Nous sommes souvent consultés sur le point de savoir si un
procès-verbal peut être établi valablement dans telles ou telles conditions. Il
est certain que, aussi bien pour les propriétaires ou locataires de chasse
soucieux de sauvegarder leurs droits et d’assurer la juste répression des
délits que pour les chasseurs exposés à des poursuites parfois engagées à la
légère, il est d’un intérêt capital de savoir comment doivent être établis les
procès-verbaux pour qu’ils puissent remplir leur objet.
Les auteurs relèvent trois conditions que doivent remplir
les procès-verbaux pour être réguliers et faire foi en justice ; ils
doivent être établis par un garde ou un agent ayant qualité, tant en raison de
ses fonctions qu’en raison du lieu du délit, pour dresser procès-verbal ;
ils doivent, en second lieu, être rédigés suivant certains principes ;
enfin, et sauf certaines exceptions, ils doivent être affirmés sincères par le
garde ou l’agent qui les a dressés.
Nous n’entendons pas nous occuper, pour aujourd’hui, de la
première de ces conditions ; au surplus, nous avons consacré plusieurs
articles, durant ces dernières années, à la question des gardes particuliers,
en sorte qu’il n’y a pas grand intérêt à y revenir pour le moment. Nous
supposerons donc toujours, dans les explications qui vont suivre, que le
procès-verbal a été dressé par un garde régulièrement assermenté et qualifié
pour verbaliser, étant donné le lieu du délit.
Un premier point doit nous retenir. Il n’est pas douteux
qu’un procès-verbal suppose nécessairement un écrit ; sans doute, à défaut
d’écrit, le garde ou l’agent qui a constaté un délit peut, en qualité de
témoin, venir rapporter au tribunal, saisi de la poursuite, les faits qu’il a
constatés et le prévenu peut être condamné sur un tel témoignage, purement
oral ; mais ce témoignage n’a pas plus de force que celui de n’importe
quel particulier et, s’il peut suppléer à l’absence de procès-verbal, il n’en a
pas l’efficacité.
Le procès-verbal doit donc être écrit ; mais il n’est
pas nécessaire que l’agent ou le garde l’écrive lui-même ; s’il est
illettré ou si, pour tout autre motif, il ne peut écrire personnellement le
procès-verbal, l’agent peut demander à un tiers quelconque du travail purement
matériel consistant à écrire ; le procès-verbal n’en est pas moins l’œuvre
du garde, il n’en a pas moins toute la valeur d’un procès-verbal si, en fait,
il rapporte exactement les faits constatés par le garde, avec la garantie
résultant de ce que c’est le garde ou l’agent verbalisateur qui les énonce et
qui les fait siens par la signature qu’il met au bas de l’écrit. Ce point,
autrefois discuté, est aujourd’hui admis par tous les auteurs et par les
tribunaux. Il faut ajouter que le procès-verbal doit être rédigé en
français ; l’emploi d’une langue étrangère entraînerait la nullité du
procès-verbal (arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 1875, rapporté
au Recueil de Dalloz, 1875, 1re part, p. 240).
Le cas suivant s’est présenté : un garde ayant constaté
un délit et n’ayant pas dressé immédiatement procès-verbal s’est borné à faire
le récit de ce qu’il prétendait avoir vu à un garde de fédération ; ce
dernier établit sous sa responsabilité personnelle et sous sa signature un
procès-verbal rapportant les déclarations que lui a faites le garde, et fait
signer ce dernier ; le garde rédacteur du procès-verbal l’affirme seul
dans les vingt-quatre heures du délit. Quelle peut être la valeur d’un tel
acte ?
À notre avis, un tel acte ne peut valoir en tant que
procès-verbal constatant le délit ; le fait qu’il porte la signature du
garde qui a fait les constatations est inopérant, et cela pour deux raisons,
d’abord, parce que ce n’est pas ce dernier garde qui parle et certifie, et
surtout parce que ce n’est pas lui qui affirme le procès-verbal. L’acte, si on
le considéra comme un procès-verbal, prouve simplement que le garde dont il
rapporte les déclarations a bien fait ces déclarations ; mais, en
l’absence de l’affirmation devant le maire, émanant de ce dernier garde, l’acte
ne prouve pas que les déclarations rapportées sont sincères. Dans le cas qui
nous occupe, le garde rédacteur ne doit pas apparaître personnellement ;
il ne doit ni signer, ni affirmer le procès-verbal ; il doit se borner à
écrire sous la dictée du garde qui a constaté les faits, et comme si c’était ce
dernier qui parlait, le récit fait par ce garde, qui signera seul et affirmera
seul le procès-verbal. À cette condition seulement, le procès-verbal peut être
retenu comme procès-verbal faisant foi des faits qui y sont consignés.
Quant aux mentions que doit contenir le procès-verbal, elles
se bornent au récit aussi précis et circonstancié que possible des faits
constatés, en relevant essentiellement les points qui caractérisent le
délit : l’attitude du délinquant, l’arme dont il est porteur, le lieu précis,
le jour et l’heure où les constatations ont été faites ; ces circonstances
peuvent varier à l’infini et nous ne saurions les énoncer toutes. Nous devons
nous borner à l’examen de quelques points qui ont toujours donné matière à
discussion.
Le garde doit-il avoir des insignes ou une tenue faisant
apparaître à première vue sa qualité ? C’est évidemment désirable, parce
que cela a pour effet de couper court à des incidents qui pourraient naître de
l’ignorance par le délinquant de la qualité de la personne qui l’interpelle.
Mais il n’est pas indispensable, pour que le procès-verbal soit valable, que le
garde ait une tenue ou des insignes. Il arrive que des gardes évitent à
dessein, et dans le but de surprendre plus aisément les braconniers, tout ce
qui peut révéler d’une manière voyante leur qualité. Mais il est essentiel
qu’au moment où il procède le garde fasse connaître sa qualité et qu’en cas de
contestation il soit en mesure d’en justifier en produisant l’expédition de sa
commission, qu’il doit autant que possible avoir dans sa poche.
D’autre part, il est bon de mentionner dans le
procès-verbal, suivant le cas, que le rédacteur était porteur de ses insignes,
ou qu’il a fait connaître sa qualité, qu’il en a justifié de telle ou telle
manière ; mais cela n’est pas exigé pour la validité du procès-verbal.
Il est essentiel que le procès-verbal fasse connaître avec
précision la personne de l’agent qui le dresse ; en général, cet agent se
désigne par son nom, ses prénoms, son domicile, la personne à la garde des
propriétés de laquelle il est affecté ; mais toutes ces mentions, si elles
sont utiles, ne sont pas exigées à peine de nullité ; tout ce qui est
requis, c’est qu’il ne puisse y avoir d’incertitude sur l’identité du rédacteur
du procès-verbal. Une signature parfaitement lisible pourrait suppléer à
certaines omissions.
Il n’est pas exigé, non plus, que le procès-verbal soit
dressé au moment et au lieu où les faits qu’il relève ont été constatés ;
il serait souvent malaisé de procéder ainsi. Le garde peut écrire le
procès-verbal à son domicile, ou à la mairie au moment de l’affirmation. Il
n’est pas non plus nécessaire que le procès-verbal mentionne le lieu, le jour
et l’heure auxquels il a été rédigé. Au contraire, la mention de la date du délit
est indispensable et souvent aussi celle de l’heure ; si, en effet, dans
le procès-verbal n’est pas affirmé le jour où le délit a été constaté, seule
l’indication de l’heure de ce délit, rapprochée de celle de l’affirmation,
permet de justifier que l’affirmation a bien été faite dans le délai légal de
vingt-quatre heures à compter du moment où le délit a été commis. Nous
reviendrons, dans une causerie ultérieure, sur la formalité de l’observation.
Pour terminer, rappelons que les procès-verbaux des gardes
particuliers doivent être établis sur une feuille de papier timbré et qu’ils
doivent être enregistrés dans les quatre jours qui suivent celui où le
procès-verbal a été fait ; toutefois, l’omission de ces formalités n’a pas
pour effet d’entacher le procès-verbal de nullité ; elle expose seulement
le garde à des amendes fiscales.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’Appel de Paris.
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