La situation économique de notre agriculture nationale et
les difficultés d’approvisionnement en denrées agricoles sont actuellement
telles que nous croyons de notre devoir de revenir sur une question déjà
traitée dans cette même revue en décembre 1931 : « L’utilisation des
sous-produits de la vigne. » Certains viticulteurs y trouveront peut-être
des idées qui leur permettront de pallier aux énormes difficultés de l’heure
présente.
Les marcs de vendange.
— Ils sont dits fermentés ou non fermentés, selon
qu’ils proviennent des décuvages de vins rouges ou de la vinification des vins
rosés et blancs ; ces résidus sont plus ou moins riches en alcools et en
sucre, ils sont constitués par des pépins, des rafles et des pellicules
auxquels on peut ajouter des lies pour les marcs fermentés. Au point de vue
industriel, ils présentent une certaine valeur qui, certes, n’est pas à
dédaigner.
Dans les grands centres viticoles, les marcs fermentés sont
l’objet d’un traitement industriel très rémunérateur : la distillation. Étant
donnée la pénurie de carburant liquide, la production d’alcool est aujourd’hui
d’une énorme importance. Les pressurages, aussi parfaits soient-ils, ne
retirent pas du marc la totalité du vin qui l’imprègne. Au sortir des
pressoirs, même les plus puissants, les marcs conservent encore 30 à 40
p. 100 de vin. La distillation a pour but de récupérer l’alcool que ce vin
renferme. Cette récupération de l’alcool de marc préalablement épépiné
(c’est-à-dire débarrassé des pépins dont on extraira l’huile de pépins de
raisins) peut se faire soit par distillation directe dans des alambics
particuliers, soit par distillation de piquettes préparées avec ces marcs dans
des alambics à vin. Ces appareils sont d’un prix d’achat fort élevé et leur
acquisition par la petite et moyenne propriété est impossible. Dans le but de
remédier à cet inconvénient, des coopératives de distillation se sont créées un
peu partout ; leur nombre est encore bien insuffisant et il est du devoir
de tout viticulteur d’adhérer sans réserve à de tels organismes coopératifs qui
n’ont d’autres intérêts que les siens.
Les marcs fermentés dans l’alimentation du bétail.
— Au sortir du pressoir, les marcs doivent donc être
distillés, puis peuvent être ensilés. Cet ensilage se fait dans des silos
semblables à ceux utilisés depuis quelques années pour la conservation des
fourrages verts. Le chargement se pratique par couches successives que l’on
sale (au sel ordinaire), à raison de 1 à 2 p. 100. Cet ensilage doit être
fait le plus rapidement possible et la masse énergiquement tassée pour éviter
l’accès de l’air qui favorise les fermentations acétiques et putrides.
Chevaux, bœufs et mulets sont ceux qui acceptent et
supportent le mieux ce genre de nourriture. Les moutons semblent moins bien la
tolérer et leur engraissement s’en ressent.
D’après les expériences de J. Fabre à l’École Nationale
d’Agriculture de Montpellier, on peut estimer que 100 kilogrammes de marc,
renfermant environ 70 p. 100 d’eau, équivalent à 33 kilogrammes de
bon foin. Si cette richesse en eau diminue, la valeur alimentaire du marc
augmente et vice versa.
Voici, à titre de renseignements, les rations de marc que
l’on peut distribuer quotidiennement, sans danger, aux différents animaux de
l’exploitation :
Pour les chevaux et mulets : 10 à 15 kilogrammes ;
Pour les bœufs et les vaches : 20 à 25 kilogrammes ;
Pour les moutons : 3 à 5 kilogrammes.
Ces rations doivent être mélangées à du son et, si la teneur
en eau est insuffisante, on devra légèrement humecter la masse.
Utilisation des marcs dans la fabrication des composts.
— Les marcs distillés peuvent servir avantageusement à
la fabrication des composts. Incorporés au sol sans aucune préparation, leur
valeur fertilisante est nulle, et trop d’agriculteurs ignorent encore que cette
matière organique doit d’abord subir une transformation avant d’être utilisable
par les plantes, il est nécessaire de neutraliser leur acidité à l’aide de
chaux ; on facilite ainsi leur fermentation sous l’influence de divers
ferments microbiens. Après un certain temps, six à huit semaines, au plus, ce
compost peut être utilisé comme engrais. Voici, d’ailleurs, des chiffres
d’analyse montrant que la composition du compost de marc se rapproche de celle
du bon fumier de ferme.
| P. 100. |
Eau | 50,00 |
Azote (nitrifiable) | 0,70 |
Acide phosphorique | 0,80 |
Potasse | 1,20 |
Composition du fumier de ferme :
| P. 100. |
Eau | 76,00 |
Azote nitrifiable | 0,50 |
Acide phosphorique | 0,49 |
Potasse | 0,66 |
Nous avons obtenu d’excellents résultats en constituant les
composts, par strates successives de 15 à 20 centimètres, de marc, de
fumier et de gadoues tamisées en saupoudrant le marc et les gadoues de chaux.
La masse, entretenue légèrement humide, a fermenté en trente-cinq jours, a été
recoupée deux fois et, ainsi rendue homogène, a constitué un excellent engrais
dont nous avons pu constater les heureux effets.
Les marcs sont donc une source de produits fertilisants que
l’industrie vinicole met à la disposition du viticulteur à fort bon compte et
que ce dernier ne saurait délaisser sans aller à l’encontre de ses intérêts
personnels et, chose beaucoup plus grave, des intérêts du pays.
Sous cette forme, il rendra au sol la majeure partie des
principes fertilisants extraits par la récolte, mais, comme dans le cas du
fumier de ferme, il lui sera impossible d’enrichir le sol en tel ou tel élément
si celui-ci manque déjà. « Le fumier est le reflet du sol », a dit
Risler ; il en sera de même des composts de marcs.
H. PAU.
|