L’établissement d’une briqueterie doit se faire de
préférence sur la carrière d’argile. De très nombreux gisements de cette terre
existent dans la zone tropicale. Ils proviennent généralement de la lente
décomposition des latérites. On essaiera l’argile en moulant à la main de
petites éprouvettes ; souvent il sera avantageux d’ajouter du sable (non
calcaire) pour éviter le retrait trop considérable au séchage et à la cuisson.
Si on peut se procurer un banc de briqueterie à levier,
faisant deux briques à la fois, on pourra utiliser la terre franche dès sa
sortie de carrière, un simple broyage à la pelle suffisant pour l’emploi. À
défaut de ce matériel, il faut le moule primitif en bois dur formé par quatre
traverses de bois laissant au milieu d’elles un vide de 22 cm. x 11 cm.
x 5 cm., qui représente le moule proprement dit.
On pose cet appareil sur une aire de séchage bien plane, on
prend à deux mains un paquet de pâte préparée comme il est indiqué ci-après. On
jette vigoureusement cette pâte sur le moule ; à la main, on remplit bien
les angles, on égalise le dessus du moule en passant une raclette en bois, ou
un archet fait d’un mince fil de fer ou cuivre tendu sur une branche souple
formant arc. On enlève le moule en secouant doucement pour dégager la brique.
On recommence l’opération en saupoudrant le moule de cendre ou de fine
poussière pour diminuer l’adhérence de la pâte molle.
Le séchage commencé à plat sur le sol se continue
sur-le-champ, puis en petits murs dits brins de fougères, laissant entre chaque
brique, reposant sur trois autres, un espace presque égal à son épaisseur, afin
de laisser circuler l’air. Progressivement, selon le séchage, les murs en brins
de fougères sont élevés à la hauteur d’une dizaine de briques. S’il y a lieu de
craindre la pluie, on couvre les briques. Quand elles sont complètement sèches,
au bout d’une semaine ou d’un mois, selon le temps, elles sont prêtes à cuire.
Sinon, on les empile en tas sous des hangars en attendant l’enfournement.
Fabrication de la pâte.
— On peut la préparer par le piétinement de l’homme,
des bœufs ou buffles. On étale la terre sur une aire, on l’arrose, après
foulage par piétinement, on la relève à la pelle, pour recommencer jusqu’à ce
que la pâte soit bien homogène. Ce système n’est pas à recommander, il est trop
dispendieux comme main-d’œuvre. Mieux vaut construire un malaxeur en prenant
une barrique hors d’usage. On la dresse sur un bout, on la fixe au sol par
trois piquets. Au milieu, on établit une pièce de bois de 10 à 12 centimètres
d’équarrissage, dont la partie inférieure, taillée en pivot, repose dans un
godet solide, taillé dans le sol ; dans cette pièce de bois verticale, on
fait passer sur les différentes faces quatre à six barres de fer d’environ 2 centimètres
de diamètre, pouvant tourner aisément dans la barrique. Entre les passages de
ces barres, on place à l’intérieur du tonneau quelques morceaux de cornières en
fer.
Sur le bord supérieur de la futaille, on fixe deux pièces de
bois ou de fer qui entourent l’axe vertical dans une gorge spécialement
entaillée sur cette pièce, afin de la maintenir en place dans sa rotation. En
haut, sur le sommet de cette pièce de bois formant l’axe, on fixe,
perpendiculairement à cette pièce et parallèlement au sol, une solide perche de
plusieurs mètres, à l’extrémité de laquelle on fixera le nécessaire pour
atteler un buffle ou un bœuf qui tournera ce manège.
Au ras du sol, on fait (dans une douve) une entaille, comme
une petite chatière, d’environ 8 cm. x 10 cm.
Un homme remplira progressivement le tonneau de terre
mouillée avec une pelle, il prendra celle qui sort par la chatière et la
remettra dans le malaxeur jusqu’à ce que, celui-ci étant plein et la terre
convenablement humectée, la pâte sorte bonne au moulage.
Fabrication des tuiles.
— Le moule est taillé au ciseau dans un plateau en bois
dur d’environ 30 cm. x 25 cm. x 7 cm. On fouille un rectangle de
22 cm. x 18 cm., à la profondeur de 2 centimètres, puis sur le
bord d’un des petits côtés, au milieu, on fera une petite fosse supplémentaire
profonde de 2 centimètres sur le fond déjà évidé ; elle sera large et
longue de 3 centimètres et légèrement en tronc de pyramide, afin de
faciliter le démoulage ultérieur.
Ce travail fait, soigneusement poli, il ne restera plus qu’à
mouler les tuiles comme les briques. On ne pourra utiliser que de la bonne
pâte, bien malaxée, faite avec une terre convenable, de préférence les terres
utilisées par les potiers indigènes, car il faut éviter de faire des tuiles
filtrantes. Le séchage sera plus délicat. On ne relèvera les tuiles de l’aire
qu’après une dessiccation avancée. Pour les mettre en brins de fougères, on les
placera deux par deux, les tenons tête-bêche, la casse sera assez grande. On
obtiendra un bon matériau de couverture résistant bien au vent, comme la tuile
de montagne de France. Par contre, le poids sera un peu plus lourd.
Le tout n’est pas de mouler tuiles et briques, il faut les
cuire. Or la question du chauffage n’est pas toujours aisée à résoudre. On peut
employer tous les combustibles végétaux. J’ai usé depuis du bon bois de chauffe
jusqu’à de la petite paille de riz. J’ai eu de bons résultats avec tous, le
principal est d’en avoir en abondance et de surveiller les chauffeurs et le
feu.
Construction d’un four à briques.
— Sur un terrain nivelé et damé, tracer un carré
d’environ 3 mètres de côté ; à l’extérieur, faire un mur en briques
sèches épais de 44 centimètres. Quand il atteindra 20 centimètres
d’élévation, remplir l’intérieur d’argile bien tassée. Puis on continuera à
monter le mur plein sur trois côtés ; sur le quatrième, en façade, on
établira des ouvertures larges de 15 centimètres, séparées par des murs de 22 centimètres
s’étendant sur tout le sol du four jusqu’au mur du fond. Quand l’ensemble de
ces murs atteindra environ 40 centimètres d’élévation au-dessus du sol du
four (fond des créneaux), on continuera à monter la construction à l’épaisseur
de 34 centimètres, de manière à laisser à l’intérieur du four un rebord de
10 centimètres sur les deux côtés et le fond. Le mur de façade recouvrira
les créneaux et laissera le rebord à l’extérieur du four. Puis, devant la
façade des créneaux, on construira un mur en demi-cercle de 34 centimètres
d’épaisseur, en laissant au milieu, et perpendiculairement au mur percé de
créneaux, une porte de 25 centimètres de large. Quand ce mur atteindra
environ 60 centimètres d’élévation, on le recouvrira d’un quart de sphère
en briques cuites si possible ou d’une voûte en pierres non calcaires. Le
cintre de support sera formé de paille ou d’herbes sèches.
On achèvera de monter les murs des quatre faces du four.
Toute cette maçonnerie sera faite au mortier d’argile aussi peu mouillée que
possible ; les joints seront bien lissés. On laissera sécher et on
recouvrira murs et foyer par un épais revêtement d’argile bien tassée, puis de
terre ordinaire à l’inclinaison des terres croulantes (45°).
L’ensemble du four étant bien sec, on décintrera le quart de
sphère recouvrant le foyer en brûlant le cintre. On continuera le feu pendant
un nombre d’heures suffisant pour dessécher la construction.
Chargement du four.
— L’enfournement se fera en posant des briques
au-dessus des créneaux ; elles seront espacées de l’épaisseur des doigts
de la main de l’enfourneur. Entre deux créneaux, sur la place restante, on
mettra des briques en oblique. Le premier rang étant ainsi fait, on fera le
second, en plaçant les briques perpendiculairement à celles du premier rang. On
continuera ainsi en croisant les briques à chaque nouvelle couche. Pour
faciliter le travail des enfourneurs, on placera une ou deux planches légères
et larges sur les briques, afin de leur permettre de se tenir et circuler dans
le four. Au fur et à mesure du chargement, ces planches seront déplacées et
remontées. Le mieux est de faire plusieurs rangs à la fois, en ne laissant que
la place du manipulateur, que l’on remplit ensuite.
Pour les tuiles, on ne les enfourne qu’après avoir déjà mis
deux ou trois rangs de briques. On laissera aussi le long des quatre faces un
encadrement de briques de 22 centimètres de large.
En arrivant à environ 25 centimètres de haut du four,
on arrête le chargement. On place à plat un rang de briques recouvrant
complètement tout le four. Cependant, de place en place, en quinconce, toutes
les cinq ou six briques, on laisse un vide correspondant à une brique. (On la
placera en cours de cuisson, après dégagement de la vapeur d’eau. Pour mettre
ces briques, on se sert d’une pelle à très long manche. Contre le mur opposé au
foyer, on dispose trois petites cheminées, de 44 cm. x 44 cm., en
plaçant quelques briques s’élevant jusqu’à la hauteur du four.
Cuisson.
— Le feu sera conduit doucement pour commencer ;
dès que le tirage sera établi, il sera mené très régulièrement, tant qu’il
s’échappera de la fumée contenant des vapeurs d’eau, soit pendant un jour ou
deux pour un four neuf. Puis le feu sera activé et, quand l’incandescence de la
masse sera visible par les cheminées, on continuera encore cent heures pour
obtenir une parfaite cuisson.
Après avoir placé les briques sur des vides laissés dans le revêtement
du dessus du four, il est bon d’étendre sur tout ce revêtement une couche de
terre ou de sable d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur. On place cette
charge en la lançant à la pelle.
Quand la cuisson est terminée, on bouche les cheminées avec
des briques à plat et de ta terre. On ferme aussi, avec une maçonnerie de
briques et terre, la porte du foyer.
Au bout de quatre ou cinq jours, on ouvre la porte du foyer,
on débouche les cheminées et, deux jours après, on peut commencer à défourner.
Résultats.
— On obtient, selon la terre employée, en haut des
briques peu cuites sur un rang ou deux ; de préférence, on doit les
employer pour travaux intérieurs. Puis des produits bien cuits pour tous
usages. Les trois ou quatre derniers rangs donnent des matériaux très cuits
convenant pour l’exposition à l’eau ou le dallage du sol. Il arrive, avec
certaines argiles, d’avoir des briques portant des traces de vitrification,
même soudées entre elles et au four, devant être enlevées à la pioche. Leurs
débris sont très bons pour les bétons.
Les produits peu cuits et cassés peuvent être broyés pour
faire du tuilo. Le mortier de chaux grasse et de tuilo est très hydraulique, je
l’ai vu employer au Tonkin par les Travaux publics, pour la construction de
petits ponts routiers très résistants aux intempéries (le tuilo remplace le
sable dans le mortier).
Victor TILLINAC.
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