Nous avons précédemment examiné les imprudences du départ
involontaire de l’arme ; voyons maintenant celles que le chasseur peut
commettre en faisant volontairement usage de son fusil. Ici, il ne peut s’agir
que de principes généraux, desquels il convient de s’écarter le moins possible
sans que l’on puisse affirmer que le plus prudent ne les transgressera
jamais : il y a des coups de fusil n’ayant causé aucun accident que l’on
regrette parfois d’avoir tiré.
Efforçons-nous, en premier lieu, de ne jamais tirer au jugé
si ce n’est pour jeter le coup sur une pièce parfaitement définie par une
vision préalable. Encore devons-nous avoir une certitude suffisante que la zone
où portera notre coup ne contient ni chasseur, ni chien.
Si la règle que nous examinerons ci-après de ne tirer qu’au
delà de la ligne évite la plupart des coups malheureux sur l’homme, combien de
bons chiens dont la position n’était pas suffisamment repérée ont dû leur mort
à un coup de fusil jeté un peu trop vite dans la direction d’un gibier reconnu,
mais sans une connaissance suffisante du terrain ! Ceux qui ont pratiqué
le tir du lapin dans les hautes bruyères avec deux chiens de petite taille,
travaillant presque invisibles à peu de distance l’un de l’autre, ont souvent
des émotions. Dans ce genre de chasse, la meilleure méthode est encore de munir
l’un des deux chiens d’un grelot et de suivre l’un de l’œil, l’autre de
l’oreille, en s’efforçant de situer avec le maximum de précision possible les
deux animaux avant de jeter le coup de fusil.
Dans les couverts élevés, nous nous imposerons de ne tirer à
terre qu’avec une très bonne visibilité et, en tout cas, jamais à hauteur
d’homme. Même précaution lorsque deux chasseurs opèrent de part et d’autre
d’une haie.
Au poste de battue, il convient de toujours tenir le canon
haut. S’il s’agit d’une battue de plaine dans laquelle le gibier peut être tiré
en avant et en arrière, il est indispensable de désépauler dans la direction de
la ligne des tireurs et non pas de suivre le gibier en balayant tout l’horizon.
En battue de forêt, toujours se placer ventre au bois et ne tirer que lorsque
le gibier a franchi la ligne ; cette prescription est encore plus
impérative s’il s’agit d’une battue au gros gibier.
Ne jamais se laisser absorber par l’intérêt de la chasse au
point de perdre de vue que l’on a en main un fusil, et être particulièrement
prudent dans les chasses qui imposent la réunion de plusieurs personnes dans un
petit espace, comme c’est le cas dans la chasse au miroir ou en bateau.
Nous ne pouvons clore cette discussion sans examiner dans
quelle mesure il y a ou non imprudence à faire usage du fusil dans des
circonstances telles que les projectiles en retombant ou en ricochant puissent
causer des blessures dangereuses.
Examinons, en premier lieu, la question de la retombée des
projectiles tirés sous des angles variables ; les lois de la mécanique
nous apprennent que la trajectoire d’un projectile est toujours de forme
parabolique. Dans le vide, nous aurions une parabole exacte ; dans l’air,
l’allure de la courbe se trouve déformée par la résistance de ce dernier
fluide. Si cette résistance n’existait pas, la vitesse de retour au sol serait
exactement celle imprimée au projectile lors de son départ et tous les
projectiles seraient dangereux à leur arrivée. En pratique, la résistance de
l’air agissant proportionnellement beaucoup plus sur les petits projectiles que
sur les gros, on constate que les plombs de chasse de petits diamètres sont
inoffensifs. Citons quelques chiffres à ce sujet.
En ne considérant que les portées extrêmes, c’est-à-dire
celles qui sont obtenues en tirant sous un angle compris entre 17° et 25°
suivant les diamètres, nous obtiendrons les distances ci-après (V0 = 376 mètres) :
No des plombs. |
Diamètre en millimètres. |
Portée extrême en mètres. |
00 |
4,50 |
345 |
2 |
3,75 |
295 |
4 |
3,25 |
265 |
6 |
2,75 |
230 |
8 |
2,25 |
190 |
10 |
1,75 |
130 |
La vitesse des projectiles sphériques tirés dans ces
conditions est sensiblement la même que lorsqu’ils retombent après avoir été
tirés verticalement, c’est-à-dire environ 25 mètres par seconde. À cette
vitesse, ne sont dangereux que ceux d’un diamètre supérieur à 4 millimètres.
Dans ces mêmes conditions de vitesse initiale, les ballettes
et les balles ont les portées extrêmes suivantes :
En millimètres.
Diamètre |
6 |
8 |
10 |
12 |
14 |
15,6 |
16,8 |
18,5 |
20 |
|
|
|
|
|
|
C. 20 |
C. 16 |
C. 12 |
C. 10 |
Portée |
440 |
550 |
660 |
760 |
860 |
940 |
990 |
1.060 |
1.150 |
Ces projectiles sont assez dangereux entre 4 et 10 millimètres.
Plus encore au-dessus de ce diamètre, car ils peuvent causer de fortes
contusions et même des plaies pénétrantes. La portée des projectiles sphériques
se maintient près du maximum tant que l’angle de tir reste compris entre 20° et
45° ; elle s’abaisse pour les angles inférieurs ou supérieurs et devient
nulle, bien entendu, dans le cas du tir vertical.
On jugera donc que, lorsque la vue du tireur ne peut pas s
étendre au delà de 300 mètres, la prudence commande de ne pas tirer plus
bas que l’angle qui donne aux plombs leur portée extrême tant qu’il ne s’agit
que de plombs petits et moyens. Mais, avec les très gros plombs, les ballettes
et les balles, il vaut mieux, dans les mêmes circonstances, s’abstenir de
tirer. On notera, toutefois, que, la soudure des plombs se produisant dans une
certaine proportion, il peut arriver de tirer du 4 et d’obtenir à
l’arrivée un bloc de grains équivalent à du 0, mais ceci n’est plus de
l’imprudence à proprement parier et constitue plutôt le cas fortuit.
On se souviendra, en outre, qu’à la portée maxima les plombs
se répartissent sur une longueur de près de cent mètres et que les balles de
calibre se répartissent aussi sur une longueur totale égale à 15 p. 100 de
la portée. On voit ainsi quel véritable arrosage réalise le fusil de chasse ;
très heureusement, dans la très grande majorité des cas, les conséquences en
sont négligeables.
Pour terminer, nous examinerons la question des ricochets
des projectiles de chasse. Si nous faisons abstraction des projectiles frappant
des obstacles durs et résistants sous un angle assez grand, cas dans lequel il
y a éclatement du projectile, on sait que le projectile ricoche lorsque l’angle
que fait la trajectoire avec la surface frappée est inférieur à une limite
déterminée par la nature de cette surface. Il est à remarquer que l’angle de
ricochet n’est pas forcément égal à l’angle d’arrivée.
Pour le chasseur, les ricochets les plus intéressants à
étudier sont ceux qui se produisent sur la terre et sur l’eau. Voici quelques
chiffres à ce sujet :
Les projectiles cessent de ricocher avec un angle d’arrivée
d’environ 14° ; au-dessous de cette valeur, l’angle de ricochet est
généralement double de l’angle d’arrivée quand il a lieu sur la terre ; de
très près et à très grande vitesse, également sur la terre, les angles de
ricochet sont très grands : ceci est à retenir pour éviter certaines
blessures qui paraissent, a priori, imprévisibles. On se souviendra
également qu’une balle moyenne (cal. 16), tirée à une vitesse normale,
peut ricocher jusqu’à la portée de 600 mètres. Sur le bois, la question
est plus complexe : l’angle de ricochet dépendant à la fois de la vitesse
d’arrivée et de la nature du bois. Un fait assez peu connu est qu’une balle
sphérique peut revenir dans la direction du tireur ; les expériences
précises faites par Journée ont, en effet, démontré qu’à la vitesse de 140 mètres
à un angle d’arrivée de 60° correspond (sur du chêne) un angle de ricochet de
100°. En outre, lorsque l’on tire à balle sur des surfaces de bois dur
perpendiculaires à la direction de tir, les balles reviennent sur le tireur
jusqu’à 50 mètres lorsque la vitesse d’arrivée est inférieure à 120 mètres.
Tout ceci doit inciter le tireur à la prudence.
Pour éviter autant que possible les ricochets des balles de
chasse, il convient de les tirer à une vitesse aussi grande que le permettent
le recul et la pression limites.
Enfin, il arrive assez fréquemment, dans le tir sous bois,
que le plomb ricoche sur des branches assez élevées et se trouve dirigé vers le
sol avec une vitesse restante telle qu’il peut causer des blessures assez
graves. Il est prudent d’éviter un tel genre de tir lorsque des rabatteurs sont
à proximité immédiate ; ces coups sont aussi dangereux que ceux tirés sur
un sol sec et dur.
Nous pensons que les quelques considérations qui ont été
développées dans ces deux dernières causeries seront utiles à nos jeunes
confrères en saint Hubert et qu’elles les mettront à même de goûter le plaisir
de la chasse sans avoir à regretter d’avoir été la cause involontaire d’un
fâcheux accident.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
(1) Voir Chasseur Français de décembre 1941.
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