Dans notre précédente causerie, nous avons examiné comment
on choisissait la matière des canons de chasse ; en possession d’une barre
d’acier de dimensions suffisantes pour l’exécution de la pièce, nous
commencerons par lui donner par forgeage et refoulement le profil convenable.
S’il y a lieu, on relèvera les saillies nécessaires à la confection des
crochets et, la pièce étant approximativement dressée, on procédera au perçage.
Ce travail s’effectue sur des machines à broches multiples
permettant l’usinage de plusieurs canons à la fois et en plusieurs passes. Il
s’agit, en effet, de faire tomber, avec les précautions nécessaires dans le
centrage, une assez forte quantité de métal puisqu’elle correspond au volume
total de l’âme ; ce sera le travail des mèches en premier lieu, des
alésoirs ensuite. Le tube est également travaillé à l’extérieur par tournage et
fraisage, et de la pièce de forge il ne reste plus qu’un tube de quelques
millimètres d’épaisseur. Bien que l’on cherche à donner à l’ébauche des
dimensions aussi approchées que possible de manière à économiser à la fois la
matière et le temps nécessaire à l’usinage, il est néanmoins évident que le
forage d’un bloc plein oblige à réduire à l’état de copeaux une quantité de
métal assez considérable. À ce point de vue, la fabrication des canons en acier
consomme beaucoup plus de matière que celle des anciens canons roulés et
tordus, et on s’explique maintenant pourquoi il faut partir d’environ 7 à 8 kilogrammes
d’acier pour obtenir deux tubes qui pèseront à peine 1kg,500
terminés. Et pour peu que l’on fasse appel à un acier de qualité supérieure, le
prix de revient a pour premier élément une dépense assez importante concernant
la matière première.
La fabrication d’un canon double est bien plus délicate que
celle d’un canon simple ; après avoir obtenu les deux tubes, il convient
de les assembler solidement, ce qui est encore plus délicat, avec une précision
telle que leur tir soit convergent vers les distances moyennes de chasse.
Le mode d’assemblage varie avec la qualité et les systèmes
de fabrication ; la méthode la plus simple, employée pour les armes
ordinaires, consiste à braser sur la face inférieure des deux tonnerres une
sorte de cale dans, laquelle seront découpés les crochets d’assemblage avec la
bascule, crochets dans lesquels pénètrent les verrous. Cette cale sera
avantageusement profilée en queue d’aronde avec logement correspondant le long
des tonnerres ; le tout, bien ajusté et bien brasé, donne un montage d’une
solidité très suffisante.
Pour les canons des armes fines, on emploie de préférence la
disposition dite demi-bloc dans laquelle on a relevé sur chaque tube une masse
de métal suffisante pour y tailler la moitié des crochets. Le tout est assemblé
à la soudure d’étain, consolidé par quelques rivets ou, mieux, par un
assemblage transversal en queue d’aronde ; dans le canon demi-bloc, ce
mode de liaison des tubes n’a pas à résister à de grands efforts car c’est le
demi-crochet faisant corps avec chaque tube qui travaille surtout au moment du
départ du coup.
Un autre procédé de liaison consiste à usiner séparément une
culasse double, dite frette, comportant le métal nécessaire à l’établissement
des crochets ; les deux tubes, dont la fabrication devient alors beaucoup plus
simple, n’ont qu’à être insérés dans les logements de la frette où ils sont
simplement soudés à l’étain. La frette, exécutée en excellent acier, donne
toute satisfaction comme résistance, et son peu de longueur en rend l’usage
facile. Disons toutefois que pour emmancher les tubes dans la frette, il
convient de leur laisser leurs dimensions normales ; la frette doit faire
saillie sur le tube. En procédant autrement, dans le but de dissimuler
l’assemblage, on ne ferait qu’affaiblir les tubes, en créant une amorce de
rupture en un point où le métal subit l’effort maximum.
Pour obtenir un réglage correct des canons assemblés, il
faut placer entre les deux tubes une série de cales telles que les axes des
canons, tout en restant dans un plan horizontal, fassent entre eux un angle
appréciable. Cet angle s’appelle la convergence et sa valeur se détermine
expérimentalement pour que les groupements des deux canons se superposent dans
un tir ajusté à distance normale de chasse.
Le profil spécial intérieur des canons choke-bored s’obtient
soit directement par alésage à l’outil de forme, soit par refoulement du tube
sur un mandrin de forme appropriée. Avec une exécution correcte, les deux
procédés donnent des résultats équivalents. Les canons doubles ou simples,
ainsi terminés, sont rectifiés et polis et il ne reste plus qu’à les ajuster
sur la bascule et à procéder à l’épreuve de l’arme finie en blanc.
En ce qui concerne les épreuves des armes de chasse, suivant
les pays et les époques, on a eu l’idée d’éprouver :
1° Les tubes séparés avant leur assemblage ;
2° Les canons doubles assemblés ;
3° Les canons assemblés et ajustés à leur bascule ;
4° Les armes terminées, en état de livraison.
Les trois premiers genres d’épreuves sont surtout destinés à
renseigner les fabricants au cours de l’usinage sur des défauts non apparents
et à leur éviter l’achèvement de pièces devant ultérieurement être rebutées. En
fait, la première épreuve n’a que peu d’intérêt et c’est surtout à la seconde
que se révèlent les défauts sérieux.
Mais le chasseur, lui, est particulièrement intéressé par
les défectuosités qui pourraient se révéler sur l’arme terminée, telle qu’il
l’achète, et il a intérêt à ce que cette dernière épreuve soit aussi sérieuse
que possible. Il convient d’abord que les conditions en soient assez précises
pour que la pression soit toujours la même.
Au lieu d’employer comme jadis pour les tirs d’épreuve des
charges fixées une fois pour toutes et qui donnaient des pressions différentes
suivant la température, la pression atmosphérique ou le degré d’humidité de la
poudre, on réalise depuis quelques années les pressions d’épreuve avec des
charges variables qui sont déterminées scientifiquement suivant les conditions
atmosphériques de chaque journée. Les meilleures épreuves des fusils finis se
font avec la poudre T de manière à obtenir, pour les armes de bonne
qualité, la pression de 1.100 kilogrammes par centimètre carré. On sait,
d’autre part, que les cartouches convenablement chargées ne donnent pas de
pressions supérieures à 600 kilogrammes : on voit la marge de
sécurité qui en résulte dans les armes modernes.
Les différents bancs d’épreuve, tant en France qu’à
l’étranger, constatent le bon résultat des essais par l’apposition de poinçons
spéciaux tant sur le canon que sur la bascule ; un certificat indique de
plus les conditions de l’épreuve.
Le chasseur ne peut vraiment désirer une garantie plus
grande pour la parfaite solidité de son arme et sa sécurité personnelle.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
(1) Voir Chasseur Français d’octobre 1941.
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