Pour les délits de chasse, comme pour tous autres délits, le
droit d’exercer ou de mettre en œuvre l’action pénale appartient, en principe,
soit au ministère public, soit à la personne privée aux intérêts de laquelle le
délit a causé préjudice. Une seule particularité à signaler en ce qui concerne
les droits du ministère public : lorsqu’il s’agit d’un délit de chasse sur
le terrain d’autrui sans le consentement du propriétaire, l’action du Procureur
de la République est subordonnée à l’existence d’une plainte de la partie
lésée ; on a estimé, en effet, qu’il appartenait seulement au propriétaire
ou au locataire de la chasse au préjudice duquel le délit a été commis
d’apprécier si le fait méritait d’entraîner des poursuites pénales ; au
surplus, il existe des régions où les propriétaires tolèrent l’exercice de la
chasse sur leurs terres par tous ceux qui en ont envie, et il serait souvent
difficile au ministère public de savoir si telle ou telle personne trouvée en
action de chasse sur une propriété aurait ou non l’autorisation du
propriétaire. Mais, dès lors que le propriétaire dépose une plainte, le
ministère public peut engager des poursuites ; il n’est cependant pas
obligé de le faire et il peut laisser au plaignant le soin d’engager les poursuites
au moyen d’une assignation directe devant le Tribunal correctionnel. En ce
dernier cas, le ministère public intervient nécessairement devant le Tribunal
correctionnel, et peut, suivant les circonstances, soit requérir l’application
d’une peine, soit conclure à l’acquittement du prévenu, ou s’en rapporter
purement et simplement à l’appréciation du Tribunal.
Par dérogation à la règle qui vient d’être exposée, le
ministère public peut poursuivre sans plainte préalable le délit de chasse sur
le terrain d’autrui sans le consentement du propriétaire, lorsque le délit a
été commis soit dans un terrain attenant à l’habitation et entouré d’une
clôture continue faisant obstacle à toute communication avec les propriétés
voisines, soit sur une terre non encore dépouillée de ses fruits et récoltes.
Pour tous autres délits de chasse, le droit de poursuite du
ministère public existe sans qu’il soit nécessaire que la partie lésée dépose
une plainte.
Rappelons enfin que la partie lésée a, dans tous les cas, le
droit d’engager la poursuite par voie de citation directe contre l’auteur des
délits de chasse.
Le point qui a toujours donné matière à discussion est celui
qui a pour objet de préciser ce qu’on doit entendre par la « partie
lésée » ou la « partie intéressée » dans l’article 26 de la
loi sur la chasse, c’est-à-dire de préciser à qui il appartient soit de déposer
la plainte préalable nécessaire pour déclencher l’action du ministère publie en
cas de délit de chasse sur le terrain d’autrui sans le consentement du propriétaire,
soit d’exercer la poursuite directe du délinquant devant la juridiction
répressive.
Ces deux formules : partie lésée ou partie intéressée,
ont évidemment pour objet de désigner la personne qui, ayant subi un préjudice
par l’effet du délit de chasse, a intérêt à obtenir la réparation de ce
préjudice en même temps que la sanction pénale du délit. S’agissant de délits
de chasse, le fait délictueux doit nécessairement consister en un fait de
chasse, et le préjudice doit consister en une atteinte au droit de chasse, une
atteinte aux avantages susceptibles de résulter de l’exercice du droit de
chasse, spécialement par suite de la diminution ou de la dispersion du gibier
se trouvant sur le terrain de chasse.
De là résulte cette règle, admise aujourd’hui par tout le
monde, que la partie lésée est la personne qui jouit du droit de chasse sur les
terres sur lesquelles le délit de chasse a été commis. C’est donc le
propriétaire, s’il a conservé le droit de chasse, et le locataire de la chasse,
si la chasse est louée ; si le propriétaire, tout en louant une chasse,
s’est réservé le droit de chasser, le droit de poursuite appartient
conjointement au propriétaire et au locataire de la chasse. Mais on considère
que la personne qui jouit seulement d’une permission de chasser ne peut être
rangée dans la catégorie des personnes lésées.
Plusieurs cas ont donné lieu à certaines hésitations,
spécialement celui du fermier lorsqu’il n’y a qu’un bail de culture sans bail
de chasse ni autorisation de chasser. Le fermier peut subir un préjudice par
l’effet de l’exercice de la chasse lorsque les dégâts sont causés à ses
cultures par le chasseur ou par son chien ; aussi a-t-on pensé que, si la
chasse était pratiquée par une personne sans droit, le fermier pourrait déposer
une plainte ou exercer personnellement la poursuite en raison du délit de
chasse. Certains arrêts ont admis qu’en ce cas le fermier jouissait du droit de
porter plainte et de celui de poursuivre correctionnellement le délinquant. On
cite, en ce sens, un arrêt de la Cour de cassation du 5 avril 1866 (Rec.
Dalloz, 1866, 1re partie, p. 411), un arrêt de la Cour
d’appel de Rouen du 23 janvier 1863 (Gazette des Tribunaux du 2 février
1863), un jugement du Tribunal correctionnel des Andelys du 24 décembre
1896 (Le Droit, du 15 janvier 1897). Cependant, d’autres décisions
ont refusé, dans le cas qui nous occupe, le droit de poursuite au fermier en
faisant état de ce que ce n’est pas le caractère délictueux du fait de chasse
qui est la source du préjudice dont se plaint le fermier, mais le seul fait de
la chasse ; d’après cette opinion, le fermier serait donc seulement en
droit de poursuivre devant la juridiction civile la réparation du dommage qu’il
a souffert. On cite en ce sens des arrêts des Cours d’appel de Caen (6 décembre
1871 au Rec. Dalloz, 1872, 5e partie,
p. 68), d’Alger (27 décembre 1876, Rec. de Sirey, 1877, 2e partie,
p. 206), d’Amiens (3 mars 1888, Gazette du Palais, 1888, p. 874),
d’Aix (16 janvier 1900, Gazette du Palais, 1900, p. 1475).
En présence de l’incertitude de la jurisprudence de cette
question, il est plus prudent d’exercer l’action au civil, et, comme le dommage
ne peut être très important et que c’est presque toujours le juge de paix qui
est compétent pour connaître la demande, on obtiendra, en le saisissant, aussi
promptement justice, et sans plus de frais qu’en saisissant le Tribunal
correctionnel.
Une autre question assez délicate consiste à décider si le
propriétaire qui a loué la chasse sans se réserver le droit de chasser conserve
néanmoins le droit de poursuivre les délinquants en cas d’inaction, ou de refus
de poursuite de la part du locataire de la chasse. Si le propriétaire cultive
lui-même les terres dont il a loué la chasse, il peut être assimilé, du point
de vue qui nous occupe, au fermier, et la question se pose dans les mêmes
termes que pour le fermier. Cependant, on peut remarquer que des faits de
chasse délictueux peuvent causer un préjudice au propriétaire des terres, même
s’il a loué la chasse, parce que la destruction ou la disparition du gibier se
fera encore sentir à l’expiration du bail de chasse. Il en est surtout ainsi
dans le cas où, à la date du délit, le bail de chasse est près d’expirer et où
l’inaction du locataire de la chasse est justement causée par cette considération.
Aussi croyons-nous que le propriétaire qui a loué la chasse n’en conserve pas
moins le droit de poursuivre les délits de chasse commis sur sa propriété dans
le cas où le locataire s’abstient ou refuse de les poursuivre. Tout au plus
peut-on admettre qu’il appartient en tout cas au Tribunal saisi d’apprécier si,
en raison des circonstances, le propriétaire est recevable dans sa poursuite.
Quand la chasse est louée à une société de chasse,
l’exercice des poursuites appartient à la société et est ordinairement
réglementée par les statuts qui investissent le président de la Société du
droit d’exercer au nom de la Société les actions en justice.
Mais la question qui a le plus été discutée concerne le
droit de poursuite des associations créées pour la répression du braconnage, et
qui ne sont pas, en même temps, titulaires du droit de chasse. On a pendant
longtemps estimé que ces sociétés ne subissent personnellement aucun préjudice
par suite du délit de chasse, sont irrecevables à exercer en leur nom personnel
la poursuite contre l’auteur du délit. Cette thèse a été admise par un arrêt de
la Cour de cassation du 13 avril 1923 (Gazette du Palais, 1923, p. 2672),
quelques jugements plus anciens se sont prononcés dans le même sens.
Cependant, la tendance de la jurisprudence paraît être
d’autoriser les associations de cette nature à exercer personnellement les
poursuites ou à y intervenir. On considère, en effet, que ces associations,
outre l’intérêt moral qu’elles ont à défendre, peuvent justifier d’un intérêt
matériel suffisant pour les rendre recevables à poursuivre, spécialement
lorsque ces associations ont pour objet de travailler au repeuplement du gibier
dans la partie du territoire où le délit a été commis et où elles consacrent à
cet objet des sommes versées par leurs adhérents. Un certain nombre de
jugements ou d’arrêts se sont prononcés en ce sens et il est à prévoir que
cette jurisprudence ne fera que se généraliser.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
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