En climat tempéré, les immeubles souffrent relativement peu
d’un abandon d’une ou plusieurs années ; il n’en est pas de même sous les
tropiques. Les phénomènes atmosphériques sont plus puissants, les
constructions, souvent trop légères, ou présentant plus de malfaçons, résistent
moins ; elles se détériorent rapidement, d’autant que le gardiennage, peu
qualifié ou insuffisant, n’a pas su les préserver des nombreux agents de
déprédation et destruction locaux, rats, fourmis blanches et l’homme, pour n’en
citer que quelques-uns.
Il va falloir remettre en état les locaux d’habitation, de
commerce, d’industrie ou d’agriculture, abandonnés pour répondre à l’ordre de
mobilisation ou clos par suite de l’absence de communications maritimes.
Si le propriétaire lui-même revient, la tâche sera facilitée
par sa connaissance des ressources locales, mais, s’il ne peut revenir tout de
suite ou n’est plus, il faudra que le continuateur se débrouille le mieux
possible. Or, excepté en Indochine, à la Réunion, à la Martinique et dans
certaines parties de Madagascar, il ne trouvera pas, en dehors des grands
centres, d’entrepreneurs ou d’artisans locaux qualifiés à qui confier les
travaux, mais seulement des ouvriers qu’il devra diriger et guider.
Quant aux matériaux, le commerce local ne pourra plus les
lui fournir. Très souvent, il sera dans l’obligation de les fabriquer lui-même
en reprenant les procédés des premiers pionniers de la colonisation.
Un rapide état des réparations à effectuer par ordre
d’urgence permettra une évaluation des matériaux nécessaires.
De même, l’examen des ressources locales indiquera les
substitutions indispensables.
Par exemple, plus de tuiles mécaniques, ni de tôles
ondulées. Il faut revenir à la petite tuile plate à tenon (excellente
couverture, mais un peu lourde) ou aux feuilles de lataniers (Borassus flabellifer),
ou encore aux toitures de chaume, généralement en Imperata cylindrica,
le tranh des Annamites, l’alang-alang des Malais et Océaniens, l’herbe à
paillote de partout. De préférence, il faudra employer la tuile à tenon. Mais
ces matériaux doivent être fabriqués ou coupés à l’époque propice.
Vu l’absence de ciment et de chaux hydraulique, il faudra
user de chaux locales plus ou moins ... grasses. Il est bon de les améliorer,
quand il est possible, en usant de pouzzolanes ou, à défaut, de tuilot.
Pour ce qui concerne les bois, si les scieries locales ne
peuvent en fournir, il faudra se résoudre à les couper dans une forêt souvent
bien pauvre. Il sera nécessaire de suivre les usages des indigènes pour les
époques des coupes des bois destinés aux travaux définitifs. Quant à ceux
destinés aux constructions et réparations provisoires, on prendra ce que l’on
trouvera et on l’utilisera tout de suite. Si l’on use de certains bois tendres
communs, il faudra mettre des pièces de dimensions bien plus fortes, car, dès
que ces bois sont secs, ils risquent d’être piqués par les vers.
Tous les bois devront être pelés après l’abatage. Toutes les
fois que l’on pourra les envaser dans des réservoirs ou mares d’eaux douces
pour au moins six mois et mieux, dix-huit, il faudra le faire. Il faut que les
bois soient toujours bien couverts d’eau. Il y a lieu d’éviter soigneusement
les eaux alternativement douces et saumâtres.
Ensuite, pour le séchage, les bois sont exposés au vent
régnant, de manière à le recevoir perpendiculairement au plan de coupe. Après
débitage des troncs, il est bon de placer les sciages dans les mêmes conditions
jusqu’à leur emploi.
Les bambous bien choisis, coupés aux époques favorables, mis
à rouir dans les mares, peuvent ensuite être utilisés pour tous les lattis,
aussi bien pour la couverture en tuiles que pour les plafonds et sous les
crépissages sur pans de bois hourdis.
Préparation de la chaux.
— Il faut rechercher la pierre calcaire convenable,
rare dans toute l’Afrique occidentale ou équatoriale, abondante dans certaines
parties de l’Indochine et de Madagascar. Dans les diverses îles, on utilise
principalement du corail qu’il faut avoir soin de laver à l’eau douce avant
cuisson, s’il a été récemment sorti de la mer.
En l’absence de pierre calcaire, on utilise quelquefois des
coquillages marins ou fluviaux que l’on rencontre parfois en bancs importants
dans les grands fleuves africains ou en gisements fossiles.
Seuls, les combustibles végétaux sont à envisager. Tous
peuvent donner de bons résultats, depuis le bon bois de chauffe jusqu’à la
paille de riz, en passant par les fagots de brousse, la bourre de coco, etc. Il
faudra en avoir en grande quantité, surtout pour une première cuisson, un four
neuf en demandant près du double de sa consommation ultérieure.
Pour construire un four à chaux sur un terrain plat, on
tracera un cercle de 1 mètre de diamètre. Autour, à l’extérieur de ce
cercle, on élèvera un mur haut de 50 centimètres, en ménageant du côté du
vent régnant une entrée d’environ 60 centimètres de large, haute de 50 centimètres ;
deux petits murs de même hauteur, recouverts par des dalles, ou une voûte
grossière, formeront le foyer dont l’entrée sera fermée par un petit mur de
briques sèches ou d’argile ne laissant qu’une ouverture suffisante pour le
passage de combustible. Ensuite, on reprendra le mur du four en l’évasant peu à
peu en forme de tronc de cône renversé, de manière à atteindre à peu près 1m,50
de diamètre à 1m,50 au-dessus du sol. Puis on continuera la
maçonnerie, de façon à faire un nouveau tronc de cône en sens inverse du
premier. À 3m,50 ou 4 mètres du sol on s’arrêtera. La bouche
ainsi faite devra avoir un diamètre approximatif de 1 mètre.
Tout ce travail sera fait en pierres non calcaires ou non cuisables,
assemblées au mortier de terre argileuse contenant une forte proportion de
sable. L’épaisseur sera assez large à la base pour que l’édifice se maintienne
bien. Une épaisseur de mur de 1 mètre permettra d’obtenir une bonne assise
de l’ensemble. À défaut de pierres, on peut l’exécuter en briques sèches, ou
même en pisé, en ayant soin d’y ajouter une bonne quantité de sable pour
empêcher le retrait de faire des lézardes pendant le séchage ou la cuisson.
Le séchage est assez long, au moins un mois. On terminera en
établissant contre le four, jusqu’à sa bouche, un fort remblai de terre destiné
à empêcher la perte de chaleur pendant la cuisson ; quand l’ensemble sera
bien sec, on pourra terminer par quelques flambées.
On enfournera en disposant au fond du four de grosses
pierres aisément maniables par un homme, de manière à former une voûte, puis,
au-dessus, on chargera en plaçant des pierres de moins en moins grosses pour
terminer par des cailloux de la dimension de beaux œufs.
Le remplissage s’arrêtera à 50 centimètres de la
bouche, afin de faciliter le tirage à l’allumage.
Par le foyer, on introduira, jusqu’au fond, du combustible
bien sec, on allumera. Quand le feu sera bien pris, le tirage établi, que le
dégagement de la fumée se fera par le haut, on pourra charger le feu plus
abondamment. Il sera conduit assez doucement tant qu’il se dégagera de la fumée
et des vapeurs. Dès qu’elles disparaîtront, on poussera activement la chauffe.
Quand l’incandescence sera visible en haut, on continuera pendant
soixante-douze heures.
Il n’y aura plus qu’à laisser refroidir en protégeant de la
pluie s’il y a lieu.
Des précautions seront prises pour éviter les accidents
(asphyxie des travailleurs) par les dégagements des gaz nocifs (oxyde de carbone
et acide carbonique) se produisant pendant la cuisson et le refroidissement.
Dans le cas d’utilisation de coquillages, il faudra moins
charger l’appareil et ménager dans la masse de petites cheminées, afin d’éviter
que les coquilles cuites, en se pulvérisant, obstruent tout tirage. La cuisson
sera plus rapide.
La chaux, étant cuite, sera conservée de préférence sur le
chantier où elle devra être employée. On la plongera dans des fosses étanches
grâce à un revêtement argileux, où elle sera éteinte par immersion et maintenue
toujours couverte d’eau. On pourra déposer dessus 10 centimètres de sable
pour empêcher une évaporation trop rapide de l’eau.
Victor TILLINAC.
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