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Causerie juridique

La réglementation de la chasse en zone occupée.

La chasse dans la zone occupée a été réglementée par une ordonnance des autorités occupantes, en date du 24 octobre 1940. Il n’est pas sans intérêt d’en analyser les dispositions.

En principe, dans toute cette zone, la chasse est interdite à tout le monde, elle n’est permise qu’aux militaires de l’armée occupante. L’ordonnance ne précise pas dans quelles conditions ces militaires ont le droit de chasser, ni les autorisations que leurs chefs peuvent avoir à leur donner pour cela ; c’est là une question qui ne concerne que les autorités occupantes et dont les occupés n’ont pas à connaître. Tout ce que nous apprend l’ordonnance, c’est que le gibier tué par les militaires allemands appartient à l’armée allemande, qui en dispose à sa convenance, sans que les propriétaires ou locataires de chasse français sur les terres desquels ce gibier a été tué aient droit à aucune indemnité de la part des occupants. Ils n’ont de recours à exercer, s’il y a lieu, que contre l’État français. D’autre part, l’ordonnance indique que, dans le cas de dégâts causés par le gibier, les autorités allemandes n’encourent aucune responsabilité, ici encore, la question doit se régler entre Français. Nous reviendrons plus loin sur ces questions.

Les paragraphes 4 et 5 de l’ordonnance sont relatifs à la destruction des lapins : aux termes de ces dispositions, les propriétaires, fermiers ou détenteurs du droit de chasse peuvent être autorisés par les Feldkommandants ou les Kreiskommandants à détruire les lapins, sur la proposition nominale des maires des communes intéressées ; ainsi ceux qui entendent obtenir une telle autorisation doivent s’adresser au maire de la commune sur le territoire de laquelle se trouvent les bois à lapins ; le maire propose aux autorités allemandes d’accorder l’autorisation aux personnes nominativement désignées, les autorités allemandes accordent ou refusent l’autorisation. En principe, les seuls procédés autorisés pour la destruction sont le furetage et les bourses, filets ou grillage et le défonçage des terriers ; cependant, à titre exceptionnel, on peut être autorisé à utiliser des traqueurs avec ou sans chiens, pour pousser les lapins aux terriers ou aux filets ou grillage. En aucun cas il ne peut être fait usage d’armes à feu ; d’autre part, aucune autorisation de destruction ne peut être accordée pour les terrains utilisés par l’armée d’occupation comme terrains d’exercice ou autrement. Les lapins détruits dans les conditions autorisées appartiennent à ceux qui les ont détruits, ces derniers peuvent les employer pour leur consommation personnelle, ils peuvent aussi les vendre pour le ravitaillement des populations ; en ce cas, les prix de vente doivent être fixés par les préfets.

Par dérogation à l’interdiction générale de la chasse qui atteint toute personne n’appartenant pas aux armées d’occupation, les propriétaires de propriétés closes d’une superficie n’excédant pas dix hectares ont le droit de chasser ou de faire chasser en tout temps, dans leur propriété, toute espèce de gibier. Ils peuvent employer à cet effet tous moyens légaux, à l’exception des armes à feu ; l’ordonnance précise que rentrent seulement dans les termes de la disposition qui nous occupe les propriétés comportant une habitation et entourées d’une clôture de bois ou de maçonnerie obstruant toute communication avec l’extérieur et empêchant complètement le passage de l’homme et celui du gibier à poil. D’autre part, la disposition en question ne s’applique pas aux terrains clos domaniaux, à l’égard desquels doit intervenir une réglementation spéciale ; il n’est pas à notre connaissance que des dispositions spéciales soient actuellement intervenues pour ce cas particulier. Ajoutons que le gibier détruit légalement dans les propriétés closes appartient aux chasseurs, nous pensons qu’il faut entendre par là le propriétaire et non pas la personne invitée par lui pour participer à la chasse.

Soit pour la destruction des lapins, soit pour la chasse dans les propriétés closes, l’ordonnance indique que ses dispositions sont applicables en tout temps. Il faut entendre ces derniers mots comme équivalents à : « Même dans le temps où la chasse est fermée. » S’appliquent-ils aussi à la nuit ou au temps de neige. Le point est discutable : cependant, en présence de la généralité de la formule employée et de l’absence de toute restriction en ce qui concerne la chasse de nuit ou par temps de neige, on peut considérer que les dispositions envisagées sont applicables même à ces deux derniers cas.

L’ordonnance du 24 octobre 1940 contient encore une disposition aux termes de laquelle les Feldkommandants peuvent, en cas de nécessité, soit pour la garde de la chasse, soit pour la destruction des lapins, confier aux gardes-chasses les armes à feu, ainsi que les munitions que ces derniers leur ont remises ; peuvent bénéficier de cette disposition les commandants de gendarmerie, les commissaires de police, les gendarmes, les gardes des Eaux et Forêts, les gardes champêtres, les gardes du Comité national et des fédérations départementales de chasse commissionnés au titre de gardes des Eaux et Forêts, et enfin les gardes assermentés des particuliers.

Enfin, l’ordonnance se termine par la disposition pénale ordinaire suivant laquelle les infractions aux dispositions de l’ordonnance ou à celles des ordonnances rendues pour son exécution sont punies de prison et d’une amende, ou d’une seule de ces deux peines, à moins que d’autres dispositions ne prévoient une peine plus élevée. En outre, peut être prononcée la confiscation du matériel et des engins employés par le délinquant.

Quelques questions, dont l’ordonnance allemande n’avait pas à s’occuper, restent à examiner.

L’interdiction de la chasse pour les propriétaires ou locataires de chasse leur cause un préjudice évident contre lequel il est naturel qu’ils cherchent à se prémunir ou duquel ils peuvent estimer avoir le droit d’obtenir la réparation.

En ce qui concerne les locataires de chasse, le décret du 1er juin 1940 leur fournit des armes : il leur permet, en effet, de se fonder sur l’impossibilité de chasser dont ils sont atteints pour demander soit la résiliation du bail de chasse, soit une réduction de loyer. Les conditions dans lesquelles ils peuvent exercer ce droit font l’objet d’une causerie particulière, qui paraîtra dans les colonnes de cette Revue, ce qui nous dispense de nous y arrêter pour le moment.

Mais les propriétaires, soit qu’exerçant eux-mêmes le droit de chasse ils se trouvent privés de la possibilité d’en jouir, soit que, ayant loué la chasse sur leurs terres, ils se trouvent privés des loyers qu’ils comptent percevoir en raison de la résiliation du bail ou d’une réduction massive du loyer, quel recours est mis à leur disposition ? Peuvent-ils se retourner contre l’État français pour obtenir une indemnisation comme en cas de réquisition ? Nous ne le pensons pas. Le cas de ces propriétaires est assimilable à celui des propriétaires d’immeubles et d’habitations, qui sont exposés aux mêmes pertes de loyers par résiliation de baux ou par réduction de loyers ; or, pour ces derniers, aucune indemnité n’a jusqu’ici été allouée, tout ce qui a été prévu par le décret du 26 septembre 1939, c’est d’une part des remises ou modérations d’impôts grevant leur propriété et, d’autre part, l’octroi de délais pour le payement des intérêts ou arrérages de dettes hypothécaires grevant leurs immeubles. Il ne paraît pas douteux que ces dispositions puissent profiter au moins partiellement aux propriétaires ayant loué la chasse, mais, pour ceux qui avaient conservé le droit de chasse, aucune indemnisation ne paraît pouvoir être envisagée.

Quant aux dégâts causés par le gibier dont les cultivateurs peuvent avoir à se plaindre, dans le cas où, par suite de l’interdiction de la chasse, les animaux malfaisants ou nuisibles ont pu se multiplier à l’excès, la question doit être résolue d’après les règles de droit commun. Le cultivateur a son action contre le propriétaire ou le locataire de la chasse dans les bois d’où proviennent les animaux ayant causé les dégâts, mais l’action n’est fondée et le propriétaire ou locataire de chasse ne peut encourir de condamnation que s’il est établi qu’il s’est rendu coupable d’une faute, d’une négligence. S’il justifie avoir fait le nécessaire pour empêcher la multiplication excessive des animaux ou pour en assurer la destruction, mais avoir été empêché d’y parvenir par l’effet des ordres ou réglementation des autorités occupantes, il échappera à toute condamnation, il y a alors cas de force majeure.

Paul COLIN,

Avocat à la Cour d’Appel de Paris.

N. D. L. R.

— Depuis la rédaction de l’article ci-dessus, une nouvelle ordonnance a précisé les conditions de destruction des sangliers, dans les régions où l’agriculture souffre de dégâts sérieux de la part de ces animaux.

Des battues seront dirigées par un délégué du Feldkommandant (officier de chasse) ou du chef de district. Un lieutenant de louveterie, proposé par la Direction générale des Forêts françaises, y participe, ainsi que des gardes champêtres, des gardes du Comité national et des Fédérations départementales en tant qu’ils sont autorisés à porter le titre de gardes des Eaux et Forêts et des gardes particuliers assermentés.

Des dispositions de la même ordonnance précisent les conditions dans lesquelles des armes et une quantité limitée de cartouches à balles seront restituées aux personnes participant aux battues. Enfin, la population civile sera admise à participer à la vente des sangliers abattus, la moitié de ceux-ci devant être remise aux services de ravitaillement de l’armée allemande.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 2