Les brusques variations de température de décembre ont été
une bonne fortune pour les amis du bois et du marais : ç’a été un
remue-ménage dans la gent voyageuse qui, pour beaucoup, a été l’occasion
d’agréables surprises.
Pensez donc, quand, parcourant la forêt, hier encore déserte
ou à peu près, vous tombez sur cinq ou six bécasses déplacées par la neige
voisine, quelle fête ! Ou encore l’heureuse rencontre de vous trouver au
marais, à la neige fondue, sur un passage de bécassines agrémenté de quelques
canards dépaysés par le gel des étangs, de leurs petites sœurs les sarcelles et
d’autres oiseaux moins comestibles, mais, par leur rareté, agréables à voir au
bout de son fusil : hérons, butors ou autres échassiers, vanneaux et
pluviers, voire chevaliers ou courlis, que sais-je ?
Vraiment la chasse d’hiver a bien son charme, tout
d’imprévu, mais qui vaut à mon avis le plaisir escompté d’avance de tirer tant
de perdreaux dans son après-midi.
À l’ouverture, cela va bien, on n’a pas chassé depuis
plusieurs mois et c’est un renouveau de tirer la perdrix. Mais, au bout d’un
mois de cet exercice, comme en réalité on en arrive à ne plus rien tirer, je
vois avec joie des gibiers plus abordables et non moins estimables venir rompre
la monotonie de cette chasse en plaine dans les labourés qui finit par être
d’une banalité lassante.
Le chasseur dans l’âme, celui qui ne saurait se contenter
d’attendre dans une allée le lapin traqué par des rabatteurs, sera sans doute
de mon avis et, laissant à d’autres les petites satisfactions du grand tableau,
il préférera les vraies émotions de la poursuite du gibier et les joies plus
modestes, mais combien plus réelles, de ces jolies chasses d’hiver.
Voilà comment on peut allier l’amour de la chasse avec la
protection de la perdrix, qui doit profiter d’une fermeture anticipée.
Mais maintenant l’ordonnance fatale a paru ; non
seulement elle est affichée dans les mairies, mais elle a paru dans les
journaux. Aussi voyez le dimanche matin choisi pour la fermeture, et dès le
samedi au soir la veille, quels nombreux préparatifs. Car l’arrêté a dit :
« À partir de dimanche et jusqu’à nouvel ordre, l’exercice de la
chasse, etc., etc. » Et songez donc un peu quelle honte pour vous si
vous alliez faillir dans ce dernier jour de bataille.
Qu’on manque, au mois de septembre, par une belle matinée
d’ouverture, cela se conçoit et se pardonne ; il y a longtemps qu’on ne
s’est plus servi de son fusil. La surprise, l’émotion sont dans ce cas autant
d’excuses valables. Il faut, comme disent les gardes, s’y remettre et se
refaire la main.
Souvent on en est quitte pour la phrase banale :
— Comment, tu n’avais donc pas de plomb dans ta
cartouche ? Ou bien pour celle-ci prononcée d’un ton de reproche :
— Oh ! mon vieux ... dans ta culotte !
Ce à quoi vous ne pouvez que répondre piteusement :
— C’est juste ! J’ai tiré comme une vraie mazette.
Et, ce petit dialogue terminé, l’instant d’après on n’y
songe plus, car on a pour soi le lendemain, le lendemain : ce mot magique
et plein d’espoir, qui console de bien d’autres défaites.
Enfin ... C’en est fait, l’heure a sonné ... La
plaine est calme et tranquille. Il faut songer à la retraite. Le soleil qui se
lèvera demain n’éclairera plus aucun meurtre nouveau. Les hôtes de nos bois et
de nos plaines ne songeront bientôt plus en paix qu’au grand œuvre de la
reproduction.
Éloignons-nous, profanes ! Imitons la nature qui couvre
d’une voile impénétrable tous ces secrets de génération, tous ces mystères de
volupté. Ne nuisons pas nous-mêmes à nos plaisirs futurs, en troublant par
d’indiscrets regards la paix de ces chastes asiles.
Pour nous aussi, c’est le temps du repos. La fermeture de la
chasse nous a fait suspendre notre fusil au-dessus de la grande cheminée
fumeuse et, les pieds devant l’âtre, nous allons rêver à la pariade qui se
prépare, aux luttes amoureuses dans les grands bois ... aux portées
futures ...
R. VILLATE DES PRUGNES.
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