Le photographe peut considérer les couleurs sous deux angles
différents : la traduction en noir et blanc de tous sujets colorés, avec
des valeurs de ton suffisamment correctes, et l’obtention d’images colorées
donnant l’illusion des objets eux-mêmes, avec leurs dégradations de lumière et
d’ombre et leurs coloris propres.
Nous parlerons d’abord de la photographie monochrome, en
noir et blanc, des objets colorés, qui ne va pas déjà sans quelques
difficultés. Tout le monde sait, pour en avoir constaté et déploré les
regrettables conséquences, que les différentes radiations spectrales n’ont pas
la même activité chimique. C’est ainsi que le bleu et le violet exercent sur la
plaque sensible une influence beaucoup plus considérable que le jaune et le
rouge, ce qui explique pourquoi, dans le portrait, les yeux bleus prennent dans
le cliché une valeur beaucoup plus soutenue que les carnations et les cheveux
blonds, à tonalité lumineuse supposée égale ; il en résulte que l’épreuve
positive montre des yeux trop clairs et une chevelure trop foncée ; dans
le paysage, le ciel est traduit par du blanc presque pur, tandis que les
verdures, qui contiennent une forte proportion de jaune, fournissent des plages
foncées qui détruisent l’harmonie de la composition.
Bien que nous ayons indiqué déjà comment il est possible de
refréner ces écarts et de remédier à un déséquilibre qui présente de tels
inconvénients, nous y revenons à l’intention de nos plus jeunes lecteurs en
reprenant la question ab ovo.
Pour réaliser un rendu satisfaisant des valeurs colorées, on
a recours aux effets conjugués de deux moyens complètement distincts, mais qui
se complètent, et qui sont :
1° l’hypersensibilisation des émulsions pour les radiations
les moins actives ;
2° l’atténuation des radiations lumineuses qui les
influencent exagérément.
L’association de ces deux moyens de nature contraire forme
la base des procédés orthochromatiques.
1° Ce qu’on nomme hypersensibilisation est une exaltation
méthodique de la sensibilisation des émulsions pour celles des radiations
colorées, qui ne les influencent que d’une façon insuffisante. Par l’addition
au gélatino-bromure de certaines substances dont une étude approfondie a mis en
lumière les précieuses propriétés, les fabricants parviennent à préparer des
émulsions dans lesquelles un effet partiel d’égalisation (par addition) est
réalisé pour tels ou tels besoins déterminés. C’est ainsi qu’il y a des
émulsions orthochromatiques convenant spécialement pour le portrait ; il
en est d’autres pour le paysage, pour les verdures, la montagne, etc. Enfin,
certaines émulsions, d’usage plus restreint et d’emploi plus délicat, réalisent
une correction que l’on qualifie de panchromatique parce qu’elle s’étend, bien
qu’à un degré inégal, à toutes les radiations visibles.
Nous avons dit qu’il y a lieu de combattre deux causes
d’inégalité d’influence actinique, agissant l’une par insuffisance (rouge,
jaune et vert), l’autre par excès (violet et bleu). La correction additive que
nous venons d’examiner ne résout que la moitié du problème ; son action
doit être complétée par l’adjonction à l’objectif d’un verre correcteur jouant
le rôle de filtre pour absorber l’excès des radiations trop actives. C’est un
milieu coloré transparent, comme nuance et saturation, aux conditions de chaque
genre d’opérations. Un écran jaune clair convient pour le portrait avec
certaines sortes de plaques ; un écran jaune moyen est préférable pour les
verdures, la mer, la montagne, etc. Il existe aussi des écrans verts, bleus,
rouges, qui répondent à des besoins déterminés ; mais, dans la pratique
courante, l’amateur peut se tirer d’affaire avec deux écrans jaunes dont les
coefficients varient du simple au double. Par coefficients, il faut entendre le
facteur intervenant dans l’appréciation des temps de pose pour tenir compte de
l’absorption exercée par l’écran.
Mais le pouvoir de l’orthochromatisme ne s’exerce pas
« à sens unique », il est possible de l’utiliser pour des fins
diamétralement opposées, par exempte lorsqu’il s’agit de souligner un effet de
contraste plus ou moins perceptible, dans le but de séparer assez visiblement
deux plages contiguës du cliché différemment colorées, mais qui, du fait
qu’elles occupent la même hauteur dans la gamme du clair-obscur, seraient
traduites par une même valeur de ton et se confondraient dans une grisaille
uniforme. Pour arriver à une interprétation échappant à cette uniformité, on
est amené à fausser délibérément le rendu correct de l’une ou de l’autre des
valeurs colorées — sinon des deux — en adoptant une émulsion et un
écran appropriés à cet objet spécial. C’est là, comme on voit, une utilisation
à rebours des méthodes orthochromatiques ; nous n’y faisons d’ailleurs
allusion que pour signaler leur universalité d’emploi, qui s’étend aux cas les
plus épineux. Si ces applications un peu spéciales échappent aux préoccupations
de l’amateur à ses débuts, du moins en tant qu’opérateur, il peut cependant
s’intéresser à certaines d’entre elles susceptibles de piquer sa curiosité, par
exemple celle-ci : il est possible de séparer deux textes écrits, imprimés
ou dessinés sur une même feuille de papier, et se chevauchant, avec des encres
respectivement verte et rouge et de les isoler l’un de l’autre, par le moyen de
deux opérations successives, la première en interposant un écran rouge, l’autre
en utilisant un écran vert, sur des émulsions de sensibilités appropriées.
Cette faculté de sélection chromatique est extrêmement précieuse dans une foule
d’applications, et notamment en micrographie, ainsi que dans les reproductions
d’écritures effacées, de parchemins grattés ou surchargés, dans les expertises
judiciaires, etc.
Photographie des couleurs.
— Les progrès rapides apportés dans les méthodes de
photographie des couleurs ont fait faire un pas considérable aux arts et aux
sciences appliqués ; ils ont donné naissance à une industrie florissante,
celle de l’illustration en couleurs d’après nature, qui peut rivaliser avec les
créations des artistes les plus habiles et les plus consciencieux.
Une récapitulation des différents procédés de reproduction
des couleurs ne serait pas à sa place ici ; mais nous croyons utile de
faire connaître les principales divisions auxquelles on peut les rattacher. En
première ligne, nous mentionnerons la photographie interférentielle, découverte
par Lippmann vers 1891, dont les résultats sont remarquables, mais qui est
demeurée l’apanage des laboratoires scientifiques. Puis apparurent
successivement les procédés par décoloration et par dispersion chromatique,
très intéressants par l’ingéniosité des moyens qu’ils mettent en œuvre. Il faut
arriver aux procédés de trichromie par mélange ou superposition pour rencontrer
des possibilités d’applications pratiques dans les arts et dans l’industrie, où
ils ont connu un succès qui n’est pas près de se démentir.
L’unique procédé susceptible d’être pratiqué couramment par
l’amateur est celui qui porte le nom de trichromie par pigments juxtaposés, et
sur lequel est fondé l’emploi des plaques autochromes ou similaires. C’est le
seul que nous aurons à envisager dans ces modestes entretiens où nous nous
proposons seulement de guider les premiers pas du jeune amateur. Des
instructions très précises accompagnent les préparations autochromes sur
plaques et sur pellicules ; nous pouvons donc sans inconvénient retarder
la publication de l’énoncé du principe sur lequel repose leur emploi.
Jacques BERYL.
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