Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°604 Décembre 1941  > Page 591 Tous droits réservés

Le chien de chasse

Le choix des reproducteurs

À la fin de ma dernière causerie, je relatais qu’un chasseur désireux d’élever un bon chien de chasse pouvait considérer l’utilisation d’étalon ou lice primés en exposition canine et en fields-trials.

Nous touchons là un côté important de l’élevage canin. Mais il nécessite une petite mise au point.

Que de fois n’ai-je pas entendu répéter cette conception du chasseur moyen : « Les expositions, mais c’est de la blague, c’est toujours ceux qui sont d’accord avec le juge qui ont les premiers prix. Et les fields-trials, c’est du cirque ! On vous oblige à aller prendre le vent pendant des kilomètres avant de faire chasser votre chien ! Un chien de field-trial ne peut pas faire un chien de chasse ! »

Cette dernière phrase m’avait été souvent répétée par un docteur de mes amis, chasseur passionné et homme charmant par surcroît. Et que de discussions entre nous à ce sujet où chacun restait sur ses positions.

Or, ayant eu la chance de lui procurer un jeune épagneul breton d’excellente origine, avec un peu de dressage, ce jeune sujet faisait merveille.

Je réussis à persuader le brave docteur, entiché de son chien, de le présenter en fields-trial. Mais, à la première présentation, ce chien, ayant beaucoup chassé et peut-être pas assez tenu par son maître, fit une poursuite éperdue sur des lièvres.

Le docteur n’était pas content, mais, tenace, je reviens à la charge, et au deuxième concours ce bon chien se classe premier devant des chiens très connus.

Son maître ne nie plus maintenant l’utilité des fields-trials et reconnaît qu’un bon chien peut être trialer et chien de chasse en même temps. Car il a vu par lui-même les difficultés d’un concours sur le terrain et que pour bien juger un chien il fallait le mettre dans d’aussi bonnes conditions que possible.

En exposition également, tout est mis en œuvre pour que le bon chien soit primé, et nous devons savoir gré aux dirigeants des sociétés canines et aux juges qui se dépensent sans compter pour arriver à un bon résultat

Pour tout remerciement, ils ne reçoivent trop souvent que des récriminations sans fin, auxquelles ils doivent opposer une parfaite sérénité. Car, la plupart du temps, les exposants voudraient tous avoir le premier prix.

Je reconnais que quelquefois des juges se trompent. Errare humanum est. Il y a une quinzaine d’années, j’avais présenté à une exposition du Midi de la France une très bonne griffonne d’arrêt qui avait été primée plusieurs fois déjà. Le juge, écrivain cynophile réputé, assailli par des solliciteurs qui avaient envahi le ring, regarde à peine ma chienne et la classe une des dernières. Je n’étais pas content et pour cause.

À la fin de l’exposition, j’allais le trouver et lui demandais des explications sur son jugement Il me répondit très aimablement que la chienne s’était mal présentée.

Mais, aux expositions suivantes, ayant sans doute reconnu son erreur, il la classa toujours dans les premiers prix et j’eus toujours beaucoup de plaisir à le rencontrer ensuite dans les manifestations canines. Il est mort il y a quelques années ; c’était un bien brave homme, et je suis heureux de lui rendre ici un respectueux hommage.

Les juges sont des hommes comme les autres, ils ont tous leurs petites manies.

L’un d’eux, que j’ai bien connu, paradait un peu dans son ring et officiait en gants jaune-paille — couleur peu choisie pour ausculter des chiens. Inutile de dire qu’au bout de peu de temps ses gants avaient changé de couleur. Il n’avait pas des connaissances très étendues en matière canine.

Un autre, un tantinet prétentieux, avait élevé des pointers et en avait de très bons. Celui-ci, il ne fallait l’aborder qu’avec force salamalecs et vanter d’abord ses pointers. Alors, il vous regardait d’un œil très réjoui et jugeait tous les chiens convenablement.

Un autre, technicien de valeur, avait inventé un outil à mesurer les crânes. Quoiqu’un peu exagéré, ce procédé avait quelques raisons d’être, la race d’un chien se reconnaissant surtout à sa tête et à sa queue. Il a eu un chien qui est devenu champion, mais qui, cependant beau et bon, n’a pas laissé à mon humble connaissance une bien bonne descendance, quoique souvent utilisé comme étalon.

Mais abandonnons cette question « juges », ne voulant pas être accusé de lèse-majesté envers eux.

Donc, en cherchant à trouver comme reproducteur le bon et beau chien, celui qui est primé en exposition et en fields, essayez de connaître sa descendance, car tous les étalons ne sont pas tous raceurs et les lices ne sont pas toutes bonnes reproductrices.

Ne cherchez pas trop à utiliser le grand crack qui en fields-trials fait tantôt un premier prix avec C. A. C., et tantôt se fait mettre à la porte.

C’est dans ce cas un chien surentraîné, très nerveux, qui échappe parfois à la main de son dresseur et qui doit être dur à tenir en chasse. Ou bien, trop sous l’influence du dressage, faisant un bon travail sur gibier facile, mais dérouté par gibier fuyant à pattes devant lui.

J’ai vu ce dernier cas se produire pour un sujet, fils de champion, dont le chauvinisme des juges et éleveurs locaux voulut à tout prix faire un « supéras » ; il eut un premier prix avec C. A. C. et force félicitations, après un très bon travail sur perdreaux qui ne demandaient qu’à s’envoler. Mais, un mois après, en Sologne, sur un terrain où abondaient lapins et faisans, piétant et ensuite tenant l’arrêt ferme, il bafouilla et se fit mettre à la porte.

Cherchez donc plutôt le chien régulier qui est toujours dans un classement moyen dans les deuxième et troisième prix. Et que ce chien soit utilisé à la chasse par son maître, ceci est un point très important.

Car il arrive, pour de grands cracks poussés pour le championnat, que leur maître ne veuille pas les utiliser à la chasse de peur de gâter leur dressage et compromettre leur carrière.

Un bon chien de fields-trials, bien équilibré, ne se « dédresse » pas à la chasse, car il fait vite la différence entre le travail à la chasse et le travail en concours.

Il existe aussi des propriétaires d’étalons et lices qui ne sont pas chasseurs du tout. Leurs sujets inemployés à la chasse perdent vite leurs qualités naturelles, et leur descendance s’en ressent très vite. Il faut absolument éviter l’emploi de ces reproducteurs.

LE VIEUX DRESSEUR.

Le Chasseur Français N°604 Décembre 1941 Page 591