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Novembre

Depuis quelques semaines, les rives de nos cours d’eau sont à peu près désertes. Même un bel automne n’incite plus les promeneurs à rêvasser sous les saules, même une eau encore limpide ne tente plus les baigneurs et la foule des trempeurs de fil des beaux jours a déserté. L’ambiance n’y est plus ; le feuillage jauni, le vent souffle, la température s’est rafraîchie ; les beaux jours sont bien finis.

Et voici novembre, évocateur de la brume, de la pluie et du froid.

Cependant, il est un homme heureux qui a vu venir avec plaisir ces changements, qui a poussé un « enfin » attendrissant, après avoir voué aux gémonies la foule des gêneurs estivaux : c’est le pêcheur de poissons carnassiers.

Mais ce misanthrope est éclectique ; il convoite actuellement deux espèces seulement de voraces : le brochet et la perche. Il daigne bien mettre au panier quelque gros bêta de chevesne, mais ne se met pas en frais pour les capturer. Quant aux salmonidés, ils sont « tabous » depuis octobre, sauf l’ombre, dans certains départements. Il faut les respecter, ils sont un gage de la moisson future.

Nombreux sont les étangs, fleuves ou rivières qui recèlent nos deux carnassiers. Autrefois, ils pullulaient dans nos cours d’eau et cependant la blanchaille grouillait.

Hélas ! la sottise de certains a forgé autour du brochet un tel réseau d’absurdités qu’il est en passe de disparaître. On lui a attribué une telle voracité que la faune aquatique aurait disparu depuis longtemps si de telles assertions étaient exactes.

Des gens fort compétents ont donné leur avis là-dessus et devraient être écoutés.

Au risque de me voir clouer au pilori par ces professeurs d’ichtyologie en chambre, je m’inscris en faux contre ces assertions et je crois que l’on devrait protéger le brochet.

C’est un régulateur de la vie aquatique, qui s’attaque surtout aux malingres et aux infirmes ; on le voit bien d’ailleurs qui saute sur le vif entravé, alors qu’il y a d’autres poissons libres autour de lui ; c’est un sélectionneur qui épure la race.

Espérons qu’une saine compréhension nous fera retrouver nos belles pêches de brochets d’antan.

Laissons de côté ces constatations amères et essayons de capturer un « bec de canard ».

Nous classerons les procédés de pêche à la ligne en deux groupes, selon qu’il s’agira d’une pêche sédentaire ou d’une pêche active, et chacun pourra choisir ceux qui conviennent le mieux à son tempérament.

Nous serons forcément très bref, renvoyant les lecteurs, pour des renseignements plus complets sur tous les carnassiers (brochets, perche, saumon, chevesne, truite, anguille), aux excellents ouvrages qui existent en librairie.

Pêches Sédentaires (au vif, au trimmer, au pater-noster, à la fourche, etc.).

Pêche au vif.

— Ainsi que son nom l’indique, elle consiste à offrir au carnassier une proie vivante, mise dans l’impossibilité de s’enfuir. Pour cela, elle est fixée sur une monture appropriée, variant de grosseur et de forme suivant le vif employé ; les plus simples sont les meilleures.

Décrivons-en une qui est l’enfance de l’art :

La monture proprement dite comprendra un fil d’acier, ou plutôt de soie d’acier de 15 à 20 centimètres, même moins, reliée par un émerillon à un gros gut à l’autre extrémité du fil métallique ; montez un hameçon simple no 7 à 10 ; fixez un avançon également en acier qui supportera un hameçon double distant du premier de 3 à 4 centimètres ; c’est peu, vous voyez ; il faut que les hameçons puissent prendre l’un la tête, l’autre l’extrémité du corps de l’appât ; cet espace sera donc plus ou moins long, selon l’appât employé : 3 à 4 centimètres pour un vairon, 6 à 7 pour un goujon, 10 à 12 pour une grosse ablette, etc. Il est évident que la grosseur des hameçons sera également choisie en conséquence.

Avec l’hameçon simple, vous traverserez la narine de l’appât sans le blesser, puis vous posez l’amorce de façon que sa queue soit entre les deux branches du double que vous fixez avec un bracelet de caoutchouc ou un fil fin.

L’appât vivra longtemps, nagera fort bien, n’étant nullement blessé.

Nous fixerons le gut à une soie fine et solide, celle-ci à une canne légère et rigide et ... au travail.

Nous poserons notre vif dans les éclaircies, le long des roseaux, des souches, près de tous les obstacles, et, le soutenant, le laisserons évoluer. Un flotteur évite de soutenir le vif, ce qui est fatigant à la longue.

Au démarrage du bouchon, ferrez en sens inverse de la fuite. Il y a peu de ratés, l’armement étant réparti sur la longueur du vif.

Un autre procédé de pêche au vif, ou large, se fait avec une longue canne, quatre flotteurs (trois conducteurs et un flotteur principal), l’appât étant fixé sur une monture de votre choix ; celle décrite plus haut est toujours à recommander, étant simple et très efficace.

À l’attaque, le flotteur plongera, puis s’arrêtera, fuira de nouveau et les conducteurs s’enfonceront également ; nouvel arrêt, ferrez : que s’est-il passé ? Invariablement, le drame s’est déroulé ainsi : le brochet a saisi le vif, en travers ordinairement, et l’a emporté, puis il s’est arrêté dans un endroit à sa convenance, il a lâché le vif tué et l’a repris par la tête pour l’engloutir.

Deux conseils essentiels : ne ferrez jamais au premier départ, lâchez du fil pour éviter que le brochet sente de la résistance.

Pêche au trimmer.

— Pêche de braconniers ou de propriétaires d’étang. L’engin opère seul et surtout la nuit. Pas de difficultés, le premier gamin venu peut pêcher au trimmer.

L’appareil, composé d’une plaque de liège ou d’une planche carrée ou ronde, de 20 centimètres de côté ou de diamètre environ, assez épaisse, au centre de laquelle est fixée une cordelette d’une longueur en rapport avec la profondeur de la pièce d’eau, mais ne dépassant que rarement un mètre.

Elle est terminée par un émerillon qui servira à fixer un bas de ligne en soie d’acier de 30 à 40 centimètres avec une monture à vif.

On y accroche un appât de grande vitalité : tanche, carpillon, goujon, petite grenouille et, en barque, on place le trimmer sur l’étang ; ordinairement, on opère avec plusieurs engins. On les relève au jour.

De multiples inconvénients sont à signaler : d’abord, s’il y a des joncs ou des roseaux, le vif va s’y blottir, à moins qu’une plombée de fond ne le maintienne dans un rayon déterminé ; ensuite le brochet, sentant la résistance du flotteur, lâche souvent le vif ; on emploie alors le perfectionnement suivant : la cordelette aura une plus grande longueur, de 5 à 10 mètres si vous voulez, et si l’étang est propre ; on l’enroulera sur la planche ou la plaque de liège, puis on la fixe dans une cheville de bois fendue, placée perpendiculairement au centre du flotteur. Le brochet entraînant le vif fait basculer la planchette, dont le dessus passe dessous. Le fil quitte la rainure de la cheville et se déroule sans résistance.

On peut colorier les trimmers pour les repérer de plus loin. Le flotteur peut être une touffe de joncs, une bille de bois, une bouteille vide, etc.

Mais, attention : ce procédé n’est pas licite sur toutes les eaux ; renseignez-vous. Je l’ai employé en mer, dans les criques abritées et fréquentées par les gros poissons, je n’ai jamais perdu mon temps, bien que je n’aie opéré que de jour, avec des gros vers ou des mollusques.

Pèche au pater-noster.

— Drôle d’appellation ; l’origine qu’on lui attribue ne me paraît pas exacte, mais l’engin est opérant, c’est l’essentiel.

Même dispositif que pour la pêche au vif, sauf pour le bas de ligne, dans lequel réside d’ailleurs toute l’originalité du système.

Il est composé d’un long gut émaillé de 2 mètres environ, terminé par un gut plus faible de 10 centimètres, à l’extrémité duquel est fixée une olive de plomb assez forte (30 à 40 gr.). La moindre résistance du gut terminal permettra à cette partie seule du bas de ligne de céder en cas d’accrochage au fond.

À 70 ou 80 centimètres de l’olive, vous avez pincé une chevrotine pour empêcher le glissement d’un petit tube de bois, de cuivre ou d’os (isolateur de fil électrique, par exemple) enfilé sur le bas de ligne ; à ce tube, qui peut tourner sur lui-même, vous fixez perpendiculairement un fil d’acier rigide qui se tiendra écarté du bas de ligne ; à ce fil, vous accrochez le vif à l’aide de la monture déjà décrite, ou simplement piqué par les deux lèvres.

Vous pouvez, par grand fond, mettre un deuxième tube à 60 ou 70 centimètres plus haut, même un troisième, si cela vous semble utile ; vous aurez ainsi trois appâts opérant à des hauteurs différentes, mais gare aux accrochages en cas de grosse capture. Les bords du tube doivent être très unis, bien rodés, afin d’éviter qu’ils ne coupent le gut.

Comment opérer ? Vous descendez le plomb dans les trous, les coulées, au milieu des obstacles, à l’aide d’une longue canne, et vous maintenez le fil tendu. À l’attaque, baissez la main et, d’un coup sec, sans brutalité cependant, ferrez en sens inverse.

Vous aurez peu de ratés si vous employez la monture préconisée au début de l’article.

Cette pêche est très productive, agréable et facile ; elle permet d’explorer des endroits encombrés, refuges des voraces, impêchables par d’autres procédés ; elle s’emploie également en eaux libres d’obstacles et permet l’utilisation de tous appâts.

La pêche au boulantin de la Méditerranée lui est apparentée.

Pêche à la fourche.

— Ce n’est pas la pêche au trident interdite par la loi. Il s’agit d’autre chose.

Nous prenons une petite branche fourchue, dont les côtés ne dépasseront pas 30 centimètres de leur point de jonction ; le manche n’en aura que 5 ou 6.

Sur ce petit manche, nous pratiquerons une rainure assez profonde, nous y nouerons une fine cordelette en chanvre tanné, de façon qu’il reste 2 mètres côté manche, et 5 ou 6 côté branches. Sur la partie la plus longue, nous fixerons le bas de ligne habituel, en soie d’acier, l’olive et la monture, et nous enroulerons le tout autour des branches, en l’arrêtant dans une fente pratiquée dans l’une d’elles, ne laissant pendre qu’un mètre environ du bas de ligne.

Quant au cordonnet resté libre, côté manche, nous l’attacherons à une branche d’arbre surplombant l’eau, ou à un piquet planté au large.

Le brochet, saisissant le vif, dégage le fil de l’encoche, le déroule sans résistance et le déguste sans méfiance ; il se prend seul et vous le retrouvez le lendemain, ou quelque temps après, plaqué au fond, méditant sur le mauvais tour que vous lui avez joué.

Se renseigner, comme pour le trimmer, sur la légalité du système en certaines eaux.

Tous ces procédés employés pour le brochet servent également pour la perche, en ayant soin d’affiner les engins ou de prendre de petits vifs.

Nous continuerons le mois prochain à passer en revue les multiples procédés de capture des carnassiers. Certains, spéciaux pour la perche, sont excellents en décembre.

Marcel LAPOURRÉ,

Délégué du Fishing-Club de France.

Le Chasseur Français N°603 Novembre 1941 Page 528