Pendant des siècles, beaucoup de Français — et en
particulier les Parisiens — considérèrent avec une certaine crainte les
flots de l’océan ; bien rares étaient ceux qui se risquaient à aller
contempler, à la pointe du Raz ou au Havre de Grâce, la majesté de la mer ;
cependant, ce sont ces intrépides amateurs de sensations nouvelles et de
plaisirs sains qui, peu à peu, mirent à la mode nos stations balnéaires
modernes, qui presque toutes eurent des débuts plus que modestes.
Au XVIIIe siècle, Marlin, un Bourguignon,
découvre la rude beauté des côtes de la région de Quimper ; il préfère se
promener à Audierne, ou sur les rochers de la côte, que d’aller au théâtre de
la ville voisine. Un peu plus tard, une Anglaise écrit des vers sur le
magnifique spectacle qu’elle a pu admirer dans ces régions sauvages. Au début
du XIXe siècle, Michelet, l’historien romantique, faisait en une
dizaine de jours, le tour de ce pays si riche cependant en souvenirs de toutes
sortes ; Maurice de Guérin séjournait de temps en temps au Guildo. Les uns
et les autres de ces voyageurs trop pressés voyaient mal et jugeaient trop
rapidement le peu qu’ils avaient pu noter. Michelet n’écrivait-il pas
froidement que la Bretagne manquait de fleuves et de ports ! ...Ce
furent d’abord les Anglais qui adoptèrent, sous le règne du Roi-citoyen, Dinard
vite devenu leur plage préférée ; puis les écrivains bretons, par leurs
ouvrages, les artistes locaux, par leurs lithos, firent connaître au grand
public le charme incomparable de ces baies et de ces îles. Dès 1857, il fallait
publier un guide du baigneur aux bains de mer de la presqu’île guérandaise.
Quelques années auparavant, le bon poète local Brizeux avait, dans la grave Revue
des Deux Mondes, fait paraître un poème sur ces habitants des grandes villes
qui, vêtus de voiles verts et feutres gris, venaient voir les flots que
jusqu’ici ils n’avaient vus qu’en rêve.
La Normandie fut d’assez bonne heure, vu sa proximité de la
capitale, fréquentée par les artistes, les littérateurs et les gens « chic ».
Au XVIIIe siècle, Deauville n’était qu’un pauvre village de sept
pêcheurs ; Cabourg ne possédait qu’un petit clocher, à l’ombre duquel
quelques chaumières abritaient de pauvres gens, cependant ses lapins de garenne
étaient très estimés ; à Villerville, la population — fort réduite
— s’adonnait à la pêche aux moules.
Ce fut la duchesse de Berry qui lança Dieppe, vite à la
mode. On y venait déjà au XVIIe et au XVIIIe siècle, mais
c’était ... pour se guérir de la rage ! En 1826, un baigneur écrit
que les hôtels, tant anglais que français, y sont fort élégants ; de
nombreux voyageurs venus de France ou des côtes de Grande-Bretagne, y font des
séjours assez longs lors de la grande saison. Les gens du bon ton ont coutume
d’aller déguster les huîtres au parc établi près du port ; il y a déjà une
sorte de syndicat d’initiatives, un bureau de renseignements qui donne toutes
indications sur des chambres à louer, des lits, etc. Le petit établissement de
santé, installé en 1778 et où l’on pouvait prendre, nous dit un prospectus du
temps, des bains avec « le plus grand avantage », s’était transformé
en une sorte de bâtiment assez bien construit, édifié sur les ordres du comte
de Brancas. La duchesse aimait à caracoler le long de la plage ou à faire des
excursions en mer à bord de son yacht blanc et or ; elle revêtait alors un
bien singulier costume : des bottes, un haut-de-forme en cuir bouilli
agrémenté d’une ancre et un sarrau de couleur sombre, qui lui accusait la
taille. Le slip de nos compagnes est encore loin.
En 1825, le peintre Mozin, assez oublié aujourd’hui, vient
planter son chevalet à Trouville, alors humble bourg de pêcheurs. L’auteur des Trois
Mousquetaires l’y rejoint, il y écrit son Charles VII ; il
prend ses repas chez la mère Oseraie où, pour la somme de cinquante sous par
jour — heureux temps ! — il a une bonne chambre et à table des
homards, des bécassines rôties, des truites, du bon cidre et un « calva »
bien authentique !
Henri Heine découvrait la belle plage de Granville, en
1837 ; il y écrivit plusieurs de ses livres. Théophile Gautier, le bon
Théo, mit à la mode Cabourg. Un critique d’art, tombé dans le profond oubli,
Houssard, fait connaître Houlgate, qui devient vite une station très
fréquentée ; un certain Marchal, de Lunéville, n’hésita point à publier,
en l’an 1865, ses impressions de voyage à cette charmante plage.
Au XVIIIe siècle, Étretat était un simple port de
pêche ; toutefois, un parc d’huîtres assez célèbre y était installé et,
dans les roches, on dénichait les œufs de guillemots, que les pourvoyeurs de la
« bouche du roi » achetaient pour la table du monarque. Alphonse
Karr, « inventeur » aussi de Saint-Raphaël, en fit une plage
recherchée par les artistes et les gens de lettres. Au Rendez-vous des
Artistes, l’hôtel tenu par le père Blanquet, il est fort bien traité, en
1837, pour la somme modique de 3 fr. 50. Le peintre Isabey rejoint
vite Karr ; le maréchal de Grouchy s’y fait construire une villa. Le
prestigieux musicien Jacques Offenbach, le maître de l’opérette, aime à y venir
se reposer de ses soucis ; en souvenir d’un de ses triomphes, il baptisa
sa villa Orphée. C’est là que fut célébré le mariage de sa fille aînée,
ce fut alors dans tout le pays une avalanche de gens célèbres. Ètretat, au
grand déplaisir des artistes, était devenu « une succursale d’Asnières » ;
les trains dits de plaisir — composés au début de wagons sans toit
— déversaient chaque dimanche sur la plage un flot de Parisiens qui, pour
la circonstance, se déguisaient en marins, juraient comme de vieux loups de
mer, prenaient des airs de pirates et utilisaient tous les termes de marin
qu’ils avaient surpris, la veille, dans un glossaire nautique.
On sait que ce fut le duc de Morny qui, en 1859, créa la
station vite célèbre de Deauville. Son médecin lui avait prédit que ce port de
pêche, situé dans un endroit marécageux et composé de pauvres chaumières,
deviendrait vite, avec son nom prédestiné, une ville d’eau. Le prince voulait
en faire un « Paris d’été ». Il faut convenir, que ce souhait se
réalisa pleinement.
Ce fut Napoléon III et l’impératrice Eugénie qui firent
adopter comme plage « chic » Biarritz ; plage jusqu’alors
fréquentée par les bons bourgeois des villes voisines. La Côte d’Azur, déjà
très à la mode au XVIIIe siècle et fort fréquentée par les Anglais,
connut dans la première moitié du XIXe siècle une vogue intense.
À la mer, on s’affublait à cette époque de costumes
étranges ; les maillots des femmes nous semblent bizarres, les messieurs
en chapeaux hauts de forme qui figurent sur une vue de la plage de Dieppe en
1827 nous laissent quelque peu rêveurs. La moindre liberté dans le costume de
bains faisait absolument scandale ; les jolies biches à la mer, dessinées
par Morlon, devaient être considérées d’un très mauvais œil par les mères de
famille ! Le célèbre économiste Frédéric Passy, dans une lettre inédite
écrite en 1868, se plaint vivement de l’indécence (sic) des costumes des
baigneurs, vêtus de simples caleçons ; « ce qui serait considéré
comme un outrage à la pudeur dans la ruelle la plus déserte peut se pratiquer
paisiblement sous les yeux de tous à cent pas du Casino ». Que dirait cet
esprit austère s’il revenait de nos jours visiter une quelconque de nos
plages ?
Roger VAULTIER.
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