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La chèvre

Les races de chèvres : la Pyrénéenne.

Le Sud-Ouest de la France est un des grands royaumes de notre amie la chèvre : dans le massif des Pyrénées et les régions avoisinantes trône en effet la race qui en porte le nom. Il n’y a là rien d’étonnant ; ce pays de montagne, à la végétation souvent pauvre, fournit un habitat suffisant pour la chèvre. Les climats atlantique et méditerranéen différencient deux grandes variétés : la Béarnaise et la Roussillonnaise. Avant d’examiner ces deux sœurs, essayons de caractériser à grands traits la famille pyrénéenne tout entière.

Plus petite que l’Alpine, bien bâtie, élégante et fine montagnarde, elle possède une forte trempe. Son poil long, souvent rêche au toucher, abonde surtout sur les cuisses et les jambes, où il se distribue en larges mèches. De petits sabots noirs et mignons, terminant des membres secs, de bons aplombs permettent à cette chèvre de vagabonder tout à son aise. Le ton de la robe va du noir au beige, mais chez les sujets purs le noir est dominant. La Pyrénéenne se fait remarquer de très loin par une majestueuse ramure de couleur gris-plomb qui, chez le bouc, est réellement imposante.

La variété dite Béarnaise, la plus jolie et la meilleure laitière, est parfois motte (sans cornes) ; elle est native de ce beau pays d’Henri IV qui subit la douce influence atlantique. Ici la robe est noire avec quelques marques blanches sur le mufle et les pattes ; le ventre et les extrémités peuvent être plus clairs. La Béarnaise se rencontre jusque dans le Bigorre ; elle forme ainsi la majorité des troupeaux peuplant la partie occidentale de la chaîne des Pyrénées. Petit à petit, lorsque le voyageur se dirige vers la Méditerranée, la Béarnaise cède le pas à la Roussillonnaise. Dans l’Ariège déjà, le type caprin est un peu rabougri, mais les bêtes sont résistantes et relativement bonnes laitières, puisqu’en certains endroits favorables elles sont susceptibles d’augmenter de taille et de rendement. L’influence de la mer les ravigote peut être un peu ; mais, reprenant de l’embonpoint, elles perdent la pureté béarnaise. Au surplus, le souvenir du désastreux croisement effectué au début du XIXe siècle, avec des chèvres thibétaines, n’a pas encore disparu.

Dans le Roussillon, le poil de notre chèvre devient plus court et plus clair. Cette variété est parfois blonde « fromentée » ou tachée ; sa production laitière augmente. Ce dernier caractère et la couleur de la robe prouvent nettement l’influence de la race espagnole de Murcie.

À Lourdes, il paraît qu’aux abords de la grotte des pasteurs béarnais, accompagnés de quelques chèvres, proposent parfois au pèlerin un bol de lait trait sur place. Ce tableau véritablement idyllique montre le bénéfice que l’on peut tirer de la « vache du pauvre ».

Selon certaine tradition, on représente parfois, dans les livres d’enfants, le futur roi Vert-Galant à califourchon sur une chèvre. Devenu souverain de France, il n’oublia pas ses jeux lointains et promulgua le décret permettant encore de nos jours aux troupeaux caprins de parcourir Paris. Qu’y a-t-il de plus aimable, dans la cité moderne, qu’un antique usage se perpétuant ? À entendre dans son vieux quartier la flûte du chevrier, on se prend à rêver une seconde et à répéter ce vers du Cyrano de Rostand :

C’est le lent galoubet de nos meneurs de chèvres.

Il nous demeure loisible ainsi d’acheter directement au « producteur » un petit fromage ou une tasse de lait à la véritable température de traite. Ce breuvage, riche en matières minérales et en beurre, n’a aucun goût particulier ; les citadins l’apprécient fort.

Il y a lieu de noter que le plus souvent, ce sont des Béarnaises que nous rencontrons dans les rues de la capitale. Du printemps à l’automne, des chevriers les conduisent de vile en ville jusque dans le Nord. « Le boulevard Haussmann n’était pas percé ; dans la rue Rataud, un chevriçr menait encore ses chèvres, au petit matin, sur les pentes de la colline Sainte-Geneviève », ainsi en allait-il dans le Paris d’il y a une quinzaine d’années, que nous peint M.  Robert Brasillach sous le titre : Notre Avant-Guerre.

La chèvre des Pyrénées est en général bonne laitière, mais sous l’influence du climat sa production peut diminuer. La composition de ce lait le destinerait plutôt à la transformation en fromage ; mais il est essentiellement consommé en nature sur place ou distribué de-ci, de-là, par des chèvres ambulantes.

« Souvent, pendant une demi-heure, on entend derrière la montagne un tintement de clochettes ; ce sont des troupeaux de chèvres qui changent de pâturage, il y en a quelquefois plus de mille. Au passage des ponts, on se trouve arrêté, jusqu’à ce que toute la caravane ait défilé. Elles ont de longs poils pendants qui leur font une fourrure : avec leur manteau noir et leur grande barbe, etc. », écrit Taine dans son Voyage aux Pyrénées.

L’ISARD.

— Avant de nous quitter, n’oublions pas que, dans les Pyrénées, le genre de chamois est représenté par l’isard. L’étymologie de ce mot varie selon les auteurs ; ne pourrait-on pas faire appel à la vieille racine celtique qui a formé les noms de deux rivières : l’Isère et l’Isar, affluent du Danube. Il serait ainsi bien nommé, puisque cette dénomination rappelle la qualité de son allure. Nous laissons M. Joseph de Pesquidoux, académicien et propriétaire terrien de Gascogne, nous le décrire dans un chapitre de Chez nous : « À la poursuite de l’isard » :

« L’isard est de la taille d’une forte chèvre. Son pelage est assez long et bien fourni, mélangé de poils soyeux et de poils laineux. Il va du brun fauve, en été, au brun foncé, en hiver. Son corps, d’une gracilité ronde charmante, porté par des pattes fines au pied fourchu, donne l’impression d’être ramassé et comme bandé. Sa tête, plus claire que le reste du corps, sèche, lisse, fendue de larges yeux effarouchés, a l’air inquiet et ardent. On y voit deux petites cornes noires de 12 à 13 centimètres de longueur, qui sortent tout droit du front d’abord, à peine espacées l’une de l’autre, et se recourbent ensuite brusquement en arrière, en pointes annelées. Tout, en cet animai musculeux et dru, indique l’élan, précipité par son goût d’errance innée ou par une crainte perpétuelle. »

Si d’aventure on prétendait qu’avec l’isard nous étendons exagérément le champ de notre rubrique, nous riposterions qu’à l’état sauvage chamois et bouquetins sont, dans notre pays, parents de la chèvre. Quoique domestiquée depuis longtemps, notre petite laitière n’a pas moins conservé de cette parenté certain goût d’indépendance et de liberté. Toute étude sur les races de chèvres se devait donc d’en faire au moins mention.

Ch. KRAFFT DE BOERIO.

Le Chasseur Français N°603 Novembre 1941 Page 549