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Les canards bariolés blancs et métis

Les froids de l’hiver 1939-1940, puis les circonstances au milieu desquelles il s’est déroulé, en mer surtout, ont amené sur nos côtes maritimes des oiseaux rares, puis des canards surtout de coloration anormale, plusieurs d’un blanc parfait, les autres bariolés. L’origine de ces derniers est assez difficile à déterminer. Il ne s’agit pas toujours, en effet, de croisements entre anatidés purement sauvages ; il en est qui proviennent de croisements de canards sauvages et de canards élevés en domesticité dans les établissements ornithologiques et les parcs privés contenant des oiseaux originaires de toutes les parties du monde. J’ai tué plusieurs de ces métis bariolés dont il était à peu près impossible d’établir la filiation.

D’autre part, j’ai reçu une lettre d’un de mes amis, ornithologiste amateur très bien renseigné, qui me signale qu’en janvier un de mes confrères au Chasseur Français, M. de Kermadec, qui est aussi un chasseur ornithologiste, a tué une cane sauvage très difficile à identifier. Cette cane avait le port et la taille d’un canard ordinaire, anas boschas, mais en ayant la tête, le col et le dessous couleur rouille, le dessus de couleur gris-perle à teinte terne sans vermiculé, les pieds rouges, le bec rouge avec croissant noir sur la mandibule supérieure. Cet oiseau avait sur le croupion, éparses, cinq ou six plumes telles que la famille des anas boschas en présente habituellement en cette région.

M. de Kermadec croit volontiers à un croisement de domestique orpington mâle avec une femelle de canard sauvage ordinaire.

Notre correspondant me demande mon avis. Il me serait très difficile d’émettre une opinion, n’ayant pas vu le sujet ; mais je sais que M. de Kermadec, qui connaît bien le gibier, a pu très bien identifier l’origine du canard en question.

On a, paraît-il, tué, pendant les derniers froids, des canards absolument inconnus et qu’on n’a pu identifier.

Je crois qu’il serait peut-être intéressant pour les chasseurs de sauvagine de rappeler brièvement ce que j’avais dit à ce sujet il y a quelques années.

« Parmi les canards sauvages de coloration anormale ne répondant à la coloration d’aucune race fixée, les uns sont ou bariolés, ou entièrement blancs. Parmi les bariolés figure une variété dite isabelle. Les canards sauvages, bariolés ou d’un blanc pur, n’apparaissent guère que par les grands froids dans nos contrées. C’est une constatation intéressante à retenir. Ils appartiennent tous ou presque tous à l’espèce du canard sauvage ordinaire (anas boschas) ; mais presque tous présentent des traces évidentes de croisements de cette espèce avec d’autres espèces distinctes. Tous ces canards ne sont point, comme on le croit souvent, des sujets appartenant à une espèce spéciale. Ils représentent ou des variétés accidentelles ou des métis, ou des albinos, ou des individus atteints d’isabellisme.

Cependant ce ne sont pas des albinos proprement dits. Jamais, à ma connaissance, on n’a rencontré de sujets ayant les yeux rouges, signe distinctif de l’albinisme chez d’autres animaux. Et il n’y a pas de race de canards blancs, comme on l’a quelquefois cru, en indiquant que les canards ordinaires deviendraient blancs par mimétisme, parce qu’ils vivraient au milieu de pays à neige. Les canards sauvages d’un blanc pur comme j’en ai tué quelques-uns sont généralement de grande taille, d’un blanc pur, légèrement crème, toutefois avec le bec et les pieds d’un beau jaune, les ongles blancs et l’iris brun foncé.

Le Dr Bureau, directeur du Muséum de Nantes, auquel j’avais demandé son opinion sur toutes ces questions, m’a dit qu’on peut se demander si les canards blancs sont des variétés albines provenant de canards sauvages de pure race, ou des individus issus de parents vivant à l’état de demi-domesticité. Mais il trouve que les cas d’albinisme dans les familles d’anatidés sont très rares, et qu’il faudrait s’étonner que le canard sauvage fasse exception à la règle. Il n’y a donc pas de race pure de canards albinos ; cependant il pense qu’il en est pouvant provenir de couples n’ayant jamais subi le contact de l’homme, mais que ce fait ne peut être considéré que comme très rare.

Louis TERNIER.

Le Chasseur Français N°603 Novembre 1941 Page 515