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A. O. F. 1939

La Côte-d’Ivoire (1).

Lorsque la colonie de la Haute Volta fut disloquée — elle ne dura que quelques années — une partie des territoires qui la composaient furent rattachés à la Côte-d’Ivoire, notamment le Mossi, dont la capitale est Ouagadougou, résidence du souverain, le Moronaba.

Ce fut une sorte d’État féodal à la manière de notre moyen âge, actuellement en décadence, mais qui reste une des régions d’Afrique où le chiffre d’habitants au kilomètre carré est le plus élevé. Est-ce à cette densité, est-ce à son commencement d’organisation qu’il le doit ? Le Moss n’a jamais été entamé par les conquérants noirs qui ont ravagé les pays d’alentour. C’est du Mossi que la Côte-d’Ivoire tire sa main-d’œuvre. Les Mossi (pluriel de Moro) sont généralement grands. La coloration de leur peau est d’un brun rougeâtre. Il est extrêmement rare de rencontrer des individus absolument noirs. Aussi méprisent-ils ceux de leurs tribus qui sont franchement plus foncés qu’eux. La plupart portent la tête rasée. Les femmes disposent leurs cheveux en cimier, à l’aide d’un cosmétique à base de beurre de karité qui dégage une odeur si désagréable.

Le seul ornement original à remarquer est une sorte de guêtre entièrement en cuivre allant du genou à la cheville que portent certains pages et les femmes du Naba. Ces ornements, pourtant lourds et encombrants, sont extrêmement appréciés, mais la grande quantité de métal que nécessite leur fabrication les rend coûteux pour le pays.

Pour saluer, les Mossi, qui sont très polis, même entre eux, s’assoient par terre, frappant leurs coudes et leurs avant-bras sur le sol devant celui à qui ils veulent rendre hommage en inclinant profondément la tête et se redressent ensuite en se frottant la paume des mains. Ce salut compliqué, dont le nom est « poussi », les Mossi le pratiquent avec une vivacité et un naturel qui étonnent et l’on voit souvent sur un sentier deux indigènes portant chacun une lourde charge sur la tête, poser à terre leur fardeau, échanger le poussi et reprendre ensuite leur chemin.

Les habitations se composent d’un groupe de cases rondes assez basses, en argile séchée et recouvertes en chaume. Toutes ces cases sont réunies entre elles par un petit mur de 1 mètre de haut, de façon à former une cour sur laquelle donnent les cases constituant la maison de famille. Les habitations sont toujours éloignées les unes des autres par des intervalles d’au moins 40 à 50 mètres. Les cultures commencent dès la sortie des cases en ne laissant libre qu’un étroit sentier. Pendant l’hivernage, le mil et le maïs, principales cultures, arrivés à maturité, masquent presque complètement la vue des habitations.

La vie sociale des Mossi, comparée à celle des autres peuplades soudanaises, ne présente aucune particularité saillante. L’organisation politique, au moment de notre occupation, rappelait, ainsi qu’il est dit plus haut, notre ancienne féodalité. Le Moronaba — le suzerain — était le chef, mais certains grands vassaux étaient quasi aussi puissants. À la cour, quelques dignitaires : le Ouidinaba, chef des cavaliers. On affirme encore à Ouagadougou que la dernière mobilisation mossi, en 1896, rassembla 10.000 cavaliers, sans compter la piétaille, armée surtout de lances et d’arcs ; le Laralénaba, chef des tombes royales ; le Gourganaba, chef des féticheux (les Mossi sont plutôt tolérants) ; le Camisoronaba, grand eunuque, qui devait avoir fort à faire lorsque le Naba entretenait un harem d’un millier de femmes ; enfin, le Balomnaba, intendant, ministre des Finances ; celui en exercice, gros et gras, de belle prestance au surplus, est venu en France, il est catholique. C’est la réunion de ces dignitaires en chapitre qui choisit le successeur du Moronaba défunt, choix qui ne doit pas être facile, entre les fils de nombreuses épouses.

Au fond, l’action personnelle du souverain est réduite à fort peu de chose, toutes les affaires passant, avant de venir devant lui, par les grands dignitaires. Un protocole sévère et minutieux achevait d’enlever au Moronaba toute possibilité d’initiative. Une des prescriptions de ce protocole le contraignait à absorber constamment de larges rasades d’une bière spéciale, extrêmement forte, relevée par des piments qui le maintenaient dans un état de demi-ébriété. À cela s’ajoutait le souci d’une copieuse descendance ; après quelques années de cette existence abrutissante, les Moronabas n’étaient plus que des rois fainéants que gouvernaient à leur guise les plus rusés des membres de leur entourage. Il n’en fut pas toujours ainsi. La tradition veut que, vers le XVIe siècle, le Moronaba était au contraire un chef belliqueux d’une puissante noblesse militaire.

L’État Mossi est donc en pleine décadence. Sa capitale, Ouagadougou, a perdu une partie de son importance du fait de la dislocation de la colonie de la Haute Volta. Entre de larges avenues, de larges espaces vides lui donnent l’aspect d’être quelque peu abandonnée. Cependant, à Ouagadougou, une importante mission de Pères Blancs exerce son noble dévouement. Des soins médicaux sont dispensés par un Père, docteur en médecine, qui, au surplus, poursuit des recherches de laboratoire. Les Pères Blancs ont organisé des établissements d’instruction primaire, secondaire, professionnelle, où l’on tisse, où l’on fabrique des tapis de laine renommés à juste titre d’ailleurs. Ils ont commencé une immense cathédrale, longue de 80 mètres et pouvant contenir plus de 4.000 fidèles. Enfin, à 20 kilomètres de Ouagadougou, ils entretiennent un petit séminaire. Et tout cela avec leurs propres moyens. Ils ont — et c’est naturel — l’estime de toute la population.

Voilà terminée notre croisière en Côte-d’Ivoire. Vue fragmentaire, peut-on penser, car quelques régions seulement de la colonie ont été visitées. Certes, mais elles sont caractéristiques ; en parcourir d’autres eût amené constamment des redites, nous aurions rencontré aux mêmes latitudes les mêmes productions, les palmiers, la forêt, la banane, le café, le cacao. Une constatation s’impose : la Côte-d’Ivoire est une colonie très riche, chaque année plus riche que la précédente. Vingt mille kilomètres de route, 800, bientôt 1.200 kilomètres de chemin de fer central qui devrait se diriger au plus tôt vers le Niger moyen ; un commerce qui atteindra bientôt le milliard. Les indigènes s’enrichissent, les colons aussi. Un état d’esprit spécial y règne : l’esprit Côte-d’Ivoire. Il est fait de volonté tenace, d’entr’aide agissante, d’esprit pratique poussé à un haut degré, de tension énergique vers un rendement rapide, en un mot, d’un magnifique dynamisme. La Côte-d’Ivoire est un pays neuf, en pleine montée. En conclusion, il n’y a qu’à reprendre le titre d’une enquête d’un grand journal : Côte-d’Ivoire, terre promise.

G. FRANÇOIS.

(1) Voir Chasseur Français de septembre 1941 et suivants.

Le Chasseur Français N°604 Décembre 1941 Page 629