En ces temps difficiles de disette, plus ou moins marquée,
des principales denrées fourragères, de restrictions de consommation concernant
celles dont on peut disposer et par suite de l’augmentation progressive des
prix, l’emploi des aliments de substitution s’impose peu ou prou, dans
toutes les exploitations agricoles, pour la nourriture des animaux, et
spécialement aux propriétaires de chevaux dans les villes où, par nécessité,
les « chevaux-vapeur » ne pouvant plus être alimentés, la traction hippomobile
a dû se développer d’une manière tout à fait imprévue.
Les aliments de substitution comprennent toutes les denrées
susceptibles d’entrer dans la composition d’une ration pour l’améliorer au
point de vue de sa valeur nutritive et sans qu’il en résulte un supplément de
dépense dans les frais d’exploitation.
Les aliments mélassés que l’industrie prépare depuis
longtemps déjà et dont la fabrication, sous des formes variées répondant à des
besoins différents, s’est progressivement perfectionnée tout en augmentant sa
production, offrent à ce point de vue des ressources très appréciables, qui
sont encore trop souvent négligées. Les uns pèchent par ignorance des avantages
qu’ils pourraient en retirer, les autres faisant preuve de méfiance ou de parti
pris dans l’appréciation de procédés ou de régimes nouveaux appelés à
bouleverser les habitudes courantes et à condamner des préjugés du temps passé.
À l’intention de ces incrédules et de ces timorés, il nous
paraît à propos de répéter ce qu’enseignait à l’École Vétérinaire d’Alfort le
professeur Sanson, qui fut en son temps un grand maître de la zootechnie: Tout
ce qui n’est pas poison est aliment, et, par conséquent, toute substance
offerte à un prix avantageux mérite d’être examinée.
À ce point de vue particulier, la mélasse se présente avec
un copieux bagage de qualités et de références susceptibles d’intéresser et
même de convaincre l’examinateur le plus exigeant.
Avant d’en faire état, nous devons signaler que les
possibilités alimentaires de la mélasse ont été mises à l’essai, à la suite des
découvertes et expériences des deux grands physiologistes Claude Bernard et
Chauveau, confirmant la présence constante du sucre dans le sang des animaux.
Mais ce n’est qu’en 1856, après une série de travaux poursuivis pendant plus de
cinquante ans, que le professeur Chauveau et ses élèves parvinrent à démontrer
que le sucre est l’aliment par excellence du muscle, le charbon
indispensable de la matière vivante.
Or la mélasse, qui n’est autre chose qu’un résidu de
l’industrie sucrière, contenant encore en moyenne 45 p. 100 de sucre
cristallisable, dont la valeur énergétique avait été si heureusement mise en
évidence, se trouvait de ce fait offrir aux expérimentateurs savants et
praticiens un sujet d’étude pour la faire entrer dans l’alimentation des
animaux.
La composition chimique moyenne des différentes mélasses
peut être ainsi fixée : 22 à 26 p. 100 d’eau, 8 à 10 p. 100 de
matières minérales et 62 à 70 p. 100 de matières organiques.
Les matières minérales sont surtout les sels de la
betterave, gourmande d’engrais potassiques, sels de potasse et de soude dont il
ne faut pas négliger l’influence, car ils peuvent être toxiques, ou du moins
nocifs, à des doses relativement faibles.
Les substances organiques sont formées de : 44 à 50
p. 100 de matières sucrées, dont une grande partie de sucre ordinaire
(saccharose), d’acides organiques, d’amides (8 p. 100) pouvant se
transformer dans l’appareil digestif en matières albuminoïdes capables de
réparer l’usure des tissus ou de jouer le rôle d’aliment d’épargne, enfin de
principes odorants qui excitent l’appétit.
Les hommes de science et les usagers s’accordent pour
reconnaître que la mélasse, à cause de sa richesse en sucre, constitue un
aliment concentré de haute valeur nutritive, évaluée à 40 unités, comparée
à celle de l’avoine estimée à 60 unités nutritives.
Mais la mélasse n’est pas seulement une nourriture riche en
elle-même, elle exerce de plus une action fort utile sur les autres éléments de
la ration et notamment sur la cellulose du foin, de la paille et de l’avoine.
La cellulose brute n’est pas digestible et, par conséquent, ne joue aucun rôle
dans la nutrition, si ce n’est pourtant celui de servir de remplissage de la
masse intestinale, de lest digestif, pour favoriser les évacuations
intestinales. Mais, au contact de la mélasse qui l’imprègne, la ramollit et la
transforme, la cellulose brute devient attaquable par les sucs digestifs et, au
lieu de demeurer une masse inerte, elle est rendue assimilable au même titre
que les autres aliments hydrocarbonés de la ration.
L’action condimentaire de la mélasse sur toutes les autres
parties de la ration n’est pas douteuse, par son odeur accentuée de caramel, elle
fait venir l’eau à la bouche et, dans ces conditions, elle permet de faire
consommer aux animaux les aliments grossiers, les foins et les pailles souvent
desséchés à l’excès, poussiéreux ou légèrement fermentés qui, par un mélange
judicieux avec un aliment mélassé, se trouvent régénérés et deviennent
appétissants autant que des fourrages frais. Quoi qu’on en ait dit, ou même
constaté à la suite d’interventions maladroites et de changement de régime sans
précautions, les sels de potasse et de soude, loin de constituer un danger pour
la santé, exercent une action favorable sur les fonctions digestives (estomac
et intestin) au point qu’on ne constate pour ainsi dire jamais de coliques
graves chez les chevaux qui en consomment journellement, sans excès.
Par contre, en la distribuant à doses excessives, dans un
but d’économie bien mal comprise, elle provoque d’abondantes émissions d’urine
(polyurie), de la diarrhée et une faiblesse générale, qui se manifeste par de
la transpiration et de l’essoufflement au travail.
Chez les chevaux, la mélasse verte incorporée dans la ration
ne doit pas dépasser la dose de 3 kilogrammes par 1.000 kilogrammes
de poids vif, ce qui porte la dose de produit mélassé à 1kg,5 à 2
kilogrammes pour les chevaux légers, les chevaux de gros trait supportant
facilement 3 à 4 kilogrammes, compte tenu de la composition et de la
qualité du produit.
D’après M. Leroy, chef de travaux de l’Institut
national agronomique, la ration mélassée ci-dessous indiquée a toujours fait
preuve de grande efficacité dans la pratique, à savoir : avoine, 6kg,500,
aliment mélassé, 2 kilogrammes, foin de prairie, 5 kilogrammes.
Dans une circulaire récente, adressée aux directeurs des
Services agricoles, le ministre-secrétaire d’État à l’Agriculture et au
Ravitaillement a fait ressortir les avantages de l’alimentation mélassée des
animaux pour permettre l’économie des céréales secondaires indispensables à la
production porcine, qui a tant besoin d’être relevée.
Au nombre des matières fourragères à incorporer à la
mélasse, dit cette circulaire, les sons figurent au premier plan. L’expérience
a montré, en effet, que les sons mélassés constituent un excellent produit
d’entretien, rafraîchissant et régulateur des fonctions intestinales, assurant
une excellente résistance aux épidémies et facilitant l’engraissement.
Le son mélassé représente ainsi l’élément de base de
substitution économique et pratiquement indispensable pour l’exploitant
soucieux du bon entretien de son cheptel.
Pour les chevaux, la ration journalière pourra varier entre
1kg,500 et 3 kilogrammes ; pour les animaux de trait au
repos, la substitution poids pour poids à l’avoine est à recommander. Le son
mélassé sera distribué de préférence en mélange avec les autres parties de la
ration (avoine, paille et fourrages hachés).
Contrairement à certaines affirmations, le son mélassé se
conserve parfaitement s’il est emmagasiné dans des locaux secs et aérés. Durant
l’été, il faut éviter l’empilage des sacs. L’hiver, pendant les gelées, le
produit doit être maintenu pendant quelques jours avant la distribution à la
chaleur des écuries.
En conclusion de ces différents enseignements et
renseignements, nous pouvons dire que, dans les circonstances actuelles,
l’alimentation mélassée des animaux répond à une nécessité impérieuse, un
véritable devoir national, celui de produire le plus possible, le plus
utilement avec la moindre dépense.
J.-H. BERNARD.
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