Lorsque la colonie de la Haute Volta fut disloquée
— elle ne dura que quelques années — une partie des territoires qui
la composaient furent rattachés à la Côte-d’Ivoire, notamment le Mossi, dont la
capitale est Ouagadougou, résidence du souverain, le Moronaba.
Ce fut une sorte d’État féodal à la manière de notre moyen
âge, actuellement en décadence, mais qui reste une des régions d’Afrique où le
chiffre d’habitants au kilomètre carré est le plus élevé. Est-ce à cette
densité, est-ce à son commencement d’organisation qu’il le doit ? Le Moss
n’a jamais été entamé par les conquérants noirs qui ont ravagé les pays
d’alentour. C’est du Mossi que la Côte-d’Ivoire tire sa main-d’œuvre. Les Mossi
(pluriel de Moro) sont généralement grands. La coloration de leur peau est d’un
brun rougeâtre. Il est extrêmement rare de rencontrer des individus absolument
noirs. Aussi méprisent-ils ceux de leurs tribus qui sont franchement plus
foncés qu’eux. La plupart portent la tête rasée. Les femmes disposent leurs cheveux
en cimier, à l’aide d’un cosmétique à base de beurre de karité qui dégage une
odeur si désagréable.
Le seul ornement original à remarquer est une sorte de
guêtre entièrement en cuivre allant du genou à la cheville que portent certains
pages et les femmes du Naba. Ces ornements, pourtant lourds et encombrants,
sont extrêmement appréciés, mais la grande quantité de métal que nécessite leur
fabrication les rend coûteux pour le pays.
Pour saluer, les Mossi, qui sont très polis, même entre eux,
s’assoient par terre, frappant leurs coudes et leurs avant-bras sur le sol
devant celui à qui ils veulent rendre hommage en inclinant profondément la tête
et se redressent ensuite en se frottant la paume des mains. Ce salut compliqué,
dont le nom est « poussi », les Mossi le pratiquent avec une vivacité
et un naturel qui étonnent et l’on voit souvent sur un sentier deux indigènes
portant chacun une lourde charge sur la tête, poser à terre leur fardeau,
échanger le poussi et reprendre ensuite leur chemin.
Les habitations se composent d’un groupe de cases rondes
assez basses, en argile séchée et recouvertes en chaume. Toutes ces cases sont
réunies entre elles par un petit mur de 1 mètre de haut, de façon à former
une cour sur laquelle donnent les cases constituant la maison de famille. Les
habitations sont toujours éloignées les unes des autres par des intervalles
d’au moins 40 à 50 mètres. Les cultures commencent dès la sortie des cases
en ne laissant libre qu’un étroit sentier. Pendant l’hivernage, le mil et le
maïs, principales cultures, arrivés à maturité, masquent presque complètement
la vue des habitations.
La vie sociale des Mossi, comparée à celle des autres
peuplades soudanaises, ne présente aucune particularité saillante.
L’organisation politique, au moment de notre occupation, rappelait, ainsi qu’il
est dit plus haut, notre ancienne féodalité. Le Moronaba — le suzerain
— était le chef, mais certains grands vassaux étaient quasi aussi
puissants. À la cour, quelques dignitaires : le Ouidinaba, chef des
cavaliers. On affirme encore à Ouagadougou que la dernière mobilisation mossi,
en 1896, rassembla 10.000 cavaliers, sans compter la piétaille, armée surtout
de lances et d’arcs ; le Laralénaba, chef des tombes royales ; le
Gourganaba, chef des féticheux (les Mossi sont plutôt tolérants) ; le
Camisoronaba, grand eunuque, qui devait avoir fort à faire lorsque le Naba
entretenait un harem d’un millier de femmes ; enfin, le Balomnaba,
intendant, ministre des Finances ; celui en exercice, gros et gras, de
belle prestance au surplus, est venu en France, il est catholique. C’est la
réunion de ces dignitaires en chapitre qui choisit le successeur du Moronaba
défunt, choix qui ne doit pas être facile, entre les fils de nombreuses
épouses.
Au fond, l’action personnelle du souverain est réduite à
fort peu de chose, toutes les affaires passant, avant de venir devant lui, par
les grands dignitaires. Un protocole sévère et minutieux achevait d’enlever au
Moronaba toute possibilité d’initiative. Une des prescriptions de ce protocole
le contraignait à absorber constamment de larges rasades d’une bière spéciale,
extrêmement forte, relevée par des piments qui le maintenaient dans un état de
demi-ébriété. À cela s’ajoutait le souci d’une copieuse descendance ;
après quelques années de cette existence abrutissante, les Moronabas n’étaient
plus que des rois fainéants que gouvernaient à leur guise les plus rusés des
membres de leur entourage. Il n’en fut pas toujours ainsi. La tradition veut
que, vers le XVIe siècle, le Moronaba était au contraire un chef
belliqueux d’une puissante noblesse militaire.
L’État Mossi est donc en pleine décadence. Sa capitale,
Ouagadougou, a perdu une partie de son importance du fait de la dislocation de
la colonie de la Haute Volta. Entre de larges avenues, de larges espaces vides
lui donnent l’aspect d’être quelque peu abandonnée. Cependant, à Ouagadougou,
une importante mission de Pères Blancs exerce son noble dévouement. Des soins
médicaux sont dispensés par un Père, docteur en médecine, qui, au surplus, poursuit
des recherches de laboratoire. Les Pères Blancs ont organisé des établissements
d’instruction primaire, secondaire, professionnelle, où l’on tisse, où l’on
fabrique des tapis de laine renommés à juste titre d’ailleurs. Ils ont commencé
une immense cathédrale, longue de 80 mètres et pouvant contenir plus de 4.000
fidèles. Enfin, à 20 kilomètres de Ouagadougou, ils entretiennent un petit
séminaire. Et tout cela avec leurs propres moyens. Ils ont — et c’est
naturel — l’estime de toute la population.
Voilà terminée notre croisière en Côte-d’Ivoire. Vue
fragmentaire, peut-on penser, car quelques régions seulement de la colonie ont
été visitées. Certes, mais elles sont caractéristiques ; en parcourir
d’autres eût amené constamment des redites, nous aurions rencontré aux mêmes
latitudes les mêmes productions, les palmiers, la forêt, la banane, le café, le
cacao. Une constatation s’impose : la Côte-d’Ivoire est une colonie très
riche, chaque année plus riche que la précédente. Vingt mille kilomètres de route,
800, bientôt 1.200 kilomètres de chemin de fer central qui devrait se diriger
au plus tôt vers le Niger moyen ; un commerce qui atteindra bientôt le
milliard. Les indigènes s’enrichissent, les colons aussi. Un état d’esprit
spécial y règne : l’esprit Côte-d’Ivoire. Il est fait de volonté tenace,
d’entr’aide agissante, d’esprit pratique poussé à un haut degré, de tension
énergique vers un rendement rapide, en un mot, d’un magnifique dynamisme. La
Côte-d’Ivoire est un pays neuf, en pleine montée. En conclusion, il n’y a qu’à
reprendre le titre d’une enquête d’un grand journal : Côte-d’Ivoire,
terre promise.
G. FRANÇOIS.
(1) Voir Chasseur Français de septembre 1941 et suivants.
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