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Le repeuplement des chasses de faisans

À part les grandes chasses des environs de Paris ou de Sologne, dont le prix de location et d’entretien est fort élevé, le faisan, dans la plupart des régions de notre pays, devient comme le lièvre : gibier rare.

Ceci pour deux raisons essentielles :

    1° Il ne se plaît que dans certaines régions. Il faut, pour qu’il s’y tienne : du couvert (bois, taillis, fougères ou sous-bois assez dense et assez élevé), de l’eau, et des œufs de fourmis ;

    2° C’est, de tout le gibier courant, le plus facile à détruire.

Il est facile à approcher, son tir est facile, et le braconnage particulièrement tentant en raison du prix auquel il se vend actuellement et aussi parce que le braconnier peut se le procurer sans grand danger. Au lever et au coucher du soleil, il se promène souvent à découvert dans la plaine, facile à voir de la grande route. Et le soir, au lieu de se cacher, comme tant d’autres animaux le font, il arrive souvent au coq de se percher sur une haute branche, et de signaler, par son cri, sa présence à un kilomètre à la ronde. Quoi de plus tentant, alors, avec une arme qui fait peu de bruit, de gagner sa journée. Enfin, il effectue, d’un grand vol, d’assez grandes randonnées, qui l’éloignent de la chasse gardée, surtout si les voisins prévoyants ont soin de semer, près de la lisière de celle-ci, un vulgaire carré de blé noir.

Par contre, si vous prenez le soin de les élever sur place et si votre propriété est assez étendue, il y a de fortes chances pour qu’il s’y plaise et l’adopte comme cantonnement habituel, à condition de prendre certaines précautions.

I. Élevage du faisan en liberté.

— Lorsque vous lâchez des faisans adultes pour repeupler, ou pour « renouveler le sang », il faut veiller d’abord à ce que le nombre de coqs ne soit pas trop élevé. Le faisan a, sur la perdrix par exemple, l’énorme avantage, en matière de repeuplement, d’être polygame. Mais si les coqs sont trop nombreux, ils se battent ou s’éloignent, entraînant avec eux un certain nombre de poules. La bonne proportion, au printemps, est de un coq pour six ou sept poules. C’est pourquoi le propriétaire ou le directeur d’une chasse, s’il est raisonnable et soucieux de l’avenir, doit limiter, dès l’ouverture, la destruction des poules à un chiffre basé sur l’appréciation d’ensemble de l’année, et défendre de les tirer à partir du moment où ce chiffre est atteint. On peut, au contraire, tirer les coqs à la fermeture, il en reste en général suffisamment pour le repeuplement ...

Une amende sera le meilleur moyen de faire observer cette discipline. Le produit en sera réservé à une « cagnotte » destinée à acheter au printemps suivant du gibier de repeuplement.

Lorsqu’on lâche en liberté des faisans adultes, il faut, pour les garder sur place, observer certaines règles : on doit les lâcher vers le mois de mars, c’est-à-dire au moment de la fin de la chasse au lapin, dont le bruit et les allées et venues sont pour les oiseaux une cause de dérangement continuel. Préparer le terrain par quelques allées dans lesquelles on parsèmera du grain, qu’il faudra renouveler chaque semaine jusqu’à la fin du printemps. Ce lieu sera choisi si possible au centre de la propriété, sous bois, ou dans une lande assez dense, à proximité d’un ruisseau ou, à défaut, de petites mares contenant en permanence l’eau de pluie.

Les faisans sont apportés en plein jour (le gibier lâché de nuit a tendance à s’affoler et à s’éloigner) dans des caisses qu’on laissera sur place et que l’on couvrira de fougères et d’herbage, afin que le faisan se sente en pleine nature, et comme chez lui, au milieu du terrain agrainé. On entr’ouvre légèrement la caisse pour qu’il puisse sortir et l’on se retire « sur la pointe des pieds et en silence ». Si l’on a choisi un endroit bien couvert et bien agrainé, et si l’on a eu soin de laisser les animaux « à jeun » depuis vingt-quatre heures avant de les lâcher, ils sortent de la caisse doucement, sans précipitation et même avec une certaine timidité, et n’ont aucune raison de ne pas rester et adopter pour domicile habituel cette oasis où ils trouvent à manger et à boire. Si vous ne prenez pas ces précautions, il est, au contraire, probable que, affolés, ils prendront, la caisse ouverte, leur plein vol, et que vous ne les reverrez plus ... que chez le voisin.

À partir de ce moment, il faut interdire le secteur aux chiens (combien de chasseurs ne résistent pas au plaisir d’emmener leurs chiens lorsqu’ils vont visiter leur propriété en mai ou juin), aux bûcherons, et même aux promeneurs qui, sous prétexte de cueillir du muguet, vont importuner les poules en train de couver.

Il y a lieu aussi de leur fournir des œufs de fourmis. Rien n’est plus facile, dans une contrée où il y a des fourmis (c’est chose courante), que de faire des fourmilières. Il suffit de tuer quelques lapins et de les laisser macérer sur place, à condition de piéger les environs contre les renards ou autres putois. Peu de temps après, se forme sur les cadavres une imposante fourmilière. Et si, un mois plus tard, vous avez la curiosité de voir ce qu’est devenu votre lapin, vous trouverez, le plus souvent, un magnifique squelette, aussi propre et aussi net que chez le meilleur des naturalistes, les fourmis ont tout digéré, sauf les os. Semez, dès la saison venue, du blé noir dans trois ou quatre endroits bien choisis de votre chasse. Il est probable que cet attrait supplémentaire y maintiendra vos faisans, et que c’est là que vous les trouverez à la prochaine ouverture.

Il est à remarquer que, là où il y a des faisans, on ne rencontre généralement pas de vipères.

II. Élevage en volière.

— Si vous voulez faire du repeuplement en quantité importante, le seul moyen est d’acheter des œufs (car le prix d’achat des faisans adultes est assez élevé) et, après avoir lâché la masse, de conserver pour les années suivantes un certain nombre d’animaux, sélectionnés.

Ces œufs, achetés par 100 ou multiple de 100, sont d’un prix abordable, ils supportent bien le transport. Malheureusement, même provenant des maisons les plus sérieuses, ils présentent un déchet abondant. Alors que pour les canards sauvages, par exemple, vos couvées vous donnent un succès de 80 ou 85 p. 100, il est fréquent, pour les œufs de faisans, de n’obtenir que 35 à 40 p. 100 de naissances. Avant de les mettre à couver, vous les laissez vingt-quatre heures en plein air, sur du sable ou sur de la sciure, la pointe en bas.

Plutôt que de les faire couver par quinze ou vingt sous de grosses poules, il est préférable de les placer, par douze, sous des poules dites « demi-naines ». Ces poules sont d’excellentes couveuses, légères et calmes, et si quelques œufs sont écrasés par un geste malencontreux, vous en détruisez moins à chaque fois. Vous les élevez comme de vulgaires poussins, et vous les lâchez lorsqu’ils ont environ six semaines, sans avoir omis d’ajouter à leur ration (tout comme pour les perdreaux) des œufs de fourmis, ou des pâtées riches en vitamines qui se trouvent dans le commerce.

Qu’il s’agisse de poussins ou d’adultes, la volière doit présenter certaines garanties. Elle doit posséder un abri contre la pluie, être munie d’un abreuvoir, dont l’eau sera changée souvent ; il ne faut qu’elle soit ni trop haute, ni trop grande, car si les oiseaux peuvent y prendre leur élan comme pour un plein vol, ils risquent, de se blesser contre les grillages. Si vous avez assez de place, mieux vaut avoir une très grande volière divisée en plusieurs compartiments, afin que chacun de ceux-ci ne soit occupé que pendant six semaines, les autres étant mis au repos. Ce roulement est très important, surtout pendant la période de croissance des animaux. Il permet de laisser reposer le sol et de maintenir un tapis de verdure résistant et sain, car rien n’est plus nuisible au développement des jeunes sujets qu’un terrain fatigué et fréquenté successivement par des générations de volailles. Si les oiseaux n’y séjournent que cinq ou six semaines, ils ne peuvent pas avoir encore complètement absorbé la verdure lorsqu’ils déménageront, pour une autre poussinière où ils trouveront une verdure toute fraîche.

III. La sélection des reproducteurs.

— Étant donné le grand nombre d’œufs non fécondés dans les lots courants, il serait intéressant d’opérer comme on l’a fait pour certaines races de poules, telles que la Leghorn, une sélection. Malheureusement, cette organisation est assez onéreuse, et n’offre pas, comme pour celles-ci, les ressources importantes que constitue la vente des œufs.

Elle obéit aux lois démontrées par M. Ney, qui a institué pour son élevage de volailles sélectionnées le système des pedigrees qui nécessite l’installation et le contrôle de nids-trappes individuels, et qui entraîne un travail énorme. Aussi, ne le signalons-nous que du fait de son intérêt biologique. Ces sujets doivent provenir d’une souche connue et être indemnes de bacilles pullorum, dont on contrôle l’absence chaque année par une prise de sang pour séro-agglutination. C’est d’après la vitalité et le rendement des filles de ces sujets choisis que l’on se rend compte du pouvoir héréditaire des reproductrices mères et des coqs qui, étant polygames, confèrent leurs aptitudes et leurs qualités à une descendance importante. Et l’estimation de leur valeur se fait par comparaison des résultats obtenus avec ceux qui étaient escomptés en se basant sur les moyennes précédentes. Avec ces sujets sélectionnés, on obtient une proportion de 85 à 90 p. 100 d’œufs fécondés, au lieu de 35 à 40 p. 100 lorsqu’il s’agit d’œufs de provenance inconnue. On conserve pour la reproduction les sujets ayant donné le meilleur rendement, on lâche les autres.

On arrive ainsi à créer et à développer une souche, travail minutieux, fastidieux et onéreux, mais nécessaire pour qui voudrait industrialiser la production des gallinacés. Il y a certes des ratés. Si c’est une reproductrice qui cause une déception, ses propres filles seules sont influencées. Mais s’il s’agit d’un coq reproducteur, c’est la descendance de tout le troupeau qui s’en ressent et qui peut anéantir d’un seul coup l’avance acquise par un travail de plusieurs années.

Pour le choix d’un bon coq on se base sur les données suivantes : il doit provenir d’une excellente mère, de pedigree connu. La fécondation de couvée de cette mère, l’éclosion et l’élevage des jeunes sujets se sont effectués normalement, excluant ainsi toute dégénérescence, les sœurs accusent les mêmes qualités, ainsi que les propres sœurs du coq choisi. Les meilleurs coqs sont ceux issus de la troisième génération de cette souche contrôlée.

Ce qui revient pratiquement à dire que, lorsqu’on possède un très bon coq, on doit le conserver en volière pour la reproduction. Et que, lorsque le moment est venu (ce qui se voit à la diminution de poids et de vitalité de la famille) d’adjoindre à la souche un sang nouveau, il faut conserver, tant qu’ils sont en bonne forme, les bons coqs et acheter plutôt quelques poulettes provenant d’une souche connue.

Chasseurs, intéressez-vous à l’élevage et au repeuplement de votre gibier. Ceci a un double intérêt. D’abord, c’est le seul moyen de lutter contre la dépopulation des chasses, qui s’accentue dans notre pays du fait du morcellement des grandes propriétés, de l’augmentation du nombre des chasseurs, parmi lesquels on trouve, hélas ! tant de néophytes, destructeurs qui préfèrent les grandes battues et les tableaux imposants, mais meurtriers, à la « vraie chasse » qui consiste à tuer moins, mais en chassant devant soi, en faisant travailler son chien et qui procure au vrai chasseur les véritables joies de ce beau sport.

Le repeuplement a aussi l’avantage de vous intéresser et de vous amuser avec votre chasse pendant toute l’année. Le chasseur qui n’aime que le tir n’est pas un vrai chasseur, il prendrait autant de plaisir à prendre l’apéritif, entre deux doublés, au tir aux pigeons. Entre la fermeture et la prochaine ouverture, la campagne ne l’amuse plus. Alors qu’on y trouve tant de satisfactions, pendant toute l’année, à surveiller ses couvées, à entretenir son terrain, à détruire les rapaces et les carnivores et, l’été venu, à entraîner ses chiens « à blanc ».

Ayez aussi du faisan dans vos chasses. Certes, les vieux chasseurs le considèrent comme gibier de seconde zone. Il est plus sport, plus difficile de tuer un perdreau ou une bécasse et plus savoureux de les manger. Mais le faisan a ceci de bon que, la chasse au perdreau finie, il vous amusera encore jusqu’à la fermeture. Et puis, si vous n’y tenez pas pour vous-même, le faisan est une belle pièce à offrir si vous avez un cadeau à faire. Et, si vous avez des invités, surtout des femmes, il est bien rare qu’ils n’arrivent pas à descendre quelques faisans, et cela leur fera le plus grand plaisir de les emporter à Paris, où « cela fait chic ». Et l’une des joies de votre chasse n’est-elle pas de faire plaisir à vos invités ?

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°604 Décembre 1941 Page 583