La maladie de la graisse est fréquente dans les régions
cidricoles et nous recevons assez souvent des lettres de cultivateurs cidriers
nous demandant de leur indiquer les traitements à faire subir aux cidres qui en
sont atteints pour les restaurer suffisamment de manière à pouvoir entrer dans
l’alimentation. Avant d’expliquer en détail la nature de ces traitements, nous
allons montrer les causes et les caractères de cette maladie.
Causes.
— Cette maladie est due à un microbe anaérobie,
c’est-à-dire vivant à l’abri de l’air, nommé Micrococcus viscosus. Au
microscope, il apparaît constitué de très petits filaments formés par des
globules sphériques d’un millième de millimètre de diamètre ayant de la
ressemblance avec les chapelets du ferment acétique.
Caractères.
— La graisse, que l’on peut constater à différentes
époques de leur conservation, non seulement dans le cidre, mais également dans
les vins et les bières, se caractérise par la propriété qu’elle leur communique
de devenir filants comme de l’huile, quand on les verse de haut dans un
récipient. Les eaux malpropres utilisées à la macération des marcs paraissent
constituer le mode ordinaire de contamination des cidres. Les jus contenant
beaucoup de matières gommeuses et pauvres en tanin sont favorables à la
maladie.
Les traitements peuvent être préventifs ou curatifs.
Traitements préventifs.
— Ils consistent avant tout à observer dans l’entretien
du matériel et dans les diverses manipulations une propreté absolue : ne
se servir que d’eau pure exempte de matières organiques, provoquer un bon
départ de la fermentation.
Traitements Curatifs.
— Lorsque le cidre est légèrement gras, on peut avoir
recours à un collage énergique. Un moyen économique consiste dans l’emploi de
la terre d’Espagne. Cette substance est le produit de la décomposition des
roches volcaniques, elle se rapproche du kaolin, c’est un silicate
alcalino-terreux. On la trouve dans le commerce en petits morceaux ou à l’état
de poudre, mais, à raison de la propriété qu’elle possède d’absorber facilement
toutes les odeurs, sa conservation doit avoir lieu dans des récipients et des
locaux qui en sont totalement dépourvus. Il importe de n’opérer qu’avec de la
terre d’Espagne finement pulvérisée, neutre au goût et à l’odorat, purifiée. On
l’utilise à la dose moyenne de 500 grammes par hectolitre. On ne doit
opérer que sur du cidre séparé de sa lie. On délaie le poids de la terre à
employer dans deux fois environ son poids de cidre et on laisse quelque temps
en contact, puis on triture la pâte ainsi formée avec une quantité suffisante
de cidre jusqu’à ce qu’on ait obtenu une bouillie claire. On la verse dans le
tonneau où on la mélange grâce à un toilettage énergique de huit à dix minutes,
réitéré à une heure de distance. Sa principale action repose sur sa porosité,
en vertu de laquelle elle attire les mucosités du cidre et les entraîne avec
elle au fond du tonneau pendant sa précipitation. Lorsqu’on juge que le dépôt
est complet, on soutire dans un tonneau propre et préalablement méché.
Le tanin peut provoquer la coagulation des matières mucilagineuses
du cidre gras, le ferment ou microbe emprisonné dans le coagulant est entraîné
avec lui au fond du fût pendant la précipitation. Le tanin pur, à l’alcool,
constitue le meilleur réactif. La quantité à employer quand la maladie est
encore au début varie entre 10 et 15 grammes par hectolitre. L’effet sera
encore plus complet si l’on dissout ce tanin dans un quart de litre d’alcool à
90°. Après cinq ou six jours, on soutire dans un fût fortement méché.
Le cachou à raison de 25 à 50 grammes par hectolitre
est également utilisable. On le délaye dans cinq litres de cidre qu’on verse
dans le tonneau où le mélange se fait par un bâtonnage énergique pendant
quelques minutes.
La refermentation du cidre malade est sans doute le meilleur
remède. Lorsque le cidre marque encore entre 1.018 et 1.015 au densimètre et
renferme approximativement de 36 à 30 grammes de sucre par litre, la
refermentation produite par une addition de 50 à 80 grammes de levure de
grains produit la désagrégation des filaments et sature le cidre d’acide
carbonique. Cette saturation, qui serait très utile après chacun des
traitements dont il vient d’être question, pour redonner au cidre de la
fraîcheur, peut être obtenue par une carbonisation avec de l’acide carbonique
liquide que le commerce livre aujourd’hui en tubes d’acier de diverses
capacités. Si le cidre n’est plus suffisamment sucré, on dissoudra dans
quelques litres de bon cidre sain, en le faisant tiédir, 500 grammes à 2 kilogrammes
de sucre blanc cristallisé ordinaire. On versera ce liquide sucré dans le
tonneau et on agitera vigoureusement avec un bâton fourchu afin d’obtenir un
mélange aussi parfait que possible. Le tonneau devra être placé dans un local
dont la température sera de 15 à 20°. Au besoin, on relèvera la température du
cidre en additionnant celui-ci d’une certaine quantité de ce liquide chauffé au
maximum à 60°.
Après cette refermentation, on ajoutera au cidre 10 grammes
de tanin pur pour hâter la clarification. On s’assurera également de l’acidité
du cidre et, au cas où elle serait insuffisante (goût plat fadasse), on
ajoutera avec le tanin 40 grammes d’acide tartrique.
Quel que soit le procédé employé pour faire disparaître la
graisse, il sera bon de consommer le cidre traité, car une récidive de la
maladie est toujours à craindre. Pour désinfecter le tonneau ayant contenu le
cidre gras, on le lavera d’abord avec une solution chaude de cristaux de soude
(un kilogramme de cristaux pour 10 litres environ). On le rincera à plusieurs
reprises à l’eau froide : puis on versera dans le fût une dizaine de
litres d’eau bouillante et on le roulera en tous sens. Après égouttage de
plusieurs heures, on fera brûler une mèche soufrée et on bouchera aussitôt afin
d’éviter la perte trop rapide du gaz sulfureux.
LANEUVILLE.
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