notre époque, elle a pris un sens plus restrictif et s’applique à peu près exclusivement à la pêche au grain de chènevis.

De même que, vers l’année 1897, je crois avoir été le premier pêcheur de nos régions à me servir pour la pêche de grains de blé bouilli, j’ai toutes raisons de croire que j’ai été également l’un des premiers, en 1905, à employer comme esche la graine de chènevis. Je n’ai pas, cependant, la ridicule prétention de me croire l’inventeur de ces deux modes de pêche, qui, très certainement, étaient pratiqués ailleurs depuis longtemps déjà. Au sujet de cette dernière, voici les raisons qui m’avaient incité à l’essayer.

Péchant très souvent à la noquette de tourteau de chènevis, esche très en faveur à cette époque, je prenais, soit à la passée, soit à l’arrêt, de nombreux barbeaux, des carpes, des brèmes, de très beaux chevesnes, mais fort peu de gardons, qui pullulaient cependant sur les lieux où je pêchais habituellement. Pensant que la grosseur de mes esches était le principal obstacle à ma réussite — les toutes petites noquettes n’étant pas employées alors, — l’idée me vint que, puisque ces poissons accouraient à l’amorce, ils mordraient probablement aussi à la graine, dont le tourteau provenait, puisqu’elle avait la même saveur et que, grâce à son petit volume, elle serait facilement engamée par les gardons que je voyais nager autour de moi et remplacerait avec avantage l’asticot, toujours répugnant à manipuler.

Les premiers essais furent concluants, et, bien que me servant alors de lignes qu’un pêcheur moderne n’eût pas hésité à qualifier de « grossières et brutales », c’est par douzaines que ces beaux poissons aux nageoires rutilantes venaient s’entasser dans la boutique de mon petit bateau.

De nos jours, ce mode de pêche s’est grandement perfectionné, et, bien que ces poissons soient devenus bien moins faciles à capturer qu’autrefois, les réussites de nos « as de la graine » dépassent, et de fort loin, celles des débuts de votre serviteur. En dépit de sa divulgation par quelques bons ouvrages halieutiques modernes, cette pêche est encore peu connue de beaucoup de confrères ; c’est pourquoi il m’a paru utile d’y consacrer quelques causeries, afin de mieux la faire apprécier à sa juste valeur.

Donnons, en premier lieu, une description sommaire de la plante qui produit cette esche incomparable.

Le chanvre (Cannabis sativa, famille des Urticées) est une plante cultivée surtout pour ses fibres, dont on fait des cordages, des liens et des toiles. Sa tige est élancée et peut, dans nos contrées, atteindre la hauteur de 2 mètres environ. Ses feuilles, vertes et velues, sont alternée et digitées. Les fleurs, disposées en grappes, sont petites et verdâtres ; elles s’épanouissent de juillet à septembre et contiennent chacune une graine unique. C’est de la tige, après rouissage, que l’on tire la fibre employée dans le textile et la corderie.

Cette plante, originaire de l’Asie centrale, contient un principe narcotique qui agit sur les nerfs d’une manière analogue à celle de l’opium. Il est connu des Orientaux sous le nom de « Haschisch », et ces peuples en font un usage courant.

La graine du chanvre, appelée plus communément graine de chènevis, est de forme ovoïde, parfois légèrement déprimée. Sa taille est inférieure à celle des têtes en verre coloré des épingles d’acier dont se servent nos ouvrières des campagnes vellaves pour fixer le dessin de la dentelle dite « au carreau ». Quelques-unes présentent de fines nervures sur leur coque ; la plupart sont lisses, d’un gris tirant sur le verdâtre, plus ou moins foncé. La bonne graine fraîche possède un brillant huileux caractéristique.

À l’état cru, son enveloppe est assez dure pour résister à une forte pression. Les deux extrémités n’en sont pas parfaitement semblables. Un des bouts paraît plus pointu que l’autre ; ce dernier, arrondi, présente une sorte de petite dépression en creux difficile à bien distinguer à l’œil nu.

Bouillie pendant un certain temps, ou mise simplement à détremper dans l’eau froide, ladite graine ne gonfle pas beaucoup et son accroissement minime en volume — un cinquième environ — paraît tenir surtout à l’écartement de l’enveloppe dure qui se sépare volontiers en deux coques retenues par une charnière, rappelant la forme de certaines coquilles bivalves légèrement en tr’ouvertes. Par cette fente, on aperçoit une pulpe blanche et farineuse, l’amande, qui en constitue la partie comestible. Au bout d’un certain temps d’immersion ou de cuisson, apparaît un petit germe blanc qui fait saillie au dehors, il est assez fragile. Il faut croire que la saveur huileuse et un peu âcre qui se dégage de cotte graine est fort appréciée de certains poissons de nos rivières, puisque, dans celles où elle est couramment employée comme amorce et appât, ils refusent souvent toute autre esche.

Les poissons susceptibles de mordre à la graine sont surtout la brème, le chevesne, le gardon, le hotu et la vandoise. Les petits poissons : ablettes, chabots, goujons, loches et vairons, ne l’apprécient que fort peu ; ceci est à l’avantage du pêcheur, qui n’a guère à craindre de voir son flotteur s’enfoncer de leur fait. Quant aux grosses pièces, si parfois elles peuvent goûter aux graines répandues à profusion sur le fond pour constituer l’amorçage, elles se soucient peu, en général, du grain unique fixé à l’hameçon, lequel reste le plus souvent suspendu à une certaine distance du sol de la rivière en dérivant avec lenteur. Ne nous en plaignons pas trop, car nos fines montures auraient souvent à en pâtir.

La pêche à la graine s’adresse donc principalement aux poissons de taille moyenne, et en particulier au gardon, poisson à l’appétit capricieux, au toucher délicat et subtil. Comme, de tous ceux que nous venons de citer, il est le plus difficile à prendre, en vertu de l’adage « qui peut le plus peut le moins », c’est de la pêche du gardon à la graine que nous allons entretenir nos lecteurs. Quand ils accrocheront presque à tout coup ceux de ces poissons qui toucheront à leur esche, la capture des représentants des autres espèces ne sera plus pour eux qu’un jeu.

Pour le bon ordre et la commodité de notre exposition, nous diviserons notre travail en paragraphes afin d’examiner successivement, de notre mieux, les points essentiels pour une bonne réussite.

A. Le matériel.

— On peut pêcher le gardon à la graine avec un matériel de fortune, mais on n’obtiendra de résultats vraiment substantiels et suivis qu’à l’aide d’engins appropriés. Souvenons-nous, en effet, que c’est là une pêche toute de finesse, de sensibilité, tout l’opposé d’une pêche brutale.

La canne.

— La plupart des bons pêcheurs choisissent une canne légère et bien équilibrée pour éviter la fatigue et assurer un ferrage prompt, précis et sans raideur. Nous conseillons aux débutants l’achat d’une canne dite « tiercée », en roseau de Fréjus, avec scion fin en bambou. Ces cannes existent en plusieurs modèles :

    a. En deux brins, longueur 3m,50 environ et poids dépassant à peine 200 grammes, c’est là l’outil rêvé pour la pêche en bateau ;

    b. En trois brins, longueur atteignant près de 4m,50 ; poids environ 300 grammes ;

    c. En quatre brins, longueur 5 mètres ; poids légèrement supérieur à 400 grammes.

    Ces deux derniers types conviennent fort bien pour la pêche du bord, sur coup amorcé, si des obstacles n’obligent pas à pêcher loin de la limite des eaux ;

    d. On peut encore choisir une canne dite « transformable ». Ce genre possède une poignée courte en bambou, qui peut, si on le désire, se substituer au premier brin et faire ainsi varier la longueur de l’ensemble ; c’est là, semble-t-il, un avantage des plus précieux.

Moulinet.

— Pour les raisons souvent exposées dans nos causeries, nous estimons cet accessoire d’une incontestable utilité. Pour la pêche à la graine, il nous paraît indispensable, étant donnée l’obligation de montures très fines.

Il n’est pas utile qu’il soit luxueux ni d’un prix prohibitif. Un simple moulinet en cuivre bronzé, du diamètre de 50 millimètres et du poids de 125 grammes, suffit. Il peut contenir au moins 30 mètres de soie fine, ce qui est largement suffisant.

Bien entendu, son roulement devra être très doux. Le cric et le frein, non indispensables, seront cependant fort appréciés du pêcheur amateur de commodités.

(À suivre.)

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°602 Octobre 1941 Page 465