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De mon poste d’observation

Il existe certaines règles posées par tous les écrivains qui ont traité de la chasse du lièvre aux chiens courants, règles basées sur de sérieuses observations. Mais, tout en s’y conformant, il est bon d’écouter l’expérience qui vient quelquefois en modifier l’application.

Ainsi, il est élémentaire, les chiens à bout de voie, de tenter de relever le défaut, soit en faisant des enceintes autour de l’endroit où celui-ci s’est produit, soit en barrant devant et derrière. Ces diverses manœuvres peuvent amener le résultat désiré. Cependant, il est des conditions qu’on ne saurait perdre de vue.

Que le défaut, par exemple, ait lieu après un bien aller prolongé, faudra-t-il, pour le relever, user du même procédé dont on se serait servi si le même défaut s’était produit après une chasse hésitante, entremêlée de nombreux balances ? Eh bien ! non.

Dans le premier cas, il est probable que le lièvre, fatigué d’une poursuite acharnée qui le gagnait, aura tenté, après avoir sauté, de laisser passer les chiens devant lui, et pour cela il aura fait un retour brusque en se jetant de côté ou sera resté presque sur place.

Dans le deuxième cas, l’animal, mollement suivi le plus souvent, aura essayé de mettre fin à la lutte, en déployant pendant un moment une vitesse exagérée, pour aller se relaisser, après une pointe en avant, dans l’espoir de n’être plus atteint.

La première supposition admise, il faudra donc, pour perdre le moins de temps possible, barrer sur les derrières, tandis que dans la deuxième on devra se porter au plus tôt en avant. Il convient de ne négliger aucun moyen de venir en aide à la meute, de vérifier les chemins, les sentiers, les terres ameublies, où on a la chance de revoir par le pied. Lorsqu’on est sûr d’avoir le piqué du lièvre de meute, on appelle les chiens, mais en les calmant le plus possible et en les ralliant au mieux.

Tenez, en traçant ces lignes, il me semble être sur le terrain de chasse — mon vrai terrain à moi. Regardez sur ces deux sentiers qui se croisent, voilà bien un pied, puis un autre dans une direction inverse ; notre gaillard a évidemment doublé ses voies. Mais cherchons la refuite probable avant d’appeler les chiens qui, de leur côté, travaillent avec ardeur. Ah ! nous y voilà ! Voyez vous-mêmes : le lièvre a fait cinquante ou soixante pas dans la direction où vous vous trouvez, il est revenu droit à son contrepied, puis, bondissant de côté, il a franchi cette broussaille et, faisant encore un crochet, il a traversé ces sillons fraîchement labourés pour se jeter dans le sentier de droite qu’il a évidemment suivi pendant un certain temps. La preuve la plus certaine que je puisse vous en donner, c’est cette petite touffe de poils qu’il a laissée en se glissant sous ces ronces. Vous la voyez comme moi, n’est-ce pas ? Alors, plus d’hésitation.

— À la voie ! À la voie ! Mes beaux, Bellement, ma charmante, bien sagement Castagnette ! Par ici. Clairon !

Enfin, les voilà repartis ! ... Quelle musique ! Avez-vous jamais entendu mélodie plus suave ? Ah ! que c’est donc beau la chasse !

Mais bientôt le lièvre se fait mener sur une hauteur, dans un chemin tout à fait découvert, et voilà un nouveau défaut qui a lieu dans des circonstances sinon identiques, du moins presque semblables à celles du premier. Car, si chaque lièvre a des ruses différentes, chacun d’eux répète dans la même chasse celles dont il a usé au début. C’est du moins ce qui arrive ordinairement.

Si la pluie a détrempé le sol, le lièvre recherche les terres labourées. Ce n’est pas par goût, car c’est une bête délicate et proprette. Sa prédilection pour les chemins tient autant à son horreur pour la crotte qu’aux ressources tutélaires que le sol pierreux lui fournit. Mais, dans les sillons, la terre s’attache à ses pattes velues, le botte. Plus la semelle de boue est épaisse, plus le sentiment qu’il laisse derrière lui est léger. Il le sait fort bien.

Quand le lièvre, quittant le bois, sort en plaine en débucher, la musique des chiens est particulière. Ces artistes jouent sur un autre ton, leurs voix sont plus claires, plus éclatantes. Quoi de plus délicieux alors que de courir à la lisière du bois et de s’arrêter sous un gros chêne ? Il est agréable assurément d’être moelleusement assis dans un bon fauteuil à l’Opéra, d’entendre sa musique de prédilection, de promener sa jumelle sur de blanches épaules. Eh bien ! tout cela ne vaut pas la place sous mon arbre, d’où j’assiste à la plus éclatante des représentations.

R. VILLATTE DES PRUGNES.

Le Chasseur Français N°604 Décembre 1941 Page 581