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Le fraisier au jardin

Puisque septembre et octobre sont les mois pendant lesquels nous devons renouveler nos plantations de fraisiers, parlons un peu de ces plantes et de leurs fruits savoureux.

De tout temps, la fraise fut le régal des gourmets et des gourmands ; sans remonter à la mythologie, au temps où le cyclope Polyphème offrait à la nymphe Galathée de cueillir « de sa main délicate la fraise qui naît à l’ombre des bois », rappelons que Louis XIV était un grand amateur de fraises. Il allait souvent voir son ami La Quintinie, au potager de Versailles, et jugeait par lui-même des progrès faits dans la culture de la fraise des bois. Il « s’en crevait » littéralement, selon l’expression de l’époque, à tel point que son médecin Fragon dut lui interdire complètement d’en manger.

Les poètes ont chanté la fraise, les amoureux vont la découvrir sous la futaie. Plus prosaïquement, nous cultivons le fraisier, afin de garnir nos tables de ses fruits charnus, sucrés, parfumés, riches en vitamines C, qu’il faut ingérer pour se protéger du rachitisme, des rhumes, grippes, états de fatigue et d’asthénie, toutes formes larvées du scorbut.

Trois grandes variétés de fraisiers sont cultivées :

Les fraisiers à petits fruits, dont la fraise des bois, petite, ronde ou allongée, a été longtemps le type ; le fraisier des Alpes, qui donne un fruit plus gros, plus tardif (dix jours environ), mais à floraison continue, a, par semis et sélection, donné naissance à cette autre variété que nous nommons fraisier des quatre saisons, dont Janus, Belle-de-Meaux, la Généreuse, Monstrueuse Caennaise sont les plus beaux types. Nous avons aussi ces fraisiers des quatre saisons sans filets, nommés Gaillon blanc et rouge, excellents pour bordure.

Les fraisiers à gros fruits, qui ne sont pas indigènes, comme beaucoup d’amateurs le croient, mais exotiques, importés, ceux de Virginie en 1629, ceux du Chili en 1715 ; ils ont donné depuis, par croisements successifs, les belles et bonnes variétés que nous cultivons, mais dont aucune n’accepte de prospérer à l’ombre ou dans les terrains calcaires, montrant bien qu’elles n’ont aucune affinité avec les fraises des bois.

Les fraisiers à gros fruits remontants, présentés, pour la première fois en 1894 à la séance de la Société nationale d’Horticulture de France. La première variété Saint-Joseph fit sensation et obtint un immense succès, puis Saint-Antoine, Constante Féconde, La Perle, Saint-Fiacre, Merveille de France, la Productive, etc. Par une culture appropriée et en les abritant à l’automne, on peut espérer une bonne production depuis août jusqu’à décembre.

Le fraisier aime beaucoup l’air, la lumière, le soleil. L’ombre des arbres lui est défavorable, de même la plantation devant un mur au Midi, Cultivez-le dans vos jardins par lignes ou par planches, au grand air, comme nous le cultivons en Anjou, en Bretagne, ou dans le Lyonnais pour approvisionner Paris, le Nord ou l’étranger.

Le fraisier se reproduit par le semis et par plants provenant des plus beaux stolons repiqués en août, dans une terre meuble et terreautée. Plantez en septembre-octobre les forts plants préparés à cette intention ; cependant, si vous craignez de fortes gelées qui pourraient les soulever et leur être préjudiciables, attendez février-mars. Tassez bien en plantant et arrosez par temps trop sec ou vent desséchant.

Distancez vos lignes de 40 centimètres environ, et mettez quatre plants au mètre courant. Dans vos petits jardins, 30 centimètres entre les rangs suffiront.

Dans tous les cas, arrosez les plants avant l’arrachage et soulevez-les avec un outil, pour leur conserver une bonne motte, ce qui est essentiel.

En moyenne, une plantation se renouvelle tous les quatre ans ; sinon, vous voyez vos fraisiers dépérir, les feuilles devenir plus petites, s’enrouler ou se replier sur les bords, les pieds sécher partiellement ; ils sont atteints de dégénérescence ; par une nouvelle plantation, vous éviterez cela.

Ne jamais planter avant d’avoir fait un labour à 40 centimètres de profondeur, avoir incorporé en bêchant 200 à 250 kilogrammes de fumier bien décomposé pour 100 mètres carrés, plus 3 kilogrammes de superphosphate à 16 p. 100 et 3 kilogrammes de sulfate de potasse ou de chlorure de potassium. Avant la floraison, faites un bon binage, puis paillez convenablement, et arrosez avec une solution contenant 15 grammes de nitrate de soude ou de sulfate d’ammoniaque pour un arrosoir de 10 litres d’eau. En septembre-octobre, nettoyez entre les rangs et les touffes de fraisiers, distribuez abondamment du terreau de couche et faites un léger bêchage.

Nous disons de pailler pour éviter que les fruits ne soient souillés de terre par les pluies d’orage, mais, outre le fumier, vous pouvez employer de la fougère, des fibres de bois, de la mousse, du fort papier maintenu par quelques pierres.

Comme piège contre les petites limaces noires qui attaquent les fruits, mettez de distance en distance, quelques rondelles de carottes ou des morceaux de pomme de terre, passez le matin de bonne heure et levez vos appâts.

On a remarqué que les fraises récoltées vers midi étaient beaucoup plus parfumées que celles récoltées le matin ou le soir ; cette particularité est propre à tous les végétaux et le développement de leur arme est conditionné par l’influence du jour ou de la nuit ; leur parfum est plus fort aussi à certaines heures et ceci pour chaque espèce.

Désirez-vous allonger la période de récolte des fraises à gros fruits ? Plantez pour cela-comme hâtives : Docteur-Morrère, Laxton-Noble, Marguerite-Lebreton, Surprise des Halles, Vicomtesse-Héricourt-de-Thury ; comme mi-saison : Alphonse-XIII, Mme Mouttot, Sensation, Idéal ; comme tardives : Tardive sans Pareilles, Tardive Léopold.

Marcel EBEL.

Le Chasseur Français N°602 Octobre 1941 Page 475