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Notes biterroises

Si, d’aventure, les hasards de la route vous amènent quelque jour en pays biterrois, ne manquez pas de vous arrêter quelques heures dans la capitale de cette région bénie des dieux, où coulent, telles trois sources intarissables, le vin, la richesse et la bonne humeur. Et si, par chance, cela se trouve un vendredi, jour de marché aux vins, un bref séjour, vers les dix heures, sur les allées Paul-Riquet, à l’ombre de ses superbes platanes, vous donnera plus à apprendre que toutes les descriptions du monde. Puis, quittant la ville par la nationale qui file vers Toulouse, vous vous retrouverez au milieu de la verdoyante immensité des vignes où, chaque année, des millions de ceps, naît l’énorme quantité de ce breuvage couleur de rubis et vieux comme le monde, au cœur duquel il met la joie. Noé mériterait d’être Biterrois, lui qui fut, paraît-il, l’inventeur de la vigne. Et qui sait, d’ailleurs, si l’état civil avait existé à ce moment-là, si on ne retrouverait pas trace de lui sur quelques tablettes de l’antique Biterre, avec, comme parrain, le vieux Bacchus ? ... Mais, trêve d’hypothèses généalogiques et ... fantaisistes, et continuez votre route. N’allez pas trop vite, si vous voulez vous rendre mieux compte de l’énormité de la fortune que vous traversez, et remarquez en passant de quelle façon sont quelquefois surchargés les ceps feuillus : vous en serez étonnés. Après quelques minutes, vous traverserez M ..., village vinicole comme ils le sont tous, là-bas ; quelques kilomètres encore, et déjà vous trouverez que le paysage change un peu puisque l’horizon se relève d’une ligne bleue plus précise : le commencement des Cévennes, ou, du moins, de leurs premiers contreforts.

Alors, vous voici à P ... Là, commence la transition entre la grande plaine verte et la garrigue caillouteuse, prélude à la montagne. Pour si peu que le « cers » souffle un peu, il vous apportera la prenante senteur des thyms et des lavandes qui poussent aux flancs des coteaux à terre rouge. C’est là que je vous conseille surtout de vous arrêter un instant. S’il fait chaud, entrez donc à « La Bourse » ou « Aux Arts », ou dans quelque autre de ces cafés qui sont sur votre passage. Vous y trouverez toujours, avec de la bière fraîche, quelqu’un prêt à combler votre curiosité. Il y a toujours là quelques flâneurs, et, n’en doutez pas, ils sont tous ou ont tous été chasseurs. Vous y glanerez de belles histoires, car il y a eu des types de chasseurs célèbres dans le pays. Célèbres, les uns par leurs exploits, d’autres par leurs manies, d’autres, enfin, par leur originalité.

Demandez donc, tenez, si vous avez affaire à quelque ancien, que l’on vous parle un peu de G ... Souffrez que je ne précise pas davantage son identité, soyons discret, bien que le pauvre homme ne soit plus de ce monde depuis déjà de longues années et qu’il n’ait plus, que je sache, de parents dans la localité. Je vous dirai seulement qu’il avait tiré un surnom d’une invention imaginaire, je crois, dont il parlait avec amour en disant que le travail se faisait tout seul « sans pomper ». C’était un gros bonhomme à la mine enluminée, à la moustache blanche, toujours soufflant : c’est ainsi que je l’ai toujours vu, d’ailleurs, ne l’ayant connu que dans ma jeunesse, alors qu’il était, déjà, sur ses vieilles années. Chasseur, mais braconnier aussi, et qui avait eu, bien des fois, les gendarmes à ses trousses ; spécialiste du « fer » qui est, là-bas, le piège à lapin, et, surtout de la « chanterelle », affût aux perdreaux, avec un appelant en cage. Choses qui, d’ailleurs, entre nous soit dit, passaient en ce temps-là pour les plus naturelles, les plus innocentes du monde. Quand on le voyait partir vers la garrigue, dans sa « jardinière » attelée de son gros cheval blanc, on savait bien, allez, qu’il y avait la cage cachée sous le siège et les « fers » dans un sac. On le saluait gaîment, avec un sourire un peu complice qui montrait qu’on n’était pas dupe, et on lui souhaitait bonne chance. Mais il y avait toujours quelque farceur pour lui faire des niches. Tel ce chasseur qui, un jour, battant la garrigue et ayant entendu rappeler les perdreaux, s’approcha avec mille précautions et se trouva, tout à coup, en face de la cage de G ..., au lieu de la compagnie convoitée ! Alors, repérant le buisson où l’autre devait être blotti, il s’éloigna, fit le tour sans être vu et, venant par derrière, lui jeta avec brusquerie et d’une terrible voix de gendarme ces mots redoutables : « Cette fois, vous voilà pris ! » Ah ! quelle scène, mes amis ! Tremblant de tous ses membres, ne pouvant articuler une parole, la pauvre G ... faillit tomber à la renverse de saisissement. Il lui fallut cinq bonnes minutes pour reprendre ses esprits, pendant lesquelles l’autre se repentait presque de sa farce. Un coup à en attraper une belle jaunisse ! ...

Une autre fois, par une belle journée de novembre, il avait emmené avec lui, pour la chanterelle, un chasseur de ses amis. Ils avaient quitté le village au pas pesant du lourd cheval, la cage bien dissimulée ; la haute jardinière montait, en cahotant sur ses vieux ressorts, la route poudreuse, lorsqu’une grosse bande de vanneaux qui émigraient se montra à l’horizon, venant droit dans leur direction. L’ami se hâtait déjà pour faire un beau coup dans la bande ; mais G ... l’en empêcha : « Ne tire donc pas ; nous allons arriver et tu vas effrayer les perdreaux. » L’autre, bien malgré lui, dut obéir et laisser échapper une occasion comme on n’en a pas souvent avec des oiseaux aussi méfiants, qui passèrent à bonne portée, juste au-dessus d’eux, agitant mollement leurs grandes ailes aux retroussis immaculés. Enfin, on arriva. Le cheval fut attaché à un olivier ; G ... plaça la cage sur un tas de cailloux, à proximité d’une touffe de chênes verts où il se blottit, tandis que l’ami allait battre les environs pour pousser les perdreaux vers la chanterelle. Des perdreaux, il y en avait, bien sûr, et plus qu’à présent il y en avait d’autant plus que le rabatteur fit un savant crochet dans une grande propriété dont le maître faisait garder la chasse et, les prenant à revers, poussait, l’une après l’autre, les compagnies hors des limites vers le poste de G ... Et il en partait ! De temps en temps, notre homme s’arrêtait. Il entendait alors, dans le grand silence parfumé de la garrigue, le rappel du perdreau prisonnier, auquel les autres répondaient. Mais pas un coup de feu, rien. Enfin, au bout de deux heures de marche, il se rapprocha pour se rendre compte de ce qui se passait Et, quand il arriva au poste d’affût, une espèce de grognement sortit de la touffe : G ... s’était simplement endormi et ronflait comme à minuit ! Mais l’ami fut guéri, et pour longtemps, de la chanterelle. Pauvre G ... ! Un brave homme, bien sûr, bon vivant et hâbleur, qu’on « chinait » bien un peu et auquel, certes, il en est arrivé bien d’autres que vous conteraient avec force détails les survivants de sa génération.

Il y avait aussi ... Mais je m’aperçois que temps et papier me sont limités. Alors, si vous le voulez bien, ce sera pour la prochaine fois.

FRIMAIRE.

Le Chasseur Français N°603 Novembre 1941 Page 518