L’alcool a été certainement le premier carburant de
remplacement auquel on ait pensé dès la venue de la disette de l’essence. On
l’employait déjà depuis plusieurs années, mélangé en petite proportion, 5 à 10
p. 100, avec cette dernière. Nous avions même connu, au bon temps, le
fameux carburant national qui en contenait 25 p. 100, puis le « poids
lourd », de 18 à 20. Nous nous étendrons donc assez peu sur cette
question, l’ayant envisagée sous toutes ses formes à cette époque. Les
inconvénients de l’alcool-carburant sont bien connus : pouvoir calorifique
moins élevé, entraînant de ce fait, à puissance égale, un accroissement de la
consommation. Reprises moins bonnes. De plus, l’alcool s’émulsionne moins bien
avec l’air qu’avec l’essence, ce qui entraîne des départs à froid, toujours
plus laborieux.
En faisant appel à l’alcool à 100 p. 100 exempt
d’essence ou de benzol, ces défauts ne devaient que s’accentuer. Comme il ne
peut être question de construire actuellement des moteurs spécialement étudiés
pour la marche à ce carburant, force est donc, comme pour le gazogène
d’ailleurs, d’envisager l’équipement des véhicules, tels que nous les avons à
notre disposition. L’alcool est, par excellence, antidétonant. Il est donc tout
désigné pour les moteurs poussés à haute compression, et tournant vite ;
le gazogène s’accommode mieux avec des régimes lents. De plus, l’emploi de
l’alcool n’entraîne qu’une dépense relativement peu élevée dans la
transformation du moteur. On aura, en effet, à n’intervenir que sur le
carburateur et sur la température de l’alcool au moment du départ à froid. Le
carburateur demandera un réglage spécial. On pourra, dans beaucoup de cas,
utiliser l’ancien. Les gicleurs seront d’un diamètre plus gros, et le flotteur
plus lourd. Quant au départ, on n’a qu’à réchauffer l’alcool à l’aide
d’appareils plus ou moins simples, mais dont le prix varie de 1.500 à 3.000 francs.
L’alcool, porté à une température de 30 à 60 degrés, devient, cela se
devine, plus volatil.
Le plus souvent, on a fait appel, comme première source de
chaleur, pour le départ, à l’électricité. Une fois le moteur chaud, un système
de réchauffage par circulation des gaz de l’échappement se substitue à la
source initiale. De ce fait, les batteries ne sont pas soumises à trop rude
épreuve.
La chute de puissance, même sans trop s’inquiéter de la
consommation, reste sensible. Elle est de l’ordre de 20 p. 100 environ. On
peut, certes, obvier à cet inconvénient dans une certaine proportion, en
élevant quelque peu le taux de compression. Mais nous ne pouvons atteindre, sur
ce chapitre, les chiffres des moteurs alimentés avec des gazogènes.
La fin de l’année 1940 a vu se développer d’une façon
intense l’équipement des véhicules à l’alcool. Après le charbon de bois, le
public tourna ses regards vers l’alcool, avant de s’intéresser à l’électricité,
au gaz d’éclairage, puis à l’acétylène. Toutefois, la réglementation sur
l’emploi de l’alcool fit que de nombreux usagers ne purent utiliser leur
voiture transformée. C’est que l’alcool, s’il est un carburant essentiellement
français, ne se fabrique pas en quantité suffisante pour alimenter un nombre
élevé de véhicules, et il faut restreindre la délivrance des permis de
circuler.
Et, pourtant, il apparaît bien que l’alcool serait le
carburant de remplacement le plus indiqué pour se substituer à l’essence, non
seulement provisoirement, mais définitivement. Alors que certains succédanés ne
peuvent être qu’un pis aller, l’alcool, qui ne nécessite pas d’appareils
encombrants et coûteux et qui est d’une manipulation idéale, puisque identique
à celle de l’essence, devrait prendre une large place dans notre économie
routière de demain.
Le problème n’est donc plus technique. Il sort du cadre de
l’ingénieur pour passer sur le plan national.
On ne peut plus se contenter des sources de production
d’hier. Il faut en trouver d’autres. La betterave, le bois, la pomme de terre,
etc., sont devenus des produits trop précieux pour songer, dans l’état actuel
des choses, à faire appel à leur concours sur une vaste échelle.
Les pouvoirs publics, des compétences et des spécialistes se
sont penchés sur le grave problème de la production française de l’alcool. On a
étudié, tour à tour, toutes les ressources que pourrait apporter chacune des
plantes alcooligènes connues. On a songé tout d’abord au maïs. Malheureusement,
nous produisons chez nous 4 à 5 millions de quintaux de grains de maïs, alors
que les besoins de notre cheptel varient de 12 à 14 millions de quintaux. De
plus, le maïs nécessite beaucoup de façons culturales qui ne peuvent s’exécuter
à la machine ; il restera toujours, de ce fait, l’apanage de la culture
des petites propriétés familiales.
On se tourne enfin vers le topinambour et le sorgho. Et M. Georges
Guibert, président du Groupements des Intérêts coloniaux, pose le principe
inattendu suivant : « Le propriétaire d’une voiture désirant rouler,
par exemple, 10.000 kilomètres par an devrait cultiver un peu moins d’un
hectare de sorgho sucrier ou un hectare de topinambour. » Autrement dit, 1 m2
de récolte pour 1 kilomètre de chemin à parcourir.
Nous admettrons que M. P. Guibert a établi ses calculs
sur la base d’une voiture consommant 10 à 12 litres d’alcool aux 100 kilomètres.
Le sorgho peut se cultiver avec fruit dans notre domaine colonial. En France,
il conviendrait particulièrement à nos régions ouest et sud-ouest. Le
professeur italien Parisi nous montre que la distillation d’un hectare de
sorgho, tiges et graines, donne 40 hectolitres d’alcool. Le prix de
revient de l’alcool sorgho peut s’établir à 270 francs l’hectolitre
d’après le professeur Dupont, alors que le Dr Delucq, directeur
de la culture expérimentale de Vic-Fezensac, l’estime à 180 francs. Même
en prenant une large moyenne de ces deux chiffres, nous sommes encore loin des
360 francs de l’alcool de betterave. Avantage du sorgho sur le
topinambour, comme nous le verrons plus loin. On peut utiliser dans les petites
propriétés un matériel de distillation assez rudimentaire : hache-paille,
macérateur en bois, cuve ouverte de fermentation, etc. … Mentionnons enfin
les sous-produits de la distillation : cellulose, acides lactique et
acétique, etc.
Le topinambour, de son côté, beaucoup plus connu de nos
campagnes, est en train de reconquérir tous les titres de noblesse auquel il a
droit. Il fournit plus d’alcool que la betterave, et autant que la pomme de
terre. De 100 kilogrammes de topinambours, on extrait 12 à 15 litres
d’alcool à 50 degrés. Un hectare de topinambours peut fournir, en moyenne,
20 tonnes de tubercules et 40 tonnes de feuilles vertes précieuses au
bétail. Enfin, sa fleur est très mellifère, ce qui intéressera également tous
les amis des abeilles. Cette plante, comme chacun sait, se contente de terres
peu productives et s’accommode très bien des climats les plus durs. Seuls les
terrains marécageux lui sont défavorables. Hitier, dans son intéressante étude
sur les plantes industrielles, nous signale que le Massif central, le Limousin,
le Morvan, la Bretagne, la Sologne, la Bresse, le Poitou, les Landes
permettraient la culture intensive du topinambour. Cette année, grâce au printemps
pluvieux, nous assistons à une excellente récolte. Reste le côté de la
distillation. Ici, le matériel est complexe et important. Il faut avoir recours
à l’usine. Des distilleries coopératives et régionales, voire mobiles, sont à
aménager. Une usine répondant à ces conditions s’édifie actuellement à Lapeyrouse
(environs de Riom), sous les hautes directives de la maison Michelin. Nous
serons donc fixés définitivement sous peu, et nous aurons l’occasion, de
revenir sur cet important sujet. On juge déjà du déclenchement immédiat de mise
en valeur de terrains incultes qu’apporterait la généralisation de la culture
du topinambour. Quel usager hésiterait à s’occuper directement, s’il est de la
partie, ou indirectement par personne interposée, société, coopérative, etc.,
d’ensemencer un hectare de ces précieux tubercules, afin de pouvoir rouler une
année entière en toute quiétude ? Au ministère de l’Agriculture, on estime
que, grâce à une organisation rationnelle, les quantités d’alcool de
topinambour affectées à l’automobile pourraient atteindre près de 3 millions
et demi d’hectolitres, donnant l’équivalent de 2 millions 250.000 hectolitres
d’essence, soit environ 6 p. 100 de la consommation d’avant guerre. En
d’autres termes, grâce au topinambour, 130.000 autos pourraient, à
nouveau, se dégourdir ... les roues.
G. AVANDO,
Ingénieur E. T. P.
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