Les familles de chasseurs, celles où la passion cynégétique
est quasi héréditaire, ne connaissent pas, pour ainsi dire, les accidents. N’y
voyons que le résultat d’une éducation à la fois précise et précoce, en même
temps que l’absence de toute émotion anormale chez ces porteurs de fusil. Par
contre, on constate malheureusement chez ceux qui abordent l’exercice de la
chasse à l’âge adulte, parfois à l’âge mûr, une inexpérience aussi fâcheuse
pour eux-mêmes que pour les voisins, inexpérience qu’il est d’autant moins
facile d’éclairer qu’il est plus délicat de les rappeler à l’ordre. Déjà,
certains pays attachent l’obtention du premier permis de chasse au succès dans
un examen fort simple, mais suffisant pour s’assurer du minimum de
connaissances indispensables, examen tout à fait analogue à celui qui préside à
la délivrance du permis de conduire. Nous verrons peut-être quelque jour cette
formalité s’introduire chez nous ; si elle est imposée aux débutants,
donnons-leur ici les éléments de quelques bonnes réponses.
Au bénéfice de la technique armurière, notons en premier
lieu que l’évolution du fusil de chasse, depuis cent cinquante ans, est très
nettement en faveur de la diminution de fréquence des accidents concernant le
porteur de l’arme. Combien de doigts et de mains détériorés, parfois de têtes
fracassées, au cours du chargement des fusils à baguette ! L’arme à
bascule a supprimé tout cela. L’apparition des armes à chiens intérieurs, la
suppression de la bretelle ont été de nouveaux facteurs de sécurité. Enfin, les
perfectionnements de l’art du canonnier, tels que nous les avons examinés dans
nos précédentes causeries, nous ont dotés d’armes dans lesquelles les accidents
par éclatement sont infiniment rares.
Ayant ainsi justifié l’arme moderne de la réputation de
traître outil, assez justement méritée par les vieux fusils, essayons de
résumer, au porteur de celui-ci, ce qu’il convient d’en faire ou de n’en pas
faire.
Chargé ou non, que l’on soit ou non en action de chasse,
il est indispensable de faire en sorte de ne jamais tenir le canon dans une
direction menaçante pour soi-même ou pour autrui.
Ce dressage du chasseur doit commencer aussitôt que
possible. À l’enfant de trois ans qui s’amuse à mettre en joue son papa ou son
petit frère, il faut commencer à expliquer que le bon chasseur « ne fait
pas ça », et qu’il y a une certaine manière de tenir son fusil qui est
recommandable. Le jeune sujet, s’il a quelque atavisme, en arrivera à vous
faire remarquer lui-même qu’il tient bien son fusil et quêtera bientôt une
approbation de son mentor. Le plus fort est fait : si la tenue et les
gestes sont corrects avec le fusil de bois, il n’y aura aucun danger à laisser
l’enfant, six ou sept ans plus tard, se servir d’une carabine de jardin et à
l’habituer le plus tôt possible, en terrain clos, à l’usage de l’arme normale.
Et peu à peu nous développerons les corollaires suivants de notre principe.
Lorsque l’on s’apprête à charger un fusil, il convient de se
placer de manière que le bout du canon ne menace pas le voisin. Il y a parfois
de mauvais fusils qui partent en les fermant, et, dans ce cas, il est
indispensable que les plombs s’en aillent en terre et non dans le pied de
quelqu’un. À cet effet, il convient, les cartouches introduites, de fermer la
culasse en relevant la crosse avec la main droite, le canon étant dirigé vers
la terre et en arrière du chasseur. La main gauche doit être placée sur le
canon, paume vers le sol, pouce à droite, et non sous le devant de bois,
ce qui conduit inévitablement à fermer l’arme en relevant le canon.
Pendant l’action de chasse, l’arme peut être tenue à deux
mains, reposer sur le bras gauche, reposer sur l’épaule droite tenue à la
poignée par la main droite, tout cela est secondaire. Il est même naturel de
varier assez souvent le port de l’arme, de manière à éviter la fatigue ;
mais, dès qu’il y a possibilité de la présence d’un voisin à gauche, le fusil
doit aussitôt changer sa direction ou son inclinaison.
S’il y a interruption de l’action de chasse, le fusil doit
être immédiatement basculé et placé sur le bras gauche, en particulier lorsque
plusieurs chasseurs se réunissent pour conférer ou changer de postes par une
marche groupée. Cette position, la seule correcte, est à la fois une marque de
prudence et un geste de courtoisie vis-à-vis des confrères, qu’il met à même de
constater que l’arme, bien qu’approvisionnée, est hors d’état de faire feu.
S’il y a lieu de se séparer de son arme, le mieux est
d’extraire les cartouches, après quoi on a le droit d’en faire ce que l’on
voudra. Si ce réflexe est acquis, il ne vous arrivera pas de la poser n’importe
où, ou de la retrouver chargée au râtelier d’armes. Le chasseur qui appuie son
arme chargée au tronc d’un arbre, le long d’une haie, est un imprudent qualifié
et un paresseux puisqu’il n’a pas la volonté nécessaire d’ouvrir l’arme et de
la coucher. Fuyons ces gens-là comme la peste.
La bretelle, si bretelle il y a, est faite pour transporter
l’arme non chargée. On appréciera la commodité d’une bretelle automatique lors
d’une longue marche, mais les cartouches doivent avoir réintégré la
cartouchière avant tout. S’il s’agit de faire quelques kilomètres en auto,
basculer l’arme en s’approchant de la voiture, et retirer les cartouches
ostensiblement, de manière à éviter toute inquiétude à vos cotransportés.
Enfin, s’il s’agit de traverser une haie, le fait de
franchir l’obstacle en premier lieu et d’attirer l’arme à soi en la prenant par
le canon peut être qualifié de folie. Ce geste coûte chaque année la vie à
quelques chasseurs, pour ne pas dire à quelques dizaines de chasseurs.
Mais, objecteront certains de nos lecteurs, et la sûreté, à
quoi sert-elle ?
La sûreté est un perfectionnement très utile, à l’usage des
fusils à chiens intérieurs ; actuellement, le dispositif le plus utilisé,
la sûreté par blocage des détentes, est bien au point ; mais, si son
emploi est recommandable lors de l’échange de deux armes, en battue, ou pour le
franchissement d’un fossé quand on n’a pas de voisins, il est insuffisant s’il
s’agit d’abandonner l’arme quelque part, debout ou couchée. Le verrou de sûreté
peut, en effet, être déplacé par un choc ou un frottement contre une
branche : l’arme que l’on a cru paralysée devient, à l’insu de tous,
particulièrement dangereuse.
Remarquons, en passant, qu’une arme tombée à terre pendant
l’action de chasse, généralement à l’occasion d’une chute du porteur, ne doit
être ramassée qu’avec beaucoup de circonspection et en s’assurant à la fois que
rien ne peut actionner les détentes et qu’aucune personne ne se trouve dans la
direction du canon. Généralement, dans l’émotion de la chute, le chasseur
oublie cette double précaution, et il risque de causer un accident grave.
La prudence la plus élémentaire conseille d’examiner
l’intérieur des canons après toute chute de l’arme, même sur un terrain propre.
Il est même indiqué d’y regarder lorsque l’arme a été déposée à terre
basculée : nous avons ainsi trouvé une énorme limace rousse dans
l’intérieur d’un calibre douze où elle avait cru bon de se réfugier pendant la
récupération d’un furet. En cas de tir du canon habité, la surcharge de la
limace n’eût rien ajouté à l’efficacité sur le lapin, mais aurait certainement
été la cause d’un violent recul. C’est pourquoi, lorsque l’on décide de poser
l’arme à terre, il est beaucoup plus simple d’enlever tout de suite les
cartouches, puisqu’il y a lieu de le faire de toute manière avant de la
refermer.
Bien que les fusils à chiens extérieurs commencent à
disparaître, il est bon de savoir que leur principal facteur d’insécurité
consiste dans l’erreur possible de détente lors de la manipulation des chiens
(index sur l’une des détentes et pouce sur le chien non correspondant). Si l’arme
est correctement tenue verticalement, il n’en résulte qu’un peu de bruit pour
rien ; si la direction du canon est dangereuse, c’est le désastre. Quant
aux histoires de chiens accrochés par les branches, laissons-les aux narrateurs
peu compétents : ce sont les détentes qui se font accrocher, et, lorsque
le fusil à chiens extérieurs est correctement mis au cran d’arrêt, il n’en
résulte aucun accident. Ne regrettons pas, toutefois, ces armes désuètes, peu
en harmonie avec les lignes sobres de la mécanique moderne : leurs
multiples, aspérités étaient un prétexte à d’artistiques gravures et ... à
un astiquage minutieux.
Rassurons enfin nos lecteurs sur les explosions des
cartouches. En dehors de l’arme, une cartouche à douille en carton explose sans
grand danger lors d’une chute ; le plus souvent, seules les anciennes
cartouches à broche causent ainsi quelque frayeur dans l’entourage du chasseur,
qui agira sagement en vidant ses poches au retour de la chasse et évitera ainsi
les émotions inutiles aux cardiaques de la famille. Ne gâchons pas les
munitions.
Nous terminons sur le rappel de ce fait qu’il est dangereux
de mélanger des cartouches calibre 12 à des cartouches calibre 20.
Beaucoup de chasseurs usent à la fois de ces deux calibres et peuvent, par
mégarde, introduire une cartouche calibre 20 dans un calibre 12, en
ce cas, la première disparaît dans le canon et, au cas de l’introduction et du
tir ultérieurs de la munition normale, un éclatement est inévitable. Cet
incident de tir est assez fréquent et toujours dangereux.
Dans notre prochaine causerie, nous examinerons les causes
d’imprudence pendant le tir.
M. MARCHAND.
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