Ces oiseaux ne sont pas aussi communs que ceux qu’il est
d’usage de chasser couramment, mais ils en valent cependant la peine, bien que
la taille des plus petites espèces atteigne celle d’un merle. Il faut, en tout
cas, avoir une foi à toute épreuve dans la classification ornithologique pour
admettre qu’ils appartiennent à la même famille, tellement ils diffèrent les
unes des autres. Mais ils sont tous faciles à identifier avec leur bec large,
plat et légèrement crochu, leurs pattes vertes ou roses et leurs mœurs
complètement arboricoles. On ne les trouve jamais dans la sous-végétation et
encore moins sur le sol. Ce sont des oiseaux silencieux, maussades et peu
farouches, réagissant à peine au bruit des armes à feu. On n’a donc pas de
mérite à les chasser puisqu’on peut les fusiller presque à bout portant. S’il
en était autrement, il est probable qu’on ne les chasserait jamais.
Pendant les heures chaudes de la journée, les eurylaimes se
cachent plus ou moins dans le feuillage des arbres et semblent dormir. Ce n’est
que le matin et le soir qu’ils s’agitent (oh ! pas beaucoup) pour récolter
dans leur domaine les vers et les insectes dont ils font leur nourriture
habituelle. J’ai observé qu’ils recherchent plus particulièrement des sortes d’araignées
arboricoles à pinces, connues sous le nom curieux de « téléphones »,
sans doute parce que ces insectes tissent des fils interminables.
Les eurylaimes ne vivent pas en bandes nombreuses, mais par
groupes assez compacts pour qu’il soit possible avec un peu de chance d’assurer
son déjeuner d’un seul coup économique de fusil, car leur chair est comestible,
et on n’a pas le droit, au fond des forêts tropicales, d’être exigeant. Le
principal est de vivre sur l’habitant, poilu ou emplumé, sans être obligé
d’avoir recours aux viandes de conserve qui, à la longue, finissent par avoir
toutes le même goût de fer-blanc. Les conserves alimentaires représentent, pour
l’homme de la jungle, la pire des calamités.
Ces chasses aux eurylaimes étaient faites, le plus souvent,
dans de petits arbres qu’ils semblent affectionner plus particulièrement et que
l’on appelle « arbres contristés ». C’est, si je ne m’abuse, le nycthanthe,
qui a la spécialité de fermer ses fleurs, fort odorantes, pendant la grande
chaleur du jour. Cet arbre paraît en harmonie parfaite avec les mœurs des eurylaimes :
tout le monde dort, même l’arbre !
Cette vision de tout un petit monde en train de somnoler a
je ne sais quoi de pénible pour le vrai chasseur qui se « tâte »,
hésite avant d’envoyer un coup de fusil aussi peu reluisant Mais il faut vivre,
l’heure du repas n’est pas éloignée, et aucune autre perspective n’est proche.
Alors, le coup part, les oiseaux tombent lamentablement. Aujourd’hui, ma
mémoire se révolte, je regrette d’avoir tué trop facilement, sans risque. Je
n’ai pas honte, à propos de ces paisibles et nonchalants oiseaux, de faire, à
la fin de ma vie de chasseur, cette manière de confession ...
L’eurylaime dit de Sumatra, qui porte dans ce pays le nom de
Burong Palano, semble être le plus commun de tous. Les Tonkinois
l’appellent chim thay chua, et les Laotiens nok mak none, ce qui
veut dire « oiseau qui aime le sommeil ». Son plumage est bleu et
jaune.
Quand on en trouve un sujet, on peut être sûr qu’il y en a
d’autres à proximité, tellement ils sont casaniers. On les repère d’ailleurs
facilement avec leurs nids volumineux, pleins ou vides, qu’ils suspendent aux
branches des arbres, généralement non loin des ruisseaux qui sillonnent les
forêts où ils gîtent ; celles qui sont démunies de cours d’eau, c’est-à-dire
non aérées et arrosées, paraissent inhabitables à cette variété d’eurylaime.
Infiniment plus modeste est le corydon, avec son plumage
noir et brun taché de blanc, aux pattes brunes, que l’on trouve à peu près
partout dans le haut et moyen Laos, français et siamois.
La chair de cet eurylaime est peut-être meilleure que celle
du précédent, aussi apparaissait-elle plus souvent que les autres sur ma table,
sous forme de copieuses brochettes, dont le jus accommodait fort bien les
feuilles d’une sorte de laitue connue sous le nom de sreavadium.
Un autre eurylaime, qui fait, paraît-il, partie de la
famille, porte le nom encyclopédique et pompeux de « psarisome de
Dalhousie », ce qui tendrait à prouver que cet oiseau est une sorte
d’étourneau, puisque « psar » est l’ancien nom grec de cette dernière
espèce.
Par la taille et le plumage, le psarisome donne plus
l’impression d’une sorte de perroquet. Il se cantonne de préférence sur les
pentes des forêts élevées. J’en ai abattu de nombreux sujets dans les montagnes
du Luang-Prabang et des États Shans. C’est le plus reluisant de toute la
famille, avec son plumage vert, bleu et jaune, son bec jaune d’or et ses pattes
vertes. Cet eurylaime corse ses menus de fruits et de baies (sans doute de la dalhousie,
puisqu’il porte le nom de cette légumineuse d’Asie tropicale) et sa chair n’en
est que plus comestible.
Guy CHEMINAUD.
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