La rétivité ou la méchanceté chez les chevaux sont deux
vices graves, au point de rendre difficilement ou complètement inutilisables,
pour le service auquel on les destine, les animaux achetés de confiance sur
leur belle apparence et les garanties offertes par le vendeur, ou bien après un
essai insuffisant, à moins qu’il n’ait été ... camouflé et trompeur.
Ces vices sont, en plus, dangereux pour les personnes
appelées à conduire ou donner leurs soins aux chevaux qui en sont atteints, et
ils peuvent aussi exposer grandement la responsabilité de leurs propriétaires à
cause des accidents qu’ils peuvent occasionner à des tiers.
Rappelons, à ce propos, qu’un vieux dicton du langage et de
l’expérience hippiques enseigne qu’il faut toujours se méfier du derrière des
juments et du devant des chevaux entiers pour se mettre à l’abri des
coups de pied et des morsures. Cela ne veut pas dire, du reste, que les chevaux
hongres sont tous sages comme des moutons, et il y a encore à considérer au
point de vue de leur « caractère » les ânes et les mulets, qui,
malgré d’indiscutables qualités, ne sont pas toujours sans défauts. « Têtu
et sournois comme un mulet » ; « méchant comme un âne rouge »
sont des expressions populaires courantes, motivées certainement par des
constatations de faits.
Pour ces différentes raisons, de nombreux intéressés n’ont
pas manqué de se demander pourquoi les vices en question n’étaient pas compris
dans la liste des « vices rédhibitoires » énumérés dans la loi du 2 août
1884, dont l’article 2 est libellé ainsi qu’il suit :
« Sont réputés vices rédhibitoires et donneront seuls
ouvertures aux actions résultant des articles 1641 et suivants du Code civil,
sans distinction des localités où les ventes et les échanges auront lieu, les
maladies ou défauts ci-après, savoir : pour le cheval, l’âne et le mulet,
l’immobilité, l’emphysème pulmonaire ; le cornage chronique, le tic
proprement dit avec ou sans usure des dents ; les boiteries anciennes
intermittentes, la fluxion périodique des yeux. »
À titre de renseignements, nous pouvons signaler que, dès
l’année 1838, plusieurs conseils généraux, avec l’appui des professeurs des
écoles vétérinaires, avaient manifesté le désir de voir la
« méchanceté » du cheval inscrite dans la liste des vices rédhibitoires.
Mais ce vœu ne fut pas pris en considération, ni par la Chambre des députés, ni
par le Gouvernement, à cause des difficultés qu’il y avait à définir ce vice
par des caractères certains, précis, invariables.
La méchanceté du cheval, que chacun sait bien reconnaître,
n’est pas facile à définir dans ses nombreuses modalités, d’autant plus qu’elle
se manifeste, dans la majorité des cas, par accès dont la cause peut être le
fait de circonstances ou de personnes, influençant peu ou prou le caractère (la
sensibilité) de l’animal.
On peut dire pourtant que la méchanceté est un « vice
moral » incitant l’animal, sous l’effet d’impressions physiques, à oublier
l’habitude ou la contrainte de sa domestication, pour s’abandonner à ses
instincts, en attaquant ou en se défendant contre l’homme. Il le fait à l’aide
de ses armes naturelles, des pieds et des dents, et encore, ce qu’il ne faut
pas ignorer, ni oublier, avec le poids de son corps quand il s’efforce de
serrer et d’écraser contre le mur de son écurie, avec une force musculaire
considérable que la peur, l’irritation ou la colère peuvent encore augmenter,
le visiteur ou soigneur, maladroit ou importun, sinon brutal, dont la présence
et les gestes suffisent à provoquer l’accès.
La méchanceté peut être un vice « inné » sous la dépendance
d’une hérédité plus ou moins rapprochée, ou bien « acquise » quand
elle se manifeste à la suite de faits imprévus chez les chevaux qui s’étaient
montrés jusqu’alors régulièrement doux et obéissants dans leur service
particulier.
Le cheval a de la mémoire, beaucoup de mémoire, et puis
aussi — est-ce une preuve d’intelligence ? — de la rancune. Il
garde le souvenir des mauvais traitements qu’il a subis et trouve toujours le
moyen et le moment d’en tirer vengeance contre ceux qui les lui ont infligés :
palefreniers, conducteurs, maréchaux, même aussi les vétérinaires, bien que
ceux-ci ne s’y soient décidés que dans une excellente intention, au cours d’une
indispensable opération chirurgicale, par exemple.
Il est de constatation courante qu’un cheval devient
facilement inabordable, méchant et dangereux des suites de la formation d’un
« cor » douloureux, soit au bord supérieur de l’encolure, à l’endroit
où porte le collier, soit sur toute autre partie du corps sur laquelle s’appuie
une partie quelconque du harnachement (sellette, bricole, croupière, têtière,
etc. ...).
L’influence génésique chez les chevaux entiers est une cause
ordinaire d’accès de méchanceté, et on dit vulgairement de certains d’entre
eux, par dérision sans doute, qu’ils sont « amoureux de l’homme »,
car leurs soi-disant caresses peuvent être de redoutables morsures ou des coups
de pied fort dangereux quand l’animal, dressé sur ses membres postérieurs,
« frappe du devant », à la manière d’un boxeur.
La méchanceté, difficile à définir, ne se décèle pas non
plus facilement à un premier examen, mais il est pourtant quelques signes qui
peuvent la faire craindre ou soupçonner. Un cheval méchant a ordinairement l’œil
sombre, farouche, inquiet ; il couche souvent les oreilles en arrière
quand on l’approche et fait entendre un bruit de grincement de dents ; les
uns sont plus dangereux du fait de leurs morsures que des coups de pied, et
réciproquement, mais il en est qui, à la fois, mordent et ruent, voire même
férocement. Le vétérinaire Gayot, qui fut en son temps directeur des haras, a
raconté dans un de ses livres la fin lamentable d’un homme d’écurie qui fut
broyé et mis littéralement en lambeaux, sous les dents et sous les sabots d’un
étalon particulièrement méchant dans le box duquel il était entré sans prendre
les précautions d’usage.
(À suivre.)
J.-H. BERNARD.
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