Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°603 Novembre 1941  > Page 514 Tous droits réservés

Causerie juridique

Procès-verbaux.

Nous sommes souvent consultés sur le point de savoir si un procès-verbal peut être établi valablement dans telles ou telles conditions. Il est certain que, aussi bien pour les propriétaires ou locataires de chasse soucieux de sauvegarder leurs droits et d’assurer la juste répression des délits que pour les chasseurs exposés à des poursuites parfois engagées à la légère, il est d’un intérêt capital de savoir comment doivent être établis les procès-verbaux pour qu’ils puissent remplir leur objet.

Les auteurs relèvent trois conditions que doivent remplir les procès-verbaux pour être réguliers et faire foi en justice ; ils doivent être établis par un garde ou un agent ayant qualité, tant en raison de ses fonctions qu’en raison du lieu du délit, pour dresser procès-verbal ; ils doivent, en second lieu, être rédigés suivant certains principes ; enfin, et sauf certaines exceptions, ils doivent être affirmés sincères par le garde ou l’agent qui les a dressés.

Nous n’entendons pas nous occuper, pour aujourd’hui, de la première de ces conditions ; au surplus, nous avons consacré plusieurs articles, durant ces dernières années, à la question des gardes particuliers, en sorte qu’il n’y a pas grand intérêt à y revenir pour le moment. Nous supposerons donc toujours, dans les explications qui vont suivre, que le procès-verbal a été dressé par un garde régulièrement assermenté et qualifié pour verbaliser, étant donné le lieu du délit.

Un premier point doit nous retenir. Il n’est pas douteux qu’un procès-verbal suppose nécessairement un écrit ; sans doute, à défaut d’écrit, le garde ou l’agent qui a constaté un délit peut, en qualité de témoin, venir rapporter au tribunal, saisi de la poursuite, les faits qu’il a constatés et le prévenu peut être condamné sur un tel témoignage, purement oral ; mais ce témoignage n’a pas plus de force que celui de n’importe quel particulier et, s’il peut suppléer à l’absence de procès-verbal, il n’en a pas l’efficacité.

Le procès-verbal doit donc être écrit ; mais il n’est pas nécessaire que l’agent ou le garde l’écrive lui-même ; s’il est illettré ou si, pour tout autre motif, il ne peut écrire personnellement le procès-verbal, l’agent peut demander à un tiers quelconque du travail purement matériel consistant à écrire ; le procès-verbal n’en est pas moins l’œuvre du garde, il n’en a pas moins toute la valeur d’un procès-verbal si, en fait, il rapporte exactement les faits constatés par le garde, avec la garantie résultant de ce que c’est le garde ou l’agent verbalisateur qui les énonce et qui les fait siens par la signature qu’il met au bas de l’écrit. Ce point, autrefois discuté, est aujourd’hui admis par tous les auteurs et par les tribunaux. Il faut ajouter que le procès-verbal doit être rédigé en français ; l’emploi d’une langue étrangère entraînerait la nullité du procès-verbal (arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 1875, rapporté au Recueil de Dalloz, 1875, 1re part, p. 240).

Le cas suivant s’est présenté : un garde ayant constaté un délit et n’ayant pas dressé immédiatement procès-verbal s’est borné à faire le récit de ce qu’il prétendait avoir vu à un garde de fédération ; ce dernier établit sous sa responsabilité personnelle et sous sa signature un procès-verbal rapportant les déclarations que lui a faites le garde, et fait signer ce dernier ; le garde rédacteur du procès-verbal l’affirme seul dans les vingt-quatre heures du délit. Quelle peut être la valeur d’un tel acte ?

À notre avis, un tel acte ne peut valoir en tant que procès-verbal constatant le délit ; le fait qu’il porte la signature du garde qui a fait les constatations est inopérant, et cela pour deux raisons, d’abord, parce que ce n’est pas ce dernier garde qui parle et certifie, et surtout parce que ce n’est pas lui qui affirme le procès-verbal. L’acte, si on le considéra comme un procès-verbal, prouve simplement que le garde dont il rapporte les déclarations a bien fait ces déclarations ; mais, en l’absence de l’affirmation devant le maire, émanant de ce dernier garde, l’acte ne prouve pas que les déclarations rapportées sont sincères. Dans le cas qui nous occupe, le garde rédacteur ne doit pas apparaître personnellement ; il ne doit ni signer, ni affirmer le procès-verbal ; il doit se borner à écrire sous la dictée du garde qui a constaté les faits, et comme si c’était ce dernier qui parlait, le récit fait par ce garde, qui signera seul et affirmera seul le procès-verbal. À cette condition seulement, le procès-verbal peut être retenu comme procès-verbal faisant foi des faits qui y sont consignés.

Quant aux mentions que doit contenir le procès-verbal, elles se bornent au récit aussi précis et circonstancié que possible des faits constatés, en relevant essentiellement les points qui caractérisent le délit : l’attitude du délinquant, l’arme dont il est porteur, le lieu précis, le jour et l’heure où les constatations ont été faites ; ces circonstances peuvent varier à l’infini et nous ne saurions les énoncer toutes. Nous devons nous borner à l’examen de quelques points qui ont toujours donné matière à discussion.

Le garde doit-il avoir des insignes ou une tenue faisant apparaître à première vue sa qualité ? C’est évidemment désirable, parce que cela a pour effet de couper court à des incidents qui pourraient naître de l’ignorance par le délinquant de la qualité de la personne qui l’interpelle. Mais il n’est pas indispensable, pour que le procès-verbal soit valable, que le garde ait une tenue ou des insignes. Il arrive que des gardes évitent à dessein, et dans le but de surprendre plus aisément les braconniers, tout ce qui peut révéler d’une manière voyante leur qualité. Mais il est essentiel qu’au moment où il procède le garde fasse connaître sa qualité et qu’en cas de contestation il soit en mesure d’en justifier en produisant l’expédition de sa commission, qu’il doit autant que possible avoir dans sa poche.

D’autre part, il est bon de mentionner dans le procès-verbal, suivant le cas, que le rédacteur était porteur de ses insignes, ou qu’il a fait connaître sa qualité, qu’il en a justifié de telle ou telle manière ; mais cela n’est pas exigé pour la validité du procès-verbal.

Il est essentiel que le procès-verbal fasse connaître avec précision la personne de l’agent qui le dresse ; en général, cet agent se désigne par son nom, ses prénoms, son domicile, la personne à la garde des propriétés de laquelle il est affecté ; mais toutes ces mentions, si elles sont utiles, ne sont pas exigées à peine de nullité ; tout ce qui est requis, c’est qu’il ne puisse y avoir d’incertitude sur l’identité du rédacteur du procès-verbal. Une signature parfaitement lisible pourrait suppléer à certaines omissions.

Il n’est pas exigé, non plus, que le procès-verbal soit dressé au moment et au lieu où les faits qu’il relève ont été constatés ; il serait souvent malaisé de procéder ainsi. Le garde peut écrire le procès-verbal à son domicile, ou à la mairie au moment de l’affirmation. Il n’est pas non plus nécessaire que le procès-verbal mentionne le lieu, le jour et l’heure auxquels il a été rédigé. Au contraire, la mention de la date du délit est indispensable et souvent aussi celle de l’heure ; si, en effet, dans le procès-verbal n’est pas affirmé le jour où le délit a été constaté, seule l’indication de l’heure de ce délit, rapprochée de celle de l’affirmation, permet de justifier que l’affirmation a bien été faite dans le délai légal de vingt-quatre heures à compter du moment où le délit a été commis. Nous reviendrons, dans une causerie ultérieure, sur la formalité de l’observation.

Pour terminer, rappelons que les procès-verbaux des gardes particuliers doivent être établis sur une feuille de papier timbré et qu’ils doivent être enregistrés dans les quatre jours qui suivent celui où le procès-verbal a été fait ; toutefois, l’omission de ces formalités n’a pas pour effet d’entacher le procès-verbal de nullité ; elle expose seulement le garde à des amendes fiscales.

Paul COLIN,

Avocat à la Cour d’Appel de Paris.

Le Chasseur Français N°603 Novembre 1941 Page 514